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vendredi 22 septembre 2017

LES ARCHIVES DU PROCÈS BARBIE


Un homme "banal"




Klaus Barbie dans sa cellule à Montluc, 1983 
Crédits : Archives départementales du Rhône
Image empruntée ici

L'homme est âgé, le front dégarni, les traits tirés, les épaules tombantes. Toutefois, de son regard jaillit une intensité malfaisante et maléfique. Il regarde droit devant lui en direction de l’objectif. Il semble fragile, banal. L’homme n’a pourtant rien de banal. La photo a été prise le 9 janvier 1983. L’homme mesure 1m 70, il s’appelle Klaus Barbie



Cet homme nous regarde et il est impossible de lire dans ses pensées. Il incarne le mystère de la "banalité du mal".

Trente ans après la fin du procès Barbie, les archives judiciaires du dossier de celui que l’on appelait le « boucher de Lyon » sont désormais accessibles au grand public. Les ministres de la Justice et de la Culture l’ont annoncé officiellement le 3 juillet 2017.

Premier procès pour crime contre l'humanité en France


Klaus Barbie lors de son procès pour crimes contre l'humanité le 11 mai 1987 
© Getty / Francis Apesteguy
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Klaus Barbie a été jugé par la cour d'assises du Rhône, à Lyon, du 11 mai au 4 juillet 1987. C'est à Lyon qu'il a sévi, qu'il a torturé, qu'il a signé des arrêts de mort avec un zèle sadique.

C'est le premier procès pour crime contre l'humanité en France. C'est également la première fois qu'un procès est intégralement filmé en vertu d'une loi imposée par le garde des Sceaux, Robert Badinter. 

Barbie n'a été physiquement présent qu'à trois reprises durant ce procès. La première fois pour décliner son identité; ensuite, lors d'une confrontation avec les victimes et, finalement, après lecture du verdict. Ses derniers mots furent les suivants: "C'était la guerre et la guerre est désormais finie."

Un procès exemplaire

37 jours d'audience, 107 témoins, 42 avocats. Un procès pour la mémoire dans un contexte politique peu favorable. La justice a fait son travail et l'a bien fait. Le procès Barbie signifie la fin de l'impunité pour les criminels de guerre. 



Beate et Serge Klarsfeld en 2015
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Trois expositions rendent compte de ce procès



Pour vous rendre sur le site du 
Mémorial National de la prison de Montluc, cliquez ici


"Klaus Barbie, 1987, Mémoires d'un procès": deux expositions à Lyon où figurent des documents inédits. L'une au Mémorial National de la prison de Montluc où Barbie a torturé de ses "propres" mains des milliers de personnes.  La seconde, aux archives départementales du Rhône où l'on peut découvrir les archives judiciaires du dossier Barbie, désormais accessibles à tout un chacun. 

Pour lire le PDF de l'exposition à la prison de Montluc, cliquez ici


Au Mémorial de La Shoah, une exposition retrace minutieusement le déroulement du procès. Cette exposition rassemble de nombreux documents, notamment la pièce essentielle de l'accusation, le télégramme envoyé par Klaus Barbie après la rafle des 44 enfants de la maison d'Izieu. Les dossiers rassemblés par Beate et Serge Klarsfeld, les enquêtes des services secrets, les interrogatoires de l'accusé et les notes du président de la cour d'assises, André Cerdini, figurent en bonne place dans cette exposition. L'exposition est agrémentée d'extraits d'audience et des journaux télévisés de l'époque. 



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L'exposition au Mémorial de la Shoah a un but éminemment pédagogique. Elle permet de comprendre aussi bien le déroulement du procès que son retentissement en France et dans le monde. 
L'exposition propose un parcours balisé en plusieurs étapes:

Qui est Klaus Barbie? 
La traque
L'instruction
Les acteurs du procès
Un procès médiatique 
Le réveil de la mémoire

"Six millions de morts étaient avec moi aujourd'hui: s'ils ont marqué le jury, j'aurai gagné quelque chose."

Simone Kadousche - Lagrange, arrêtée par Klaus Barbie et déportée à Auschwitz. 

Pour voir le site de l'exposition au Mémorial de la Shoah, cliquez ici

Extrait du journal télévisé d'Antenne 2 présenté 
par Bernard Rapp, document INA
Cliquez ici

Un entretien avec Jean-Olivier Viout, adjoint du procureur général Pierre Truche au procès de Klaus Barbie à Lyon, entretien mené par Florence Sturm pour France Culture.



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©Laurent Cerino (Crédits : Laurent Cerino)

Que peut apporter l'ouverture de ces archives judiciaires à la connaissance du dossier Barbie alors que le procès a été filmé, montré ? 
Y avait-il des choses que l'on ignorait encore ?

Tout était connu du procès Barbie. Le dossier a été largement diffusé aux différentes parties au procès. Tout a été débattu lors de l'audience mais la matière première qui constitue l'essence même de la procédure engagée contre Klaus Barbie, c'est évidemment le dossier. Et pouvoir avoir accès au dossier est un "plus" absolument considérable car l'audience criminelle de la cour d'assises est une audience où l'oralité prévaut mais où tout ne peut pas être exploité. Certaines pièces ne sont pas mises en lumière parce qu'elles ne présentent pas, ou ne semblent pas présenter d'utilité.
Le fait que l'intégralité des documents, des témoignages, des confrontations, des pièces d'archives puisse être réunie et que ce dossier soit accessible au public constitue, à mon avis, une avancée importante.

Ces archives judiciaires sont-elles importantes aussi pour comprendre la manière dont l'instruction a été menée ?

C'est une instruction ordinaire, avec le strict respect de toutes les règles de procédure au niveau de la communicabilité des pièces aux parties et de l'assistance de l'avocat dont a bénéficié Klaus Barbie. C'est un dossier d'instruction tout à fait classique, où vous avez l'enquête préliminaire, le procès verbal de première comparution, les confrontations, jusqu'à l'ordonnance de renvoi définitive, toutes ces pièces de procédure que l'on peut vérifier. Il est très important que celui qui demain, découvrira le dossier Barbie constate qu'il n'a pas été dérogé d'un iota à la procédure pénale classique réservée à tout un chacun.

Vous qui avez suivi cette procédure, ce procès, quels sont les éléments marquants que vous retenez ?

Si l'on devait résumer d'un mot le procès Barbie, je dirais que c'est le procès où l'indicible a été vaincu. Il y avait jusqu'au procès Barbie, une grande part d'indicible. Les victimes de Barbie ne parlaient pas, elles craignaient qu'on ne les croie pas, elles se voyaient gênantes en révélant ce qu'elles avaient subi. Puis est arrivé cet électrochoc du procès, où elles se sont dit " si à cette occasion-là, je ne parle pas, jamais plus je ne retrouverai l'occasion de le faire."
Le procès Barbie, c'est vraiment le procès de la parole donnée aux victimes, elles l'attendaient depuis des années et notre mémoire en avait besoin. Paradoxalement, c'est l'absence de Barbie au troisième jour de son procès qui a facilité les choses. L'oeil, le regard, le projecteur de l'actualité, ne se sont plus dirigés vers la bête sauvage jetée dans l'arène mais vers les victimes qui ont occupé le devant de la scène, et cela change tout.

Il y a eu ce débat juridique durant l'instruction du procès Barbie : devait-on étendre le concept de crimes contre l'humanité aux résistants ?

Pour les Juifs, il n'y avait bien sûr hélas, aucune difficulté. On était dans l'archétype de ce que l'on interprétait de la création du crime contre l'humanité décidé par les Alliés en 1945. Devait-on élargir cette notion de crimes contre l'humanité aux agissements de Barbie contre les résistants ? C'était important car si l'on ne reconnaissait pas l'existence d'un crime contre l'humanité à leur encontre, on était en présence d'un crime de guerre qui était prescrit, vingt ans après les faits, soit depuis 1964. La position du juge d'instruction de Lyon et de la chambre d'instruction de Lyon a été une position restrictive, cantonnant aux seules victimes juives les crimes contre l'humanité. Mais des associations de résistants ont formé un pourvoi en cassation. L'arrêt de la Cour a défini ce que l'on doit entendre par crime contre l'humanité et qui aujourd'hui est intégré dans le code pénal français, en vigueur depuis 1994.

Le crime contre l'humanité s'étend non seulement aux victimes civiles, qui n'ont pas pris part à des actes de résistance, mais également à tous ceux qui, sous le couvert de la Résistance, se sont opposés à la doctrine nazie. Barbie n'a pas réservé aux résistants le sort que l'on réserve aux prisonniers de guerre. Parce que Barbie a torturé les résistants, qu'il leur a réservé la déportation jusqu'à l'extrême souffle pour beaucoup, on était bien en présence d'un crime contre l'humanité. Et puis, on ne pouvait pas trier entre les victimes de Barbie. Le 11 août 1944, il y avait 650 voyageurs pour le dernier train de la mort qui a quitté Lyon. Fallait-il distinguer les voyageurs juifs des voyageurs résistants pour dire à ces derniers qu'ils seraient exclus du procès ? Et lorsqu'on était en présence d'un voyageur qui était à la fois juif et résistant, que devait-on faire ? D'où la position de la Cour de cassation, position extensive, que j'approuve personnellement.

Ces archives judiciaires peuvent elles être aussi utiles au présent, à l'instruction de dossiers en cours pour crimes de guerre ou crimes contre l'humanité ?

L'utilité n'est pas juridique. Aujourd'hui, le débat juridique est clos, il est clair. Mais l'intérêt d'être en possession de ces dossiers est d'avoir entre les mains la matière brute, l'intégralité des témoignages, de voir comment a été constitué un dossier, comment se monte une accusation, comment des charges sont réunies, comment l'on se défend contre ces charges. Les arguments de Barbie, développés tout au long de l'instruction ne sont pas sans intérêt. Pour celui qui voudra approfondir ce qui est essentiel, le débat qui s'est déroulé publiquement, qui était enregistré -il existe des archives audiovisuelles extraordinaires du procès Barbie- le dossier "papier" est tout de même un plus.

Le témoignage de Mme Simone Lagrange, questionnée par Barbie en juin 1944, 
quand elle s’appelait Simone Kadousche. 



Image empruntée ici

« J’étais alors âgée de treize ans. À notre arrivée à la Gestapo, place Bellecour, on nous as mis dans une salle du troisième étage, et c’est là que j’ai vu Barbie pour la première fois ! Il s’est avancé vers mes parents et moi, en caressant un gros chat gris avec douceur, et, sans élever la voix, il a demandé à ma mère si j’étais sa seule enfant. Maman lui répondit qu’elle en avait encore deux plus jeunes, mais qu’elle ne savait pas où elles étaient. À ce moment-là, Barbie, ignorant toujours mon père, s’approcha de moi et me demanda gentiment l’adresse de mes petits frères. Comme je lui disais que je ne la connaissais pas, il posa délicatement son chat sur la table et, brutalement, me donna une paire de gifles en me disant qu’il saurait bien les trouver tout seul. Le 7 juin, on est venu me chercher pour aller place Bellecour, où Barbie m’attendait pour me questionner de nouveau. Il me disait gentiment que, si je lui donnais l’adresse des petits, il nous mettrait tous les trois ensemble à l’hôpital de l’Antiquaille, que nous serions très bien soignés et que nous n’irions pas en déportation. Comme je lui répondais encore que je ne savais rien, il s’approcha de moi. J’avais à cette époque de très longs cheveux, qu’il enroula autour de sa main, et il me tira brusquement vers lui, et là, les gifles commencèrent à tomber, durant environ un quart d’heure. J’avais très mal, mais je ne voulais pas pleurer. Il me lâcha enfin, et je me retrouvai sur le plancher, mais, à coups de pied dans le ventre, il me força à me relever et me ramena lui-même en prison. Il dit à ma mère qu’elle n’avait pas de cœur de laisser frapper sa fille et que, si elle voulait parler, les interrogatoires s’arrêteraient là, puis il lui envoya quelques gifles. Nous nous sommes revus le 23 juin 1944, date à laquelle, avec maman, nous avons été transférées à Drancy, avant notre départ pour pour le camp de concentration d’Auschwitz, où maman a été brûlée le 23 août 1944. Quant à mon père, il a été abattu le 19 janvier 1945 lors de l’évacuation du camp.


Cité par Beate Klarsfeld dans Mémoires, Beate et Serge Klarsfeld, Fayard/Flammarion, pp : 351/352, 2015.

Simone Lagrange est décédée le 17 février 2016. 

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