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lundi 6 février 2017

VISITE À DACHAU, ÉTÉ 2007





©JL+L Encre de Chine

En 2007, après une visite à Dachau, j’ai écrit ce texte qui désormais vient en écho au film de Jonathan Hayoun, Sauver Auschwitz? 

En voici un extrait : 

(…) Nous nous approchons – nous sommes dans la banlieue de Dachau.  Je m’imaginais un camp perdu dans la campagne, la ville s’est étendue et le camp est désormais une enclave dans la ville. Je me demande comment on peut dire que l’on habite Dachau, comment on vit avec un passeport où Dachau figure comme lieu d’habitation, je me demande pourquoi on n’a pas débaptisé la ville pour la distinguer du camp. C’est peut-être ça voir son passé en face, mais un doute m’étreint et je me demande si la population n’est pas anesthésiée, immunisée. Le camp est là et sa présence est si familière qu’on ne le voit plus. Nous n’avons pas visité la ville dont on dit qu’avant 1933 elle était le Barbizon de la capitale bavaroise. Peintres et écrivains aimaient s’y retrouver. Qui se souvient de cela ? Ironie funeste quand on songe au dictateur qui se voyait peintre…


©JL+L Encre de Chine

Nous nous approchons, je me dis qu’il y a sûrement des cartes postales en vente dans la coquette petite ville, est-il possible d’envoyer une carte postale de Dachau ? Je me dis qu’il doit bien y avoir un club de football et des supporters qui encouragent leur équipe… Des pensées saugrenues m’assaillent ainsi tandis que je scrute les panneaux. C’est là, nous tournons à gauche en direction d’un grand parking. J’éprouve un sentiment de malaise car ce lieu de mort est devenu un site touristique. Je suis un touriste comme un autre, je suis venu pour voir, pour m’imprégner de ce paysage. Je reste pourtant sur mes gardes, à l’écoute du murmure des graviers, complainte lancinante des souffrances du passé. Je scrute les arbres, en quête d’un témoin muet des cohortes de prisonniers.



©JL+L Encre de Chine

Il faut marcher sur une distance d’environ 500 mètres avant d’atteindre le petit local où l’on peut se procurer le guide audio pour une modique somme. On écoute, on suit les chiffres qui correspondent à des stations, on choisit sa langue. Il y a quelques ouvrages en vente. Un local plus grand est en construction pour accueillir les visiteurs dans de meilleures conditions, j’espère qu’ils ne céderont pas à la tentation de vendre des souvenirs. (…) Nous progressons vers la grille d’entrée où l’on peut lire, « Arbeit Macht Frei ». La grille a été rénovée, les visiteurs s’acharnent sur leur appareil photo, je parviens à prendre un cliché, saisi au vol, vide de tout personnage. J’éprouve à nouveau un sentiment de malaise, suis-je un voyeur du passé ? Ma main se crispe sur mon appareil. La grille a été repeinte, il faut entretenir le souvenir des horreurs du passé sinon les traces s’estompent et rouillent au fil des années. Il n’y a pas d’autre solution, mais la réalité est en quelque sorte travestie, habillée de neuf. La foule n’a pas encore investi les lieux. Des groupes cheminent ici et là. Les bâtiments administratifs ont été conservés ainsi que quelques miradors. Le soleil est à son zénith, les pierres et les graviers sont d’une blancheur aveuglante. Une vaste esplanade nous fait face. Je sais que cet espace est peuplé de numéros, j’imagine la foule debout sous le soleil ou dans la froidure, j’entends les aboiements du passé. Prévu pour 9000 personnes, le KZ comptera à l’automne 44 plus de 35 000 détenus.

©JL+L Encre de Chine


Les anciens bâtiments de l’administration ont été convertis en musée. De salle en salle, on prend la mesure de la « vie » au camp. Sur les panneaux et dans les vitrines, des photos, des documents divers, des dessins, des écuelles, des bribes de vie, des lambeaux de vie, des plaies encore fraîches des tortures du passé. Dachau était un camp modèle, une véritable ville comprenant, outre les blocks destinés aux détenus, des casernes, des usines, des armureries et de jolies villas destinées aux officiers. Ce que nous voyons est en fait un camp en miniature. Il ne reste presque plus rien des dix-sept blocks – un block a été reconstruit et les autres sont délimités par des rectangles de pierres. Par une fenêtre, nous découvrons le mémorial international dédié à tous ceux qui sont morts en tentant de s’enfuir du camp – enchevêtrement qui suggère à la fois les membres décharnés des prisonniers et les barbelés qui étaient disposés en double rangée autour des blocks. Le panneau consacré aux expérimentations médicales est particulièrement éprouvant. Nous progressons lentement, le regard se perd, s’accroche à des détails puis se fixe à nouveau. Une assiette en fer-blanc m’impressionne plus particulièrement – témoin dérisoire et pourtant « vivant » des atrocités et des humiliations. Mon regard vagabonde et je remarque un panneau indiquant les toilettes, je songe aux latrines des prisonniers… Un dessin reproduit les scènes de flagellation. Le trait est mal assuré, le papier est jauni, les cris semblent jaillir des couleurs défraîchies.



©JL+L Encre de Chine

Un petit groupe se constitue de panneau en panneau et je remarque la présence de deux personnages d’environ vingt-cinq ans, deux brutes qui ressemblent aux tortionnaires d’antan. Ils sont grands, massifs, adipeux. L’un des deux arbore un T-shirt au message provocant inscrit en anglais. Il s’agit vraisemblablement d’un supporter de foot. Mon regard ne parvient pas à se détacher de son crâne rasé et de sa nuque repoussante. Son compagnon a une mise plus discrète. Je me pose des questions, je me rapproche d’eux afin d’essayer de saisir au vol quelques phrases, mais ils restent muets. Je les suis, je reste perplexe, est-ce moi qui projette un jugement négatif ? Ils passent de longues minutes à examiner chaque panneau. Écœuré par leur présence, je les fuis.




©JL+L Encre de Chine

Nous quittons les bâtiments administratifs pour nous rendre dans l’unique block reconstruit. Quelques châlits sont en place. Tout est d’une propreté impeccable. Je songe à la réalité, à la crasse, aux bagarres entre les prisonniers pour occuper la place du dessus afin de ne pas être aspergés par les excréments des autres prisonniers (…) Les deux brutes ont réapparu. Il est impossible que je me trompe, ils ne sont pas là pour se recueillir, ils sont là pour savourer… Nous nous dirigeons vers la chambre à gaz, nom de code : Baracke 10. Le modèle est classique : une pièce réservée au déshabillage, une chambre de douches camouflée et un crématoire. Les appareils photos crépitent dans la chambre des douches, je ne comprends pas ce désir malsain. Les deux brutes sont à nouveau avec nous. Celui qui a le crâne rasé s’approche des bouches « d’aération », regarde à l’intérieur. Que cherche-t-il ? Il semble observer cela avec le détachement du professionnel qui apprécie le travail bien fait. Suis-je en train de fabuler ? Je suis tenté de m’approcher de lui et de lui demander franchement ce qu’il en est. Des touristes américains sont également médusés par la présence des deux brutes.
J’ai lu depuis que ces chambres à gaz furent utilisées de manière expérimentale par le sinistre docteur Rascher… Il n’y a pas eu de gazage de masse à Dachau.

À l’extrémité du camp, nous découvrons trois lieux de recueillement dédiés aux trois religions : juive, protestante et catholique.




©JL+L Encre de Chine


Nous repartons en direction des grilles, les touristes affluent. La lumière est toujours aussi aveuglante. Je songe aux soldats américains qui ont libéré le camp le 29 avril 1945, je vois des images d’archives, j’entends les détonations des exécutions sommaires, mais je sais qu’il m’est impossible de véritablement appréhender la réalité des camps. Je suis condamné à rester au seuil de cette réalité. J’entends la voix de mon ami Herman Idélovici, l’infatigable témoin qui se rendit dans de nombreux établissements scolaires des Alpes Maritimes dans les années 1990. Grâce à lui, je me suis approché de cette réalité et sa vie est inscrite dans la mienne. Je l’entends me dire : « j’ai quitté les camps, mais les camps ne m’ont pas quitté »…



©JL+L Encre de Chine


Texte et encres: Jacques Lefebvre-Linetzky




dimanche 5 février 2017

SAUVER AUSCHWITZ? LA GUERRE DES MÉMOIRES



L'ombre d'Auschwitz… 


Image empruntée ici
Auschwitz © Maxppp / Armin Weigel

Le 27 janvier dernier, comme chaque 27 janvier, l’ombre d’Auschwitz a plané sur le monde – le camp fut libéré par les troupes soviétiques le 27 janvier 1945. Comme chaque année, les médias se sont fait l’écho de cet anniversaire. Le mardi 24 janvier, Arte a diffusé de nombreux documentaires dont un document particulièrement intéressant, intitulé, « Sauver Auschwitz ? » - le point d’interrogation est essentiel. Le « pourquoi » relève de l’évidence, mais le « comment » reste à inventer au fil des années, de génération en génération.

Cette même semaine, France 3 Côte d’Azur a consacré une série de reportages aux Voyages de la Mémoire organisés par le Département des Alpes Maritimes depuis 13 ans. Le visage ému de ces collégiens contrastait avec l’alacrité des touristes qui se rendent sur le site pendant les mois d’été. C’était réconfortant de lire sur ces visages d’enfants un tel recueillement, une telle gravité.


Sauver Auschwitz ? (2017) 
un documentaire de Jonathan Hayoun

Avec le soutien de la Fondation Pour la Mémoire de la Shoah.
Une production Effervescence
Pour consulter le site, cliquez ici 



Image empruntée ici

Un lieu de cendres et de boutiques à souvenirs

Auschwitz est un lieu que l’on visite, un lieu de cendres et de boutiques à souvenirs. Les cars déversent leurs lots de touristes inlassablement, des parkings ont été aménagés pour permettre aux voitures de se garer bien sagement. On y vient en famille, une glace à la main… Il est pourtant interdit de manger, de mâcher du chewing-gum, de photographier, mais comment surveiller pareil espace ?
Non loin des anciennes chambres à gaz, de coquettes petites maisons ont été construites. Ironiquement, on songe à la résidence du commandant du camp, Rudolf Höss, si proprette, à deux pas de l’horreur lorsque l’usine de la mort fonctionnait à plein régime.

Le réalisateur du film, Jonathan Hayoun, raconte Auschwitz depuis sa libération en janvier 1945.