Michel Remy, le 27 juin 2016, RCN
Michel Remy, professeur émérite des universités, qui réside
à Beuil, nous a fait l’amitié de venir nous parler à l’antenne de RCN de son
village et des recherches qu’il a entreprises.
Un lieu chargé d’histoire…
Beuil
« Beuil a gagné son indépendance par toute une
série d’alliances et de mariages. C’est Louis XIV qui a mis fin à ce statut
dans les années 1600. C'est un village
médiéval, il n’y a pratiquement aucun bâtiment moderne.
Un village médiéval
C’est un village
magnifiquement conservé. Depuis que je m’y suis installé, je me suis intéressé
à l’histoire de Beuil. Lors d’une exposition que j’avais organisée très
récemment sur la Résistance à Beuil où
il y avait un maquis très important, j’ai découvert que Beuil avait joué un rôle déterminant dans le
sauvetage de nombreuses familles juives. C’est ce qui m’a donné l’idée de
développer cette recherche grâce à des témoignages et des entretiens avec les
gens du village qui, encore à l’heure actuelle, se souviennent de cette
période.
Plaque
L’Occupation s’articule en gros autour de ce fameux septembre noir de 1943. Avant, il y a eu, comme à Nice, l’occupation des Italiens qui ne sont même pas montés à Beuil véritablement. La situation était donc relativement calme. En septembre 1943, lors des rafles organisées par le sinistre Aloïs Brunner à Nice, de nombreuses familles juives qui, auparavant dans les années 30 avaient l’habitude d’aller passer des vacances à Beuil, se sont sauvées quasi en masse, si je puis dire, dans les villages de l’arrière-pays, dont Beuil. De septembre 1943 à juin 1944, les familles ont été cachées, ont été hébergées et malgré la montée relativement fréquente – à peu près une fois par mois – d’une voiture de la Gestapo pour faire une enquête ou des choses de ce genre, le village a gardé une sorte de liberté « surveillée ». Dès juin 1944, après le débarquement de Normandie, le maquis s’est installé à Beuil et là, les habitants et les familles de réfugiés ont été un peu plus tranquilles parce que le maquis avait pris position dans le village de Beuil lui-même. En outre, les Allemands, très occupés à d’autres tâches, sont montés beaucoup moins fréquemment.
Un lieu stratégique
La route qui mène à Beuil
Beuil se trouve sur la route qui monte de Touët-sur-Var par les gorges du
Cians. Après Beuil, si on continue, on arrive à Valberg et on redescend par
Guillaumes sur les gorges de Daluis. Il y a donc là une sorte de boucle
qui est tout à fait propice à la
défense. Les gorges du Cians sont extrêmement étroites et un groupe d’une vingtaine
de maquisards peut très bien arrêter une
troupe de 200, voire de 300 envahisseurs.
Le village est sur un promontoire rocheux et derrière
le village il y a les forêts de mélèzes et surtout les granges des habitants.
L’hiver, les habitants passaient leurs journées dans le village à réparer tel
ou tel élément de leur maison. Dès le
printemps, ils montaient avec leurs
bêtes vers les estives – les granges qu’ils avaient à droite et à gauche. Cela
permettait d’utiliser les granges comme lieux de refuge, comme lieux de caches.
La forêt toute proche
Des héros discrets
Lors de mes entretiens et de mes recherches, les gens
n’ont absolument pas tiré gloire de ce qu'ils avaient fait pendant la guerre. Il y a eu quand même deux ou trois personnes qui sont
sorties du lot, mais je ne voudrais pas qu’elles occultent le rôle
« obscur », mais néanmoins essentiel, des paysans, des fermiers et
des habitants de Beuil. La personne peut-être la plus importante était
quelqu’un qui s’appelait Sébastien Di Carlo et qui était le propriétaire d’un hôtel qui existe
toujours d’ailleurs, l’hôtel du Cians. C’est un très grand hôtel dont le premier
étage, à partir de juin 1944, a été réservé au Maquis. Les deuxième et troisième
étages étaient occupés par des familles juives
qui s’étaient enfuies de Nice. Cet hôtel est adossé à la colline, ce qui
permettait aux personnes de sauter par la fenêtre en cas d’alerte. L’hôtel du
Cians avait également aménagé une cache à l’intérieur au cas ou quelqu’un se
serait laissé surprendre. Dernière chose, les enfants de Di Carlo qui habitent
toujours Beuil, étaient postés au dernier étage de l’hôtel d’où on a une
vue panoramique sur la sortie des gorges du Cians. On pouvait donc voir les
voitures de la Gestapo ou de la milice monter. Les personnes qui s’en
souviennent m’ont rapporté que ces
voitures étaient tout à fait reconnaissables parce que les jantes de ces
Citroën étaient jaunes. À la moindre alerte, les réfugiés pouvaient
aller se cacher dans les granges ou dans la forêt.
Le « docteur miracle »
Le docteur Wiener, le papa
de la romancière Michèle Kahn, s’est réfugié à Nice dès le 10 septembre 1943.
Raflé dans un premier temps, il est parvenu à s’enfuir grâce à la complicité
d’un commissaire de police qui faisait partie de la Résistance. Le docteur
Wiener s’est réfugié avec 7 autres membres de sa famille à Beuil. La petite
Michèle Kahn a donc vécu au village à partir de septembre 1943 jusqu’après la
libération. Son papa est devenu extrêmement célèbre dans toute la région et il
a été surnommé « le docteur miracle ». Il a soigné énormément de gens
en exerçant illégalement sa profession. La trace qu’il a laissée est absolument
indélébile tant il a montré de courage et de dévouement. Michèle Kahn nous
raconte cela dans son dernier roman, Un soir à Sanary où une soixantaine de
pages sont consacrées à Beuil. Les Wiener étaient hébergés par la famille
Pourchier dont le père à ce moment-là était lieutenant-colonel. À la suite
d’une dénonciation, il a été arrêté, déporté et exécuté au Struthof.
Michèle Kahn de retour à Beuil
C’est à la suite d’une série de circonstances assez complexes que Michèle Kahn a appris que
j’avais fait des recherches à propos des familles juives réfugiées à Beuil
pendant la guerre. Prenant contact avec moi, elle a ensuite manifesté le désir
de venir à Beuil pour se remémorer l’atmosphère et les paysages de sa petite
enfance. À l’époque, elle terminait Un
soir à Sanary. Elle a donc passé trois jours à Beuil et elle a rencontré
toutes ces vieilles personnes dont elle avait entendu parler et qui avaient
joué un rôle, sans le savoir d’ailleurs, pendant la guerre. Cela a été un
rendez-vous particulièrement émouvant pour les habitants qui, 70 ans après,
avaient les larmes aux yeux en la voyant. Elle a terminé son roman à Beuil et
elle a promis qu’elle viendrait faire une signature au moment de la sortie.
Michèle Kahn
Elle est donc arrivée au mois de mai et une réception a été organisée par monsieur
le Maire, Stéphane Simonini, un maire extrêmement éclairé et totalement
impliqué. Au moment de la signature, elle a offert au village, le brassard FFI
de son papa. Ces retrouvailles furent l’occasion d’échanges touchants et
saisissants.
Michèle Kahn remet à Stéphane Simonini, maire de Beuil,
le brassard du docteur Wiener
Un comportement d’exception
Comment se fait-il que Beuil, avec 350 habitants à ce
moment-là, ait pu sauver 110 à 120 personnes juives sans qu’il y ait jamais le
moindre souci d’une éventuelle dénonciation ou de délation ? La réponse a
été toujours la même. On me dit « mais écoutez, qu’est-ce que vous vouliez
qu’on fasse, il y avait des enfants, on ne pouvait pas faire autrement. Et
puis, ces pauvres gens qui étaient là, c’était à nous de les
sauver ». Il est vrai que Beuil, avec cette tradition d’indépendance,
de fierté, a toujours voulu garder son identité. Hier encore, j’interviewais
une vieille personne qui m’a déclaré que tout le monde était solidaire et avait
fait preuve d’une extraordinaire humanité.
Un dossier déposé auprès de Yad Vashem
Le dossier me semble pas trop mal engagé. J’ai
rassemblé les souvenirs des sauveurs et j’ai essayé de les faire correspondre
aux souvenirs des sauvés. J’ai une dizaine de familles juives qui m’ont envoyé
des témoignages qui coïncident avec les déclarations des personnes qui vivent
encore à Beuil. J’ai quelques problèmes avec certaines familles dont je ne
parviens pas à retrouver les descendants ou même le moindre nom. En
particulier, il y a trois familles que j’aimerais bien contacter, les familles
Chiprout, Grolleau et Ismuc. Le dossier avance, je pense que cela sera bouclé
pour le mois de septembre et là, j’aimerais que Beuil soit effectivement salué,
reconnu comme étant un village de Justes. Nous essayons également de contacter
la famille de Nina Companeez, hébergée à Beuil, mais 70 ans après, ce n’est pas
très facile.
La petite Mimi le 14 juillet 1944
Un mois après le débarquement de Provence
La photo où l’on voit Michèle Kahn, la petite Mimi,
se trouve sur la place de l’église, c’est le 14 juillet 1944 lorsqu’a été
proclamée la République de Beuil et où étaient présents tout le village de
Beuil avec les FFI. Au premier rang, Michèle Kahn, une petite blondinette en
robe blanche. C’est très émouvant. »
La petite Mimi au premier rang, au centre de la photo
Un soir à Sanary, extraits
« Durant le trajet,
les gens répétaient les hauts faits de leur bon docteur comme racontant des
légendes, chacun y allant de la sienne. Il a dépanné la boulangère qui s’était planté un hameçon
dans le nez. Il a sauvé le bras droit du petit Henri Dahon. Henri s’amusait à
la barrière, la barrière est partie et le gamin avec. Coude cassé. Comme plusieurs mois étaient passés sans
amélioration, le médecin a voulu l’amputer. La mère s’est donc adressée au
docteur Wiener, qui l’avait – illégalement bien sûr – soignée d’une diphtérie,
pour lui demander conseil. Celui-ci l’a envoyée consulter un médecin à Nice,
qui a opéré Henri. Au retour, Sali a fait faire au gamin des mouvements de
rééducation. Maintenant Henri a les deux bras vifs comme des ailes de moulin.
On raconta aussi comment
le docteur se faufilait dans les sentiers, afin de n’être vu de personne,
lorsqu’il allait soigner des malades à Valberg. Il a sauvé Maryse Guibert, qui
à trois mois vomissait du sang parce que, a-t-il découvert, une portion
d’intestin lui était entrée dans une autre portion. Et il a sauvé le fils d’un
berger dont j’ai oublié le nom. Appelé un soir d’hiver dans la ferme si
éloignée de tout qu’il n’a pas pu s’y rendre qu’avec des raquettes, le jeune
médecin de trente ans a trouvé un bébé suffocant sous quarante degrés de
fièvre. L’enfant risquait de ne pas atteindre le bout de la nuit, et le long
transport vers l’hôpital ne pouvait que lui être fatal. Tremblant de ce qu’il
osait faire, il a roulé le bébé dans la neige puis l’a veillé jusqu’au matin.
La fièvre est alors tombée.
Un passager du car a dit
que c’était quelqu’un qui aimait les gens, et tous ont approuvé. D’ailleurs, a
ajouté une paysanne qui veillait sur un énorme panier de champignons, il était
connu comme le loup blanc.
Dire qu’à l’origine il est
venu ici pour se cacher ! »
Un soir à Sanary, Michèle Kahn, Le Passage, 2016, p. 92.
« L’hiver est rude à
Beuil. Tonnes de neige pendant quatre mois. Je me suis rompu les reins et
tétanisé les muscles en déneigeant devant chez nous. Cependant chaque flocon me
semblait être une plume d’ange. Ces masses de plumes formaient un édredon
superbe et salutaire, qui nous protégeait de l’ennemi. Avec un peu de chance,
il nous couvrirait jusqu’au débarquement allié tant espéré… En promenade dans
la forêt, nous écoutions pleins de bonheur les branches craquer sous le poids
de la neige. »
Un soir à Sanary, Michèle Kahn, Le Passage, 2016, p. 109.
« Dans les familles
beuilloises aussi, on s’est dévoué. Une famille Garnier cachait dans sa
campagne de Saint-Pierre deux enfants juifs dont les parents demeuraient à
Beuil. Leur charmante fille Marie-Louise Garnier, qui effectuait chaque jour
l’aller-retour pour fréquenter l’école de Beuil, savait qu’il fallait n’en
souffler mot à personne. Alors qu’elle aurait pu partager son expérience avec
sa copine Simone Chaix, qui a tous les repas voyait quatre ou cinq réfugiés
juifs à la table de famille. Ou avec son copain Clément Pourchier dont le
cousin Ernest Féraud hébergeait une famille entière dans une chambre en haut de
sa maison.
Face à des gens pareils,
on se sent avare, mesquin, de n’avoir sauvé que sa propre peau. »
Un soir à Sanary, Michèle Kahn, Le Passage, 2016, p. 118.
Pour consulter le site de Beuil, cliquez ici
Entretien, photographies et mise en page :
Jacques Lefebvre-Linetzky
très intéressant Beuil est un village que j'aime beaucoup ayant loué pendant plusieurs années un appartement dans le village (1967-1972). Etant moi même juive j;ai été très étonnée en lisant le livre de Michèle Kahn .En effet je n'ai jamais su que Beuil est village de justes ?Votre blog me donne la réponse et j'aimerais être alertée de la date de la cérémonie.C'est un sujet qui me touche j'ai déjà participé èla marche du souvenir à Saint Martin de Vesubie ?merci voici mes coodonnés
RépondreSupprimerMerci de ce commentaire. Nous ne manquerons pas de publier un commentaire ici dès que nous en saurons davantage sur ce dossier, et sur la reconnaissance que ce village devrait recevoir.
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