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samedi 9 janvier 2016

LE GARÇON EN PYJAMA RAYÉ, UNE FABLE POUR TRANSMETTRE...




Le garçon en pyjama rayé de John Boyne, a été publié en 2006. Il s’est vendu à 6 millions d’exemplaires et a été traduit en plus de 40 langues. Il paraît en français dans la collection Folio junior (Gallimard Jeunesse, traduit de l’anglais par Catherine Gibert.) et la lecture en est conseillée aux plus de 12 ans. Il s’agit donc d’un livre pour adolescents.

La couverture est simple, discrète – un grammage qui rappelle l’étoffe des vêtements des déportés, des rayures bleu-gris alternent avec des rayures gris-clair. Il s’agit d’évoquer, de suggérer, de ne pas alourdir le message. La couverture est une invitation à découvrir le texte. Au dos, il est précisé qu’il n’y a pas de résumé pour que le sujet ne soit pas défloré.


L’édition en anglais parue en 2008 s’appuie sur la version cinématographique réalisée par Mark Hellman et sortie sur les écrans cette même année. La couverture est explicite et rompt la magie de la découverte. Une légende figure au bas de l’image : Une histoire d’innocence dans un monde d’ignorance. Le film semble se substituer au texte afin d’assurer une couverture médiatique la plus large possible.

Une fable

Il s’agit d’une fable ainsi que l’annonce clairement John Boyne.

Du latin « fabula » qui signifie « parole », une fable est un récit imaginaire dont le but est d’illustrer une morale. C’est un texte bref – écrit en vers ou en prose – dont les principaux personnages sont le plus souvent des animaux ou des éléments de la nature auxquels l’être humain s’identifie. La morale éclaire le texte de façon didactique.

Dans le texte de John Boyne,  il n’y a pas d’animaux, le merveilleux n’est pas évident dans un contexte reconnaissable, mais le récit à une portée morale et pédagogique. Le propos est fort et il invite le jeune lecteur à s’interroger, à creuser plus loin. Ce travail requiert un accompagnement, un échange avec des adultes. C’est ce qui assure à cette fable une force toute particulière.

Un pays, une période de l’Histoire

Un lecteur adulte n’aura aucune peine à reconnaître la période nazie. Le monde tel qu’il est perçu à travers le regard de Bruno, le jeune enfant allemand, est teinté d’irréel. Bruno est sensible à la magie des uniformes, aux fastes du régime dont il ne perçoit pas la malfaisance. Il est en quête de merveilleux et il se construit des mondes parallèles comme le font tous les enfants. Il est triste de quitter sa maison de Berlin parce que c’est un formidable terrain de jeux et notamment la rampe qui lui permet de folles glissades. Il déteste la nouvelle maison dans laquelle la famille doit s’installer et, naturellement, il cherche à s’en échapper pour découvrir l’autre monde qui se situe de « l‘autre côté de la barrière ». À la manière d’Alice, il passe de l’autre côté du miroir.
Le glissement dans l’irréel se fait également par le truchement des mots déformés par l’enfant. Le maître du pays est « le fourreur » et la nouvelle maison se trouve dans un lieu indéterminé qui s’appelle « Hoche-Vite ». La réalité transparaît à travers ces noms, mais elle propose un décalage particulièrement propice au monde de la fable dont l’ancrage est à la fois dans le réel et l’irréel. On imagine le casse-tête des traducteurs afin de trouver des équivalents à l’anglais, « The Fury » et « Out-With ».
Il y a également une omission révélatrice, un terme que l’on ne prononce pas, une sorte d’interdit lexical qui justement attire l’attention par sa non présence et lui attribue une force particulière lorsqu’il figure pour la première fois dans le texte. Ce n’est qu’à la page 173 de l’édition française que le terme « Juif » apparaît en toutes lettres. La révélation doit sa force au déni qui l’a précédée.

Le narrateur, la narration

Le lecteur a l’impression qu’il voit le monde à travers le regard de Bruno, mais ce n’est pas Bruno qui raconte l’histoire. Le narrateur est un narrateur omniscient, il sait tout, il voit tout, il contrôle l’histoire en quelque sorte. Dans ce cas précis, le narrateur embrasse le regard de l’enfant, ce qui donne une impression de fausse subjectivité et permet au lecteur d’être à la fois dans le monde du réel et dans l’imaginaire de Bruno. La construction narrative est dynamique. Chaque chapitre est précédé d’un titre évocateur et correspond à des scènes fortes destinées à impressionner (et à intéresser) un jeune lecteur. Le récit fonctionne sur un schéma d’oppositions binaires : Berlin-Hoche-Vitte ; les parents-les grands-parents ; le père-la mère ; le frère-la sœur ; Bruno-Shmuel ; la maison-le camp, etc.. Ce système d’opposition est celui de la fable ou de tout récit fantastique.
  

La figure du père

Il inspire à Bruno un mélange d’admiration, d’effroi et de respect. C’est un personnage « majuscule » que l’enfant appelle « Père ». On ne conteste pas les décisions du père, d’autant plus qu’il est au service d’une présence encore plus dominatrice et mystérieuse que l’enfant appelle « le fourreur ». L’autorité de « Père » ne peut être contestée et c’est son bureau, à l’intérieur de la maison qui représente le lieu de sa souveraineté. Toutefois, son vrai travail reste mystérieux. On sait simplement qu’il travaille beaucoup et qu’il est au service du « fourreur ». Dans cette fable qui est aussi un conte, il y a deux ogres. Celui qui dirige la nation et le père qui est une figure plus « civilisée » de l’ogre. Mais, aux yeux de l’enfant, le père, plus grand et plus élégant dans son bel uniforme, éclipse le dictateur, plus petit et sans prestance. John Boyne parvient à rendre crédible le personnage du père en raison de son ancrage familial. Il est un chef de famille, il a des parents, une mère qui porte un regard sévère sur ses activités, une épouse le plus souvent soumise qui parfois lui tient tête. La réalité de cet univers familial, somme toute assez banale, s’oppose au mystère d’une horreur qui n’est pas clairement définie. Le père de Bruno, qui se prénomme Ralph, est un double du véritable commandant du camp d’Auschwitz, Rudolf Höss (1900-1947), monstre d’inhumanité et paisible père de famille dévoué à son chef. 


Le déguisement

La grande initiatrice du déguisement, c’est la grand-mère de Bruno, une ancienne cantatrice qui organise des fêtes pour les enfants et qui s’avère être la seule à voir juste dans ce monde aux valeurs bafouées. C’est une gentille sorcière dont Bruno apprécie la créativité : « Ce qu’il préférait, c’étaient les costumes que Grand-mère confectionnait à chacun. Quel que fût son rôle, la modicité du texte qu’il avait en comparaison de sa sœur ou de sa grand-mère, Bruno était toujours habillé en prince, en cheik arabe et même, une fois, en gladiateur romain », p. 87.
L’uniforme du père est aussi un déguisement aux yeux de l’enfant qui en apprécie la somptueuse théâtralité. L’uniforme est une transformation du réel, celui qui le porte est investi d’une aura qui émerveille Bruno. Il est d’ailleurs très étonné lorsqu’il voit le lieutenant Kotler, attaché au service de son père, en bras de chemise. Le vêtement a une portée symbolique évidente dans cette fable. La blouse blanche du majordome est aussi celle du médecin qu’il était jadis, dans une autre vie. Et les détenus portent des pyjamas. Enfin, cette fascination pour le déguisement est le moteur même du récit, puisque Bruno ne rêve que d’endosser la tenue de son ami, Shmuel.

La grande sœur, Gretel

Elle a douze ans, trois ans de plus que Bruno et c’est « un cas désespéré ». Entourée de poupées, elle appartient au monde des filles que Bruno ne comprend pas très bien même s’il accorde à sa sœur une certaine maturité. Elle bascule dans l’adolescence au fil du récit. Elle éprouve une attirance marquée pour le lieutenant Kotler et, influencée par les leçons d’histoire de son précepteur, elle épouse la cause nazie et se passionne pour les conquêtes des armées du Fürher. Ce n’est que dans l’ultime chapitre que l’on découvre ses véritables sentiments pour son petit frère.

Shmuel

C’est le jumeau de Bruno, né le même jour, la même année. Il est le compagnon de jeu dont Bruno a toujours rêvé, une sorte de miroir de ce qu’il est et de ce qu’il n’est pas. Il va même jusqu’à se transformer à son image. La quête du double, de même que celle du déguisement, fait partie de la construction de la personnalité et elle s’inscrit tout naturellement dans le monde tel qu’il est perçu par Bruno. La première rencontre avec Shmuel décrit l’enfant avec précision, mais elle est source d’interrogations et c’est ce qui lui confère toute sa force :
« Il était plus petit que Bruno, qui le trouva assis par terre, l’air triste. Le garçon portait le même pyjama rayé que tous les gens de son côté de la barrière, avec le calot assorti. Il n’avait ni chaussures ni chaussettes et ses pieds étaient sales. Il avait aussi un brassard orné d’une étoile.
Quand Bruno fut assez près, il constata que le garçon était assis en tailleur et fixait la poussière au sol. À l’arrivée de Bruno, il leva la tête et Bruno découvrit son visage. Un drôle de visage. Il avait la peau presque grise, mais d’un gris que Bruno ne connaissait pas. Et de grands yeux couleur caramel, dont le blanc était très blanc. Deux immenses yeux désolés qui mangeaient son visage et fixaient Bruno. » (p.103)

Le film

Image empruntée ici

Le film de Mark Hellman a reçu de nombreuses récompenses et un bon accueil du public. Mais il a été également l’objet de critiques soulignant quelques invraisemblances. On n’imagine pas un enfant s’approcher si près des barbelés et l’apparente bonne santé physique de Shmuel est difficile à accepter, voire à supporter,  lorsqu’elle apparaît en gros plan sur l’écran. D’autres critiques portent sur  le message sous-jacent qui tenterait de faire croire que la vie dans les camps n’était pas si terrible puisque des enfants pouvaient communiquer de part et d’autre des barbelés électrifiés. Quelques adolescents, ont survécu à Auschwitz. Selon le site, Holocaust Encyclopedia, (cliquez ici), sur un total de 216 000 adolescents juifs déportés à Auschwitz, seuls 6700 ont été affectés à des travaux forcés, les autres ont  été immédiatement gazés à leur arrivée. Lorsque le camp a été libéré le 27 janvier 1947, l’armée soviétique n’a décompté que 451 enfants juifs sur un total de 9000 survivants.

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Par ailleurs, certains choix effectués par le réalisateur éliminent une grande partie de la force du récit. Le film s’ouvre directement sur l’installation dans la nouvelle maison et l’opposition avec la maison de Berlin ne joue plus sa fonction de prologue. Les jeux lexicaux sont absents du film qui privilégie une approche réaliste de l’histoire au détriment de la dimension irréelle choisie par l’auteur du livre. Ce qui est source d’interrogation dans la fable devient une sorte d’évidence dans le film. Alors que l’imaginaire du lecteur est sans cesse sollicité, le spectateur du film peut être amené à croire qu’il s’agit là d’une histoire vraie. Cette ambiguïté fondamentale est la grande faiblesse de ce film.

Qui est John Boyne ?

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John Boyne est un auteur irlandais né en 1971 à Dublin. Il étudie la littérature anglaise au Trinity College de Dublin, puis la création littéraire (creative writing) à l’université d’East Anglia, en Angleterre. À 20 ans, alors qu’il est encore étudiant, il commence à écrire des nouvelles, dont une série est publiée dans la presse, notamment dans le Sunday Tribune. Il obtient bien vite un succès considérable, ainsi que de nombreux prix de littérature irlandaise.

Paru en 2006, Le garçon en pyjama rayé a suscité l’enthousiasme des lecteurs et des critiques.

John Boyne publie, The Thief of Time,  son premier roman pour adultes, en 2000. Le héros, Matthew Zela, découvre au XVIIIe siècle que son corps ne vieillit pas… Il a 256 ans à la fin du XXe siècle. En 2004, paraît, Crippen : A Novel of Murder à propos du docteur Hawley Crippen, arrêté avec sa maîtresse à bord du paquebot Montrose pour le meurtre de son épouse Cora. Le cas du docteur Crippen est resté célèbre car c’est la première fois qu’un assassin est arrêté grâce aux transmissions radio. John Boyne aime tricoter des histoires à partir de faits historiques. Ainsi, il « revisite » l’histoire des révoltés du Bounty en 2008 en mettant en scène le valet du capitaine Bligh dans Mutiny On The Bounty. Son roman le plus achevé est vraisemblablement, The Absolutist (Le secret de Tristan Sadler, traduit par Cathie Fidler, 2015). Il s’agit d’une fiction dont l’essentiel de l’action se déroule dans les tranchées lors de la Première Guerre mondiale. Plus récemment, il a publié un roman, A History of Loneliness, qui explore avec courage les abus sexuels commis par des prêtres dans des pensionnats catholiques en Irlande.

Parallèlement à cette production très prolifique, John Boyne a écrit de nombreux ouvrages pour enfants. On retiendra The Terrible Thing That Happened to Benjamin Brocket, 2012 (Barnabé ou la vie en l’air) ; Stay Where You Are and Then Leave, 2013 (Mon père est parti à la guerre).

Textes et mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky avec la collaboration de Michèle Merowka. 







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