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International Swimming Hall of Fame, Fort Lauderdale, Fla, USA.
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Il a fait l’objet de nombreux articles dans la
presse récemment car, lors du week-end du 17 au 19 mai 2019, il a fait son
entrée à l’International Swimming Hall of
Fame de Fort Lauderdale en Floride aux États-Unis. Il est le
neuvième sportif français que l'on célèbre au sein de ce musée dédié à la
natation internationale depuis les années 1960. Alain Bernard, Laure Manaudou
ou encore Camille Muffat font partie de cette sélection prestigieuse.
Piscine Alfred Nakache, Toulouse
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Il aura fallu 35 ans pour qu’Alfred Nakache
soit ainsi honoré. En France, de nombreux bassins portent son nom, notamment la
piscine municipale de Toulouse. En 1993, l’État d’Israël lui a décerné à titre
posthume le Trophée du Grand exemple,
au Musée du sport juif international.
Alfred Nakache était un nageur hors du commun,
une personnalité chaleureuse et généreuse au parcours exceptionnel.
Capture d'écran
Alfred Nakache, le nageur d'Auschwitz, Christian Meunier, 2001
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Une légende
L’AMEJDAM croit au travail de mémoire, cela va
de soi. Les plaques posées dans les écoles témoignent de la détermination sans
faille des membres de l’association.
Il est essentiel de perpétuer la mémoire de ces
enfants, comme il est essentiel que les enfants d’aujourd’hui soient informés
et puissent ensuite transmettre le témoin. Pour ce faire, il nous semble
important de proposer des récits, de raconter la vie de celles et ceux dont le
parcours est exemplaire. Alfred Nakache est un athlète inoubliable, un homme à qui on aurait aimé serrer la main, comme pour partager sa force et sa noblesse, l'espace d'un instant.
Constantine en 1916
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Il est né à
Constantine (Algérie Française) en 1915 au sein d’une famille de 10 enfants. On
dit qu’il n’aimait pas l’eau lorsqu’il était enfant. Il a toutefois des dispositions naturelles et bientôt, on le surnomme Artem, le poisson en hébreu. À l’âge de
16 ans, il devient champion de natation d’Afrique du Nord et se spécialise dans
la brasse papillon alors peu connue. Il se rend en France et participe aux
championnats de France de natation. En 1935, il est le chef de file de la
natation française au 100 m nage libre. Il accumule les records et les titres.
En 1936, il participe aux Jeux de Berlin et termine quatrième avec le relais 4 x 200 m nage libre devant l’Allemagne avec ses copains, Jean Taris, René Cavalero
et Christian Talli. Il épouse Paule El Bèze en 1937.
En 1939, il devient professeur d’éducation physique. Du jour au lendemain, il ne peut plus exercer son métier de professeur en raison de la loi du 3 octobre 1940 "portant statut des Juifs", il est déchu de sa nationalité.
Le relais 4 x 200m de 1938: Alfred Nakache, René Cavalero, Roland Pallard
et Christian Talli. @ France/Gamma/Keystone via Getty Images.
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En 1939, il devient professeur d’éducation physique. Du jour au lendemain, il ne peut plus exercer son métier de professeur en raison de la loi du 3 octobre 1940 "portant statut des Juifs", il est déchu de sa nationalité.
Lumières et ténèbres
Il part pour
Toulouse en 1940 avec son épouse et leur petite fille, Annie. Il s’inscrit aux
Dauphins du TOEC (Toulouse Olympique Étudiants Club). Le dirigeant du club, M.
Mauran, achète un gymnase et le met à la disposition d’Alfred et de son épouse.
Alfred Nakache en 1941 à Toulouse
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L’année 1941
est fabuleuse pour l’athlète. Le 6 juillet 1941, il s’empare du record du monde
du 200 mètres brasse, détenu par l’Américain Kasley et pulvérise le record
d’Europe que détenait l’Allemand Balke. En 1942, il obtient 8 titres de
champion de France. Il a un physique impressionnant, une puissance concentrée
dans les bras et les épaules. En cela, il est très différent des nageurs de l’époque
dont le style était beaucoup plus fluide.
Adulé depuis
tant d’années, le champion devient pourtant très vite la cible de la presse
pétainiste antisémite. En 1943, la Fédération Nationale de Natation décide
d’organiser les championnats de France à Toulouse pour permettre à Alfred
Nakache d’y participer. Les Allemands s’opposent à cette participation. De
nombreux nageurs déclarent forfait en soutien à Alfred Nakache.
Intérieur de la prison Saint-Michel à Toulouse (2002)
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En novembre
1943, il est arrêté à la suite d’une dénonciation, ainsi que Paule et leur petite fille Annie,
âgée d’un peu plus de deux ans. Le 26 décembre 1943, les Nakache sont
transférés à Drancy. Enfin, le 20 janvier 1944, ils sont déportés de Drancy à
Auschwitz. Paule et Annie sont gazées à leur arrivée, Alfred ne l’apprendra que
beaucoup plus tard. Il est reconnu par l’un des officiers chargés de la
sélection qui l’envoie travailler à l’infirmerie. Son physique et son mental
lui permettent de résister. Il fait de son mieux pour aider ses codétenus. Sa
légende continue de se construire à son insu : il organise des bains (clandestins, bien sûr) dans
les réservoirs d’eau d’Auschwitz, il plonge afin de repêcher le poignard d’un
officier (à sa demande)… Il survit à la Marche de la mort et il est libéré le 11 avril 1945 à
Buchenwald par les troupes américaines. Au terme de ces terribles épreuves, il
ne pèse plus que 42 kg.
Vivre, malgré tout et vaincre, plus que tout
Il retourne à
Toulouse. Brisé par l’horreur concentrationnaire et par la disparition de son
épouse et de sa petite fille, il reprend l’entraînement avec une rage décuplée.
Dès le mois d’août 1945, il remporte
trois titres de champion de France et il est finaliste en water-polo. Il bat le record du monde du relais 3 x 100 m l’année suivante, moins d’un an après sa libération de Buchenwald. En 1948, il
participe aux premiers Jeux olympiques d’été de l’après-guerre à Londres. Son
équipe s’adjuge un nouveau record du monde du 3 x 100 mètres, trois nages.
Alfred Nakache en 1946
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En 1952, il se
remarie. Il est professeur au lycée de Toulouse (il a retrouvé son poste en
juillet 1945) et intervient au Toulouse Football Club en tant que
kinésithérapeute. Il s'occupe d'enfants, il leur apprend à nager avec une gentillesse et un dévouement admirables. De 1972 à 1976, il vit à la Réunion où il crée un club de
natation. Il enseigne à l’Université.
Une fois à la
retraite, il se retire sur les bords de la Méditerranée entre Sète et Cerbère.
Le 4 août 1984, il meurt d’une crise cardiaque alors qu’il s’apprêtait à nager
son kilomètre quotidien.
Deux magnifiques documentaires
rendent hommage
à Alfred Nakache.
Le premier, (en accès libre) réalisé en 2001
par Christian Meunier, s’intitule, Alfred
Nakache, le nageur d’Auschwitz. Lien ici
Le second, réalisé par Thierry Lashéras, s’intitule, Nage libre, Fabien Gilot sur les traces d’Alfred Nakache et date de 2017. Fabien Gilot est un formidable champion, plusieurs fois médaillé olympique, mondial et européen. En 2012, après la victoire du relais 4 x 100 m, il fait la une des médias israéliens parce qu’il arbore un tatouage (Je ne suis rien sans eux) en hébreu sur son bras en hommage à son grand-père.
Extrait, lien ici
Une biographie est à
signaler également.
Alfred
Nakache, le nageur d’Auschwitz, Denis Baud, Éditions Loubatières, 2009.
Capture d'écran
°°°°°°
Pour Annie
Capture d'écran
Alfred Nakache, le nageur d'Auschwitz, Christian Meunier, 2001
Annie a
disparu avec sa maman à son arrivée à Auschwitz. C’était en janvier 1944, elle
n’avait que deux ans et quelques mois.
Comme tous
les enfants de son âge, elle avait un animal en peluche qu’elle adorait et qui
ne la quittait jamais.
Une jeune
fille s’était occupée d’elle lorsqu’elle avait été séparée de ses parents
incarcérés à la prison Saint-Michel à Toulouse. La petite avait perdu son petit
chien adoré.
Cette jeune fille s’appelait Simone Faulon et elle avait récupéré le chien en peluche d’Annie. Lorsqu’elle apprit que l'enfant et ses parents allaient être transférés à Drancy, elle se précipita à la gare afin de lui donner la peluche qui lui était si chère. Simone tenta en vain de s'approcher, mais un officier nazi lui interdit de se rendre sur le quai. Simone garda le chien, le raccommoda car il était en piteux état et puis elle le rangea dans un placard. Elle le garda longtemps, très longtemps et ne le confia à personne, pas même à ses propres enfants. En 2001, elle raconta cette histoire à Christian Meunier qui réalisait un film sur le papa de la petite, le grand champion Alfred Nakache. Simone sortit le petit chien d’un placard et le montra au cinéaste.
Cette jeune fille s’appelait Simone Faulon et elle avait récupéré le chien en peluche d’Annie. Lorsqu’elle apprit que l'enfant et ses parents allaient être transférés à Drancy, elle se précipita à la gare afin de lui donner la peluche qui lui était si chère. Simone tenta en vain de s'approcher, mais un officier nazi lui interdit de se rendre sur le quai. Simone garda le chien, le raccommoda car il était en piteux état et puis elle le rangea dans un placard. Elle le garda longtemps, très longtemps et ne le confia à personne, pas même à ses propres enfants. En 2001, elle raconta cette histoire à Christian Meunier qui réalisait un film sur le papa de la petite, le grand champion Alfred Nakache. Simone sortit le petit chien d’un placard et le montra au cinéaste.
Le petit
chien pleure pour toujours cette petite fille. Son papa ne s’est jamais remis
de ne plus la voir, pas plus qu’il ne s’est remis de ne plus voir Paule, la maman
d’Annie. Rares sont les photos d'Annie, j'en ai trouvé deux, mais je n'ai pas eu le cœur de les publier. Il reste son histoire et ce petit
chien sauvé par une gentille jeune fille.
Jacques Lefebvre-Linetzky
Jacques Lefebvre-Linetzky
Alfred Nakache en 1946
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Alfred
Nakache, une vie à contre-courant, Le Monde, mardi 14 mai 2019, par Alexandre Pedro
Extraits :
Le
18 janvier 1945, les Allemands évacuent Auschwitz devant la progression des
Soviétiques. Ils sont entre 20000 et 30000 à marcher par – 10 °C. Alfred
survivra à cette marche puis à une période de détention à Buchenwald. A
Toulouse, pourtant, on le croit mort. En hommage, le conseil municipal donne
même son nom au bassin d’hiver de la piscine de l’île du Ramier. Mais le 28
avril 1945, la presse annonce l’incroyable nouvelle : Nakache est vivant !
Amaigri de 40 kg, il se remet d’un abcès à l’oreille droite dans un hôpital
parisien. "Laissez moi reprendre contact avec le monde vivant, après
quoi j’essaierai de re-nager", souffle-t-il aux reporters venus à son
chevet.
Alors
âgée de 13 ans, Ginette Sendral Jany, future championne de France de
natation, n’a jamais oublié les retrouvailles, quelques jours plus tard, à
Toulouse.
"Il avait la tête enveloppée de rubans et il a été très ému quand il a vu
sa plaque, se
souvient-elle. Plus que sa mort en face, il voyait l’affection de la ville
et de ses amis pour lui."
Très
vite, il replonge. Mais si le corps se remplume, l’esprit, lui, demeure
prisonnier des camps. Quand il n’est pas dans l’eau, il regarde les trains
arriver à la gare Matabiau. Celui de Paule et Annie ne viendra jamais. Un jour
de 1946, on lui tend un papier blanc et la funeste confirmation. (...)
Jamais il ne s’en vantera.
Jamais il ne parlera d’Auschwitz, ou alors au détour d’une anecdote, à en
croire William Nakache . "Un jour, il me demande de lui passer mes
chaussures pour les cirer. Je lui dis qu’elles sont propres. Il insiste et
quand je finis par les lui donner, il me lâche : “Si tu savais le nombre de
bottes que j’ai pu cirer là-bas...” Je n’ai pas eu le culot de lui faire
raconter. Ça aurait déclenché une telle tristesse... "
Pour écouter l'émission "Au Nom des enfants", cliquez ici.
Remerciements à Yossi Benavraham, chef d'antenne.
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