Ceci est notre logo

Ceci est notre logo

mercredi 25 mars 2015

LE CAMP DES MILLES, UN LIEU POUR SE SOUVENIR, SE RECUEILLIR ET RÉFLÉCHIR.


Photo Daniel Bensoussan

Les Milles est un village situé au sud d’Aix-en-Provence. L’autoroute traverse une zone commerciale, la circulation y est dense à toute heure et il faut se montrer vigilant pour ne pas manquer la sortie. C’est vrai, se rendre aux Milles, c’est une affaire de vigilance car ce village a un passé douloureux.
C’est là, dans une briqueterie désaffectée, que fut ouvert le 2 septembre 1939, le camp des Milles où furent internées plus de 10 000 personnes originaires de 38 pays sur une période d’un peu plus de trois années. Ce fut le camp le plus important du sud-est de la France et il fut entièrement géré par les autorités françaises.

Les « sujets ennemis »

Au tout début de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français décide d’y regrouper tous les ressortissants allemands et autrichiens même s’ils étaient d’authentiques opposants au régime hitlérien. Sont également internés tous les ressortissants des pays en guerre avec la France. À noter que seuls les hommes ont été convoqués.
Considérés comme des « sujets ennemis », ils vivaient là dans des conditions difficiles, malmenés par une administration dont les décisions étaient souvent proches de l’absurde.

Le train des Milles

Le 22 juin 1940, jour de la signature de l'armistice entre la France et l’Allemagne, 2.010 internés quittent Les Milles dans un train mis à leur disposition par le commandant Goruchon, avec l'approbation de l'état-major. Le train doit se rendre à Bayonne via Sète et Toulouse. Les fuyards espèrent pouvoir ensuite s’embarquer pour l’Espagne ou le Maroc. Au cours du voyage, une folle rumeur circule – il s’agirait de 2000 « boches » c’est-à-dire de 2000 soldats allemands qui auraient l’intention d’occuper Bayonne. Les cheminots, croyant bien faire, détournent le convoi vers sa destination de départ. Le 27 juin, les voyageurs, exténués après cette folle équipée,  se retrouvent enfermés pour quelques semaines dans le camp annexe de Saint-Nicolas.


La vie quotidienne au camp, de l'automne 1939 au printemps 1942


Jusqu'en 1942, la vie aux Milles peut sembler moins dure que dans d'autres camps. Les internés, issus de toutes les couches sociales, ne sont pas maltraités et bénéficient d'une certaine liberté de circulation, pour effectuer par exemple des démarches administratives à Marseille.


Les problèmes existent cependant : les internés se plaignent de la promiscuité, de la saleté, du manque d'hygiène. Suffisante au début, la nourriture se réduit et se dégrade au fil des mois.

La difficulté est surtout d'échapper à l'ennui quotidien et nombreux sont les volontaires pour se répartir les travaux : cuisine, nettoyage, confection d'habits, etc.


Originalité de ce camp, la forte proportion d'intellectuels et d'artistes y a développé très tôt une vie culturelle active : s'y sont rencontrés les peintres Max Ernst, Golo Mann, Hans Bellmer, etc. Dès septembre 1939, les internés organisent des conférences, des ateliers de peinture, ouvrent un bar, montent des pièces de théâtre.
Ces activités s'exercent surtout entre septembre 1939 et le printemps 1940, période durant laquelle nombre d'artistes quittent Les Milles pour émigrer en direction des Etats-Unis grâce à l’action de Varian Fry (1907-1967).


Parmi les personnalités allemandes internées dans ce camp, il faut citer Lion Feuchtwanger (1884-1958) écrivain, auteur, entre autres,  du roman historique Le Juif Süss en 1925  et d’une chronique de ses trois internements au camp des Milles intitulée, Le Diable en France – il vivait en France depuis 1933, il parvint à gagner les États-Unis en 1940 ; Max Ernst (1891-1976) peintre surréaliste et sculpteur ; Hans Bellmer (1902-1975), peintre, graveur, dessinateur et photographe.


En évoquant cette période, il faut souligner l'action des œuvres de secours (The Emergency Rescue Committee, L’Union Générale des Israélites de France, Le Comité d'Aide aux réfugiés, l’OSE – œuvre de secours aux enfants - , etc.), qui tentent d'améliorer la vie des internés, de les faire sortir du camp. Elles agiront de même, dans la période suivante, pour tenter de les soustraire aux convois.
Rappelons aussi le rôle exemplaire de religieux, comme le pasteur Manen à Aix, Mgr Chalvé à Miramas, le pasteur Roux à Marseille, ou même de personnels du camp comme le premier commandant, Goruchon, ou le gardien Boyer.





« On avait tôt fait de se libérer de toute forme de pudeur quand on était entré au camp. Personne n’éprouvait la moindre honte à montrer ouvertement ses faiblesses et ses infirmités, celles du corps comme celles de l’esprit. Et dans ce domaine, on vivait des choses d’une horreur qui se situe au-delà des mots. »

Lion Feuchtwanger, Le Diable en France, Biblio, Le Livre de Poche, 2010, p. 78.

Un camp pour « indésirables »



Photo Claude Gourdon

À partir du mois de juillet 1940 et jusqu’en juillet 1942, le régime de Vichy en fait un camp pour « indésirables ». Au cours de cette période on y interne des étrangers transférés depuis les camps du Sud-Ouest, notamment d’anciens membres des Brigades Internationales d’Espagne et des Juifs expulsés du Palatinat, du Wurtemberg et du pays de Bade. Les conditions d’internement se dégradent rapidement.
Au début de juillet 1942, Pierre Laval propose à l’Occupant d’inclure les enfants de moins de 16 ans dans les déportations.
Aux Milles, le 15 juillet 1942, Dannecker, chef de la section anti-juive de la Gestapo, recense 1 192 Juifs "déportables". Le 3 août, le camp est bouclé et occupé par 170 gardes mobiles pour prévenir toute évasion. Ce même jour, cinq convois sont constitués en direction des camps de la mort.

À la suite de la rafle du 26 août dans la zone non occupée, visant les Juifs étrangers et effectuée par la police française, 1200 Allemands, Polonais, Autrichiens et Russes sont rassemblés aux Milles. Entre le 1er et le 15 septembre 1942, près de 2000 personnes sont acheminées vers Auschwitz via Drancy.
Parmi les déportés, il y a une centaine d’enfants dont certains ont tout juste un an.

Il convient de souligner le fait que ces événements interviennent alors que l’occupation allemande de la zone Sud n’a pas encore eu lieu. Elle ne sera effective qu’à partir du 11 novembre 1942.

La fermeture du camp

À partir de septembre 1942, le camp se vide petit à petit et le 4 décembre de cette même année, il est réquisitionné par la Wehrmacht. Toutefois, le camp est utilisé pour accueillir les Juifs raflés massivement le 23 janvier 1943 dans la région de Marseille. Le 15 mars 1943, la Wehrmacht transfère à Compiègne la trentaine d’internés qu’elle y trouve. Le camp est ensuite  fermé définitivement et transformé en un dépôt de minutions.

Le camp des Milles, un lieu de mémoire

C’est dans les années 1970 que des historiens font resurgir la mémoire du site. Des associations voient le jour. L’atelier de menuiserie qui contient des peintures murales est inscrit à l’inventaire supplémentaire des monuments historiques en 1983. Le site est acquis par l’État et transformé en mémorial en 1989.

Un site mémoriel et un lieu de réflexion destiné aux jeunes



Photo Michèle Merowka

Le Site-Mémorial s’adresse en particulier aux jeunes :

Le Site-Mémorial a été conçu, principalement pour les jeunes, non seulement comme un musée d'histoire et un lieu de mémoire préservé, mais aussi comme un espace de culture patrimoniale et artistique et comme un "musée d'idées", un laboratoire innovant dans son contenu comme dans ses dispositifs pédagogiques.
Ainsi, pour la première fois au monde, le Site-Mémorial du Camp des Milles fournit, sur un lieu de mémoire, des repères pluridisciplinaires et des clés de compréhension qui peuvent aider à être vigilant et à réagir à temps face aux crispations identitaires et aux extrémismes.
Le Site-Mémorial du Camp des Milles œuvrera en particulier en direction des nouvelles générations, afin de sauvegarder et de valoriser cet exceptionnel patrimoine historique et culturel, à dimension nationale, européenne et internationale.
Son action éducative et culturelle est destinée à renforcer la vigilance et la responsabilité des citoyens face au racisme, à l'antisémitisme et à tous les fanatismes :
En s’appuyant d’une part sur la mémoire et l’histoire de la Shoah et les crimes de masse commis pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que sur les résistances à ces crimes,
en tirant parti d'autre part des acquis scientifiques permettant de comprendre, dans un but de prévention, les processus individuels et collectifs qui peuvent conduire à ces crimes, ainsi que ceux qui permettent de s'y opposer.


On peut y voir des peintures murales exécutées par les internés




Photo Michèle Merowka

De l'automne 1940 au printemps 1941, plusieurs internés - non identifiés avec certitude à ce jour (Franz Meyer ? Karl Bodek ? Max Lingner ?) - réalisent des peintures sur les murs d'un atelier transformé en réfectoire des gardiens. Le sujet essentiel, la nourriture, peut s'expliquer par le lieu et par la situation alimentaire précaire du camp.
Faute de documents, il n'est possible de n'en donner qu'une interprétation aléatoire. De même, les titres n'ont aucun caractère officiel et sont seulement donnés pour différencier les œuvres. Réalisées essentiellement à partir d'ocres et de bleus, ces peintures attestent de la culture et de la technique de leurs auteurs. On y trouve des rappels de différentes tendances artistiques, du surréalisme au constructivisme, et d'évidentes références à la bande dessinée et à la caricature. Elles présentent un double intérêt : œuvres d'art, elles constituent aussi la trace d'hommes qui ont parfois connu un destin tragique. Paradoxalement, l'atmosphère qu'elles dégagent est souvent humoristique. Outre leur fonction décorative, elles furent sûrement une échappatoire : entravés dans leur vie quotidienne au camp, les peintres sont redevenus, par elles, des créateurs.




Photo Michèle Merowka


« Depuis le camp des Milles, plus de 2000 Juifs ont été déportés à Auschwitz… Il reste beaucoup de souvenirs ici et aussi des témoignages artistiques. Il faut y penser par fidélité, mais aussi pour les femmes et les enfants qui se trouvaient parmi eux. Nous devons en tirer une leçon, pour que cela ne puisse jamais se reproduire. C’est pour cela que nous avons le projet de transformer cette usine désaffectée en lieu d’histoire, mais aussi de pédagogie ».

Simone Veil, déportée à Auschwitz à 16 ans.



Extrait du discours de M. Jean-Marc Ayrault, premier ministre lors de l’inauguration du site-mémorial du camp des Milles le 10 septembre 2012.


Photo Michèle Merowka

Ma présence parmi vous, ainsi que celle de nombreux membres du gouvernement, témoigne de la volonté de la République française de veiller sur la mémoire des martyrs du camp des Milles. De ces femmes, ces hommes, ces enfants, qui ne sont jamais revenus.
C’est pour nous un devoir sacré.
Le camp des Milles doit être aujourd’hui un lieu de mémoire et de recueillement, car depuis ce lieu, des milliers de victimes, qui avaient foi en la France, patrie de la Grande Révolution et des droits de l’Homme, ont été envoyées à la mort.
Mais il y a eu aussi des Français, en nombre, pour sauver l’honneur. Partout en France, des hommes et des femmes courageux entretenaient la flamme de la Résistance. Et beaucoup ont sauvé des vies, au péril de la leur.
Aux Milles, le sort des internés et des déportés a bouleversé certains de ceux qui les ont côtoyés et ont partagé leurs souffrances. Je veux rendre hommage à ces Français anonymes qui ont aidé des internés à s’enfuir, qui ont sauvé des enfants ; à ces hommes et ces femmes, de toutes nationalités, qui ont su dire non à l’inacceptable.
Le mémorial de Yad Vashem, à Jérusalem, leur a décerné le titre de "justes parmi les Nations" et ici, au camp des Milles, le "mur des actes justes" leur est consacré. Je vous invite à honorer leur mémoire.



L’AMEJDAM accompagne un groupe de collégiens au camp des Milles

Le 9 mars 2015, Michèle Merowka, présidente de l’AMEJDAM, a accompagné un groupe d’élèves du collège César de Roquefort-les-Pins. Cette sortie scolaire a été organisée à l’initiative de Mme Marie-Estelle Liégeois, principale du collège et a bénéficié du soutien financier du Conseil Régional. L’ensemble des professeurs d’histoire et géographie du collège s’est investi dans ce projet. Il s’agissait uniquement de classes de 3e et ils avaient tous été préparés à cette visite. Sur place, les élèves ont bénéficié des explications et des commentaires du personnel hautement qualifié du site-mémorial. Les enfants ont été très impressionnés par les locaux et par les conditions de vie telles qu’elles ont été décrites par les guides. C’est avec émotion qu’ils ont visité les lieux où plusieurs internés se sont suicidés en se défenestrant. Les élèves ont activement participé en posant des questions afin de remplir les questionnaires qui leur avaient été remis. Les photos d’enfants ont fait naître des larmes sur de nombreux visages. Un second groupe de collégiens du collège César s’est rendu au camp des Milles le 16 mars dernier.

Depuis l’ouverture du site, c’est un parcours obligé pour les élèves de ce collège dont certains feront également le voyage jusqu’à Auschwitz au mois de mai et ce, grâce à l’action du Conseil Général.


Textes : Michèle Merowka et Jacques Lefebvre-Linetzky.
Mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky.

1 commentaire: