Photo Daniel Bensoussan
Les Milles est un village situé au sud d’Aix-en-Provence. L’autoroute traverse une zone commerciale, la circulation y est dense à toute heure et il faut se montrer vigilant pour ne pas manquer la sortie. C’est vrai, se rendre aux Milles, c’est une affaire de vigilance car ce village a un passé douloureux.
C’est là, dans une briqueterie désaffectée, que fut
ouvert le 2 septembre 1939, le camp des Milles où furent internées plus de 10
000 personnes originaires de 38 pays sur une période d’un peu plus de trois
années. Ce fut le camp le plus important du sud-est de la France et il fut
entièrement géré par les autorités françaises.
Les
« sujets ennemis »
Au tout début de la Seconde Guerre mondiale, le
gouvernement français décide d’y regrouper tous les ressortissants allemands et
autrichiens même s’ils étaient d’authentiques opposants au régime hitlérien.
Sont également internés tous les ressortissants des pays en guerre avec la
France. À noter que seuls les hommes ont été convoqués.
Considérés comme des « sujets ennemis »,
ils vivaient là dans des conditions difficiles, malmenés par une administration
dont les décisions étaient souvent proches de l’absurde.
Le train
des Milles
Le 22 juin 1940, jour de
la signature de l'armistice entre la France et l’Allemagne, 2.010 internés
quittent Les Milles dans un train mis à leur disposition par le commandant
Goruchon, avec l'approbation de l'état-major. Le train doit se rendre à Bayonne
via Sète et Toulouse. Les fuyards espèrent pouvoir ensuite s’embarquer pour
l’Espagne ou le Maroc. Au cours du voyage, une folle rumeur circule – il
s’agirait de 2000 « boches » c’est-à-dire de 2000 soldats allemands
qui auraient l’intention d’occuper Bayonne. Les cheminots, croyant bien faire,
détournent le convoi vers sa destination de départ. Le 27 juin, les voyageurs,
exténués après cette folle équipée, se
retrouvent enfermés pour quelques semaines dans le camp annexe de
Saint-Nicolas.
La vie quotidienne au camp, de l'automne 1939 au printemps 1942
Jusqu'en 1942, la vie aux Milles peut sembler moins dure que dans d'autres
camps. Les internés, issus de toutes les couches sociales, ne sont pas
maltraités et bénéficient d'une certaine liberté de circulation, pour effectuer
par exemple des démarches administratives à Marseille.
Les problèmes existent cependant : les internés se plaignent de la promiscuité,
de la saleté, du manque d'hygiène. Suffisante au début, la nourriture se réduit
et se dégrade au fil des mois.
La difficulté est surtout d'échapper à l'ennui quotidien et nombreux sont
les volontaires pour se répartir les travaux : cuisine, nettoyage, confection
d'habits, etc.
Originalité de ce camp, la forte proportion d'intellectuels et d'artistes y a
développé très tôt une vie culturelle active : s'y sont rencontrés les peintres
Max Ernst, Golo Mann, Hans Bellmer, etc. Dès septembre 1939, les internés
organisent des conférences, des ateliers de peinture, ouvrent un bar, montent
des pièces de théâtre.
Ces activités s'exercent surtout entre septembre 1939 et le printemps 1940,
période durant laquelle nombre d'artistes quittent Les Milles pour émigrer en
direction des Etats-Unis grâce à l’action de Varian Fry (1907-1967).
Parmi les personnalités allemandes internées dans ce
camp, il faut citer Lion Feuchtwanger (1884-1958) écrivain, auteur, entre
autres, du roman historique Le Juif Süss en 1925 et d’une chronique de ses trois internements
au camp des Milles intitulée, Le Diable
en France – il vivait en France depuis 1933, il parvint à gagner les États-Unis
en 1940 ; Max Ernst (1891-1976) peintre surréaliste et sculpteur ; Hans Bellmer
(1902-1975), peintre, graveur, dessinateur et photographe.
En évoquant cette période, il faut souligner l'action des œuvres de secours (The
Emergency Rescue Committee, L’Union Générale des Israélites de France, Le Comité
d'Aide aux réfugiés, l’OSE – œuvre de secours aux enfants - , etc.), qui
tentent d'améliorer la vie des internés, de les faire sortir du camp. Elles
agiront de même, dans la période suivante, pour tenter de les soustraire aux
convois.
Rappelons
aussi le rôle exemplaire de religieux, comme le pasteur Manen à Aix, Mgr Chalvé
à Miramas, le pasteur Roux à Marseille, ou même de personnels du camp comme le
premier commandant, Goruchon, ou le gardien Boyer.
Source: Chemins de mémoire
« On avait tôt fait de se libérer
de toute forme de pudeur quand on était entré au camp. Personne n’éprouvait la
moindre honte à montrer ouvertement ses faiblesses et ses infirmités, celles du
corps comme celles de l’esprit. Et dans ce domaine, on vivait des choses d’une
horreur qui se situe au-delà des mots. »
Lion Feuchtwanger, Le Diable en France, Biblio, Le Livre de Poche, 2010, p. 78.
Un camp pour « indésirables »
Photo Claude Gourdon
À partir du mois de juillet 1940 et jusqu’en juillet
1942, le régime de Vichy en fait un camp pour « indésirables ». Au
cours de cette période on y interne des étrangers transférés depuis les camps du
Sud-Ouest, notamment d’anciens membres des Brigades Internationales d’Espagne
et des Juifs expulsés du Palatinat, du Wurtemberg et du pays de Bade. Les conditions
d’internement se dégradent rapidement.
Au début de juillet 1942, Pierre Laval propose à
l’Occupant d’inclure les enfants de moins de 16 ans dans les déportations.
Aux Milles, le 15 juillet 1942, Dannecker, chef de la section anti-juive de
la Gestapo, recense 1 192 Juifs "déportables". Le 3 août, le camp est
bouclé et occupé par 170 gardes mobiles pour prévenir toute évasion. Ce même
jour, cinq convois sont constitués en
direction des camps de la mort.
À la suite de la rafle du 26 août dans la zone non occupée, visant les
Juifs étrangers et effectuée par la police française, 1200 Allemands, Polonais,
Autrichiens et Russes sont rassemblés aux Milles. Entre le 1er et le
15 septembre 1942, près de 2000 personnes sont acheminées vers Auschwitz via Drancy.
Parmi les déportés, il y a une centaine d’enfants
dont certains ont tout juste un an.
Il convient de souligner le fait que ces événements
interviennent alors que l’occupation allemande de la zone Sud n’a pas encore eu
lieu. Elle ne sera effective qu’à partir du 11 novembre 1942.
La
fermeture du camp
À partir de septembre 1942, le camp se vide petit à
petit et le 4 décembre de cette même année, il est réquisitionné par la
Wehrmacht. Toutefois, le camp est utilisé pour accueillir les Juifs raflés
massivement le 23 janvier 1943 dans la région de Marseille. Le 15 mars 1943, la
Wehrmacht transfère à Compiègne la trentaine d’internés qu’elle y trouve. Le
camp est ensuite fermé définitivement et
transformé en un dépôt de minutions.
Le camp des
Milles, un lieu de mémoire
C’est dans les années 1970 que des historiens font
resurgir la mémoire du site. Des associations voient le jour. L’atelier de
menuiserie qui contient des peintures murales est inscrit à l’inventaire
supplémentaire des monuments historiques en 1983. Le site est acquis par l’État
et transformé en mémorial en 1989.
Le Site-Mémorial s’adresse en particulier aux jeunes :
Le Site-Mémorial a été conçu, principalement pour les
jeunes, non seulement comme un musée d'histoire et un lieu de mémoire préservé,
mais aussi comme un espace de culture patrimoniale et artistique et comme un
"musée d'idées", un laboratoire innovant dans son contenu comme dans
ses dispositifs pédagogiques.
Ainsi, pour la première fois au monde, le Site-Mémorial du
Camp des Milles fournit, sur un lieu de mémoire, des repères
pluridisciplinaires et des clés de compréhension qui peuvent aider à être
vigilant et à réagir à temps face aux crispations identitaires et aux
extrémismes.
Le Site-Mémorial du Camp des Milles œuvrera en particulier
en direction des nouvelles générations, afin de sauvegarder et de valoriser cet
exceptionnel patrimoine historique et culturel, à dimension nationale,
européenne et internationale.
Son action éducative et culturelle est destinée à
renforcer la vigilance et la responsabilité des citoyens face au racisme, à
l'antisémitisme et à tous les fanatismes :
En s’appuyant d’une part sur la mémoire et l’histoire de
la Shoah et les crimes de masse commis pendant la Seconde Guerre mondiale,
ainsi que sur les résistances à ces crimes,
en tirant parti d'autre part des acquis scientifiques
permettant de comprendre, dans un but de prévention, les processus individuels
et collectifs qui peuvent conduire à ces crimes, ainsi que ceux qui permettent
de s'y opposer.
De l'automne
1940 au printemps 1941, plusieurs internés - non identifiés avec certitude à ce
jour (Franz Meyer ? Karl Bodek ? Max Lingner ?) - réalisent des peintures sur
les murs d'un atelier transformé en réfectoire des gardiens. Le sujet
essentiel, la nourriture, peut s'expliquer par le lieu et par la situation
alimentaire précaire du camp.
Faute de
documents, il n'est possible de n'en donner qu'une interprétation aléatoire. De
même, les titres n'ont aucun caractère officiel et sont seulement donnés pour
différencier les œuvres. Réalisées essentiellement à partir d'ocres et de
bleus, ces peintures attestent de la culture et de la technique de leurs
auteurs. On y trouve des rappels de différentes tendances artistiques, du
surréalisme au constructivisme, et d'évidentes références à la bande dessinée
et à la caricature. Elles présentent un double intérêt : œuvres d'art, elles
constituent aussi la trace d'hommes qui ont parfois connu un destin tragique.
Paradoxalement, l'atmosphère qu'elles dégagent est souvent humoristique. Outre
leur fonction décorative, elles furent sûrement une échappatoire : entravés
dans leur vie quotidienne au camp, les peintres sont redevenus, par elles, des
créateurs.
Photo Michèle Merowka
Source: Chemins de mémoire
« Depuis le camp des Milles, plus
de 2000 Juifs ont été déportés à Auschwitz… Il reste beaucoup de souvenirs ici
et aussi des témoignages artistiques. Il faut y penser par fidélité, mais aussi
pour les femmes et les enfants qui se trouvaient parmi eux. Nous devons en
tirer une leçon, pour que cela ne puisse jamais se reproduire. C’est pour cela
que nous avons le projet de transformer cette usine désaffectée en lieu
d’histoire, mais aussi de pédagogie ».
Simone Veil, déportée à Auschwitz à 16
ans.
Extrait du discours de M. Jean-Marc Ayrault, premier
ministre lors de l’inauguration du site-mémorial du camp des Milles le 10
septembre 2012.
Photo Michèle Merowka
Ma présence
parmi vous, ainsi que celle de nombreux membres du gouvernement, témoigne de la
volonté de la République française de veiller sur la mémoire des martyrs du
camp des Milles. De ces femmes, ces hommes, ces enfants, qui ne sont jamais
revenus.
C’est pour
nous un devoir sacré.
Le camp des
Milles doit être aujourd’hui un lieu de mémoire et de recueillement, car depuis
ce lieu, des milliers de victimes, qui avaient foi en la France, patrie de la
Grande Révolution et des droits de l’Homme, ont été envoyées à la mort.
Mais il y a
eu aussi des Français, en nombre, pour sauver l’honneur. Partout en
France, des hommes et des femmes courageux entretenaient la flamme de la
Résistance. Et beaucoup ont sauvé des vies, au péril de la leur.
Aux Milles,
le sort des internés et des déportés a bouleversé certains de ceux qui les ont
côtoyés et ont partagé leurs souffrances. Je veux rendre hommage à ces
Français anonymes qui ont aidé des internés à s’enfuir, qui ont sauvé des
enfants ; à ces hommes et ces femmes, de toutes nationalités, qui ont su
dire non à l’inacceptable.
Le mémorial
de Yad Vashem, à Jérusalem, leur a décerné le titre de "justes parmi les Nations"
et ici, au camp des Milles, le "mur des actes justes" leur est
consacré. Je vous invite à honorer leur mémoire.
L’AMEJDAM accompagne un groupe de collégiens au camp des
Milles
Le 9 mars
2015, Michèle Merowka, présidente de l’AMEJDAM, a accompagné un groupe d’élèves
du collège César de Roquefort-les-Pins. Cette sortie scolaire a été organisée à
l’initiative de Mme Marie-Estelle Liégeois, principale du collège et a
bénéficié du soutien financier du Conseil Régional. L’ensemble des professeurs
d’histoire et géographie du collège s’est investi dans ce projet. Il s’agissait
uniquement de classes de 3e et ils avaient tous été préparés à cette
visite. Sur place, les élèves ont bénéficié des explications et des
commentaires du personnel hautement qualifié du site-mémorial. Les enfants ont
été très impressionnés par les locaux et par les conditions de vie telles
qu’elles ont été décrites par les guides. C’est avec émotion qu’ils ont visité
les lieux où plusieurs internés se sont suicidés en se défenestrant. Les élèves
ont activement participé en posant des questions afin de remplir les
questionnaires qui leur avaient été remis. Les photos d’enfants ont fait naître
des larmes sur de nombreux visages. Un second groupe de collégiens du collège
César s’est rendu au camp des Milles le 16 mars dernier.
Depuis
l’ouverture du site, c’est un parcours obligé pour les élèves de ce collège
dont certains feront également le voyage jusqu’à Auschwitz au mois de mai et
ce, grâce à l’action du Conseil Général.
Textes : Michèle
Merowka et Jacques Lefebvre-Linetzky.
Mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky.
Mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky.
La photo de Jean-Marc Ayrault a été prise par Michèle Merowka.
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