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mercredi 22 mars 2017

NOURRITURE RÊVÉE DANS LES CAMPS


La faim. Dessin de Henri Gayot. Source : Collection Hisler / Musée de Struthof
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On cherche, on lit, on écoute et l’on sait que l’on ne pourra jamais s’approcher de l’horreur que fut la « vie » dans les camps. Seuls les survivants connaissent le goût âcre de cette nuit insondable. Les mots se dérobent, ils sont de piètres béquilles, on est tenté de rester silencieux par respect, par humilité. Dans un avenir plus ou moins proche, il n’y aura plus de survivants parmi nous et il faudra continuer à transmettre, malgré tout, malgré notre incapacité ontologique.

Qui suis-je pour parler de la faim dans les camps ? J’ai bien conscience de la difficulté de l’entreprise. Il a quelque chose d’indécent à aborder pareil sujet, à le transformer en objet d’étude. Et pourtant, ces pauvres mots sont les seuls outils dont je dispose. Merci de votre compréhension.

lundi 13 mars 2017

REPRÉSENTER LA SHOAH PAR LA BANDE DESSINÉE



Shoah et bande dessinée


Le Mémorial de la Shoah propose une exposition 
consacrée à la Shoah vue par la bande dessinée,  
du jeudi 19 janvier au lundi 30 octobre 2017


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Extrait de la présentation

« La mémoire contemporaine réserve une place particulière à la Shoah, un événement sans précédent dans l’Histoire. Le propre de tout événement est d’être historicisé, médiatisé, bref de devenir sujet de fiction. Le génocide des Juifs d’Europe ne pouvait y échapper. Non sans prudence, erreurs et tâtonnements, parfois avec génie, la bande dessinée s’est donc emparée de la Shoah.
C’est ce parcours historique et artistique dans ce qu’il est convenu d’appeler le 9e art que vous invite à explorer l’exposition Shoah et bande dessinée, en interrogeant les sources visuelles de ces représentations, leur pertinence, leur portée et leurs limites.
Il appartenait logiquement au Mémorial de la Shoah de s’emparer du sujet, de s’interroger sur les tenants et les aboutissants de cet art, populaire s’il en est, et ce dans toute sa diversité, des comics à la bande dessinée franco-belge, des romans graphiques aux mangas. »

Des visites guidées sont organisées ainsi que des conférences aux angles surprenants et novateurs.  

Thèmes abordés en janvier et février 2017

Le roman graphique : lieu privilégié du discours mémoriel ?  (19 janvier 2017)
Pourquoi les super-héros n’ont-ils pas libéré Auschwitz ?  (22 janvier 2017)
Les mangakas japonais et l’histoire de la Shoah (22 janvier 2017). 
« Art mineur » et questions majeures (05 février 2017). 

Pour consulter le site de l'exposition, cliquez ici


Une série de films d’animation et une bande dessinée


Rescapés de la Shoah (Zane Wittingham et Ryan Jones, Flammarion, 2017) est une bande dessinée traduite de l’anglais et adaptée d’une série de films d’animation produite par les studios d’animation, Fettle.



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La série s’intitule, Children of the Holocaust. Elle a été coproduite avec BBC Learning dans un but pédagogique à l’occasion du 70e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz.  Six films d’environ cinq minutes ont été réalisés et sont suivis, pour chaque film, d’une interview de deux minutes. Cette série rassemble les témoignages de six rescapés : Heinz, Trude, Ruth, Martin, Suzanne et Arek. Tous habitent la région de Leeds. Chaque épisode relate des événements marquants tels que, entre autres,  la Nuit de Cristalle Kindertransport, le quotidien à Auschwitz vu par un adolescent, le destin d’une enfant cachée. Le point de vue privilégié est celui de l’enfant. 



Children of the Holocaust, image empruntée ici

Les studios d’animation Fettle ont leur siège à Marsden dans le Yorkshire, au nord-ouest de l’Angleterre. Ils ont été créés par Kath Shackelton et Zane Whittingham qui travaille dans l’animation depuis plus de 25 ans. Les six films ont obtenu de nombreuses récompenses (BAFTA, - British Academy of Film and Television Arts ).



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Pour découvrir la  bande annonce de la série, cliquez ici

Sensibiliser les enfants grâce à l’animation

Le recours à l’animation permet de rapprocher les enfants au destin particulièrement tragique des témoins. Ce sont des enfants qui sont représentés, ils n’ont donc aucun mal à s’identifier au narrateur. À la suite du film, ils découvrent le visage du témoin (tous ont entre 80 et 90 ans) et à ce moment-là, ils sont prêts à écouter quelqu’un de plus âgé. L’animation met l’horreur à distance tout en la rendant palpable et crédible pour des enfants. 




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Ces films ne sont pas encore disponibles en France, mais la bande dessinée qui vient d'être publiée rend compte de la qualité graphique de ce projet. La traduction en français est de Faustina Fiore. 

La bande dessinée reprend le dispositif des films d’animation. L’avant-propos écrit par Lilian Black définit parfaitement le contenu de cet ouvrage.

«  Chacune des histoires de ce livre est un compte rendu fidèle de ce qui est arrivé à six jeunes gens, il y a plus de soixante-dix ans. Heinz, Trude, Ruth, Martin, Suzanne et Arek vivaient chez eux, avec leurs familles. Ils allaient à l’école, avaient des amis, des activités, des projets d’avenir. Et puis un jour, leur vie a changé pour toujours. Ils n’avaient rien fait de mal. Ils étaient simplement nés dans des familles juives et ils furent persécutés pour cette seule et unique raison : ils étaient juifs. »

 Une grande rigueur esthétique

Chaque histoire est racontée à la première personne et le traitement des couleurs varie en fonction des récits. Ainsi, les trois couleurs dominantes de la Nuit de Cristal sont le rouge, le noir et le jaune. Les couleurs choisies pour la représentation d’Auschwitz sont des nuances de bleu sombre, des bruns et des beiges. Le graphisme et simple, net, sans fioritures. 

La couverture



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C’est en fait l’image qui ouvre l’album avec le témoignage de Heinz. Le rouge domine – le sang, la peur, la violence, la mort sont ainsi suggérés. Heinz est au centre de l’image – il porte des lunettes et on ne voit pas son regard. Il pourrait être n’importe quel enfant, cela facilite l’identification. Derrière lui, une série de maisons et trois synagogues sont la proie des flammes (noir, jaune et rouge). Sur le fond rouge, des éclats blancs signifient que des vitrines ont été brisées durant cette folle nuit. L’enfant est pris au piège, il est une victime emblématique. Sur la gauche de l’image, les visages apeurés des Juifs persécutés et, en face, quatre soldats nazis, arme à la main et visage déformé par la haine, mettent l’enfant et les habitants en joue. Le dispositif graphique et à la fois simple, rigoureux et efficace. L’image est reprise dans des tons d’ocre et de bruns en ouverture du témoignage de Heinz. 



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La représentation d’Auschwitz

Comment représenter l’horreur d’Auschwitz ? Comment faire pour suggérer l’insupportable ? Comment choisir les mots justes ? Peut-on tout montrer ? Que peut-on montrer. Peut-on se contenter de suggérer ? La représentation d’Auschwitz pose mille questions. 

Les choix graphiques et chromatiques sont parfaits. De simples volutes échappées du pommeau d’une douche suggèrent les chambres à gaz ; le rouge est exclu des flammes qui dansent en un ballet noir et beige sur un fond gris. Le quotidien est restitué avec un sens synthétique particulièrement fort. Les châlits sont « habités » par des têtes (toutes identiques) – trois couchages superposés et dix hommes par étage. Des gros plans font irruption (le bras tatoué d’Arek – B 7608). L’un des images les plus touchantes est celle qui représente la famille d’Arek décimée par les nazis. Il s’agit d’un arbre sur lequel figurent les visages des membres de sa famille (81 en tout). L’arbre renvoie bien sûr à l’arbre généalogique. 

Les témoins

À la fin de l’ouvrage, on découvre le vrai visage des témoins ainsi que le résumé de ce qui leur est arrivé par la suite. 
Chaque témoin est un exemple pour des enfants – réussite dans les études, investissement dans la transmission de la Shoah. 

Le glossaire

Les dernières pages sont consacrées à un glossaire. Cela permet de fixer les épisodes et de prolonger la discussion avec les enfants.


La fabrication mémorielle de l'imaginaire historique

"À l'exception du cinéma et de la télévision, aucun autre médium ne me semble participer autant à la fabrication mémorielle de l'imaginaire historique. L'impact de la bande dessinée sur la formation de l'opinion de l'enfant est plus important qu'on ne l'imagine de prime abord et ce, dans la mesure où ce qui est acquis durant la socialisation primaire subit généralement peu de bouleversement. C'est, en effet vers 11-12 ans, que se situe la phase la plus importante pour la socialisation politique. 
Le jeune lecteur amasse au fil de ses lectures des bribes d'information qui participeront à l'élaboration de sa culture politique première. Quand bien même il ne saisit pas toutes les implications historiques de l'histoire qu'il est en train de lire (prenons l'exemple de Tintin au Congo), la BD participe de fait à la construction de sa vision du monde. En offrant des récits perçus, à tort ou à raison, comme exemplaires, le bédéiste en vient ainsi à créer, qu'il le vieille ou non, une source historique, en concurrence directe avec les manuels d'histoire. Ce simple fait impose à l'historien de ne pas se désintéresser de l'étude du Neuvième Art." 
Joël Kotek

Source, cliquez ici

Joël Kotek est historien, professeur à l'Université Libre de Bruxelles et enseignant à Sciences Po Paris. Il est l'un des commissaires de l'exposition, Shoah et Bande Dessinée


Texte et mise en page : Jacques Lefebvre-Linetzky