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mercredi 17 décembre 2014

BORIS CYRULNIK, nouveau membre d'honneur de l'AMEJDAM


L’émission de l’AMEJDAM, Au Nom des Enfants, était consacrée le 16 décembre dernier à Boris Cyrulnik, qui a accepté de figurer comme membre d’honneur de notre association. 
En voici le compte-rendu, à quatre mains !

(Crédit photographique : Cathie Fidler)

Jacques Lefebvre-Linetzky : 
Je n’irai pas par quatre chemins – c’est tout simple – j’aime Boris Cyrulnik. J’aurais pu dire que j’apprécie son travail, que j’admire ses démonstrations, que je suis sensible à son approche des choses, que je me sens tout petit lorsque je l’écoute. Tout cela est vrai, bien sûr, mais cela ne restitue pas totalement et pleinement ce que j’éprouve pour cet homme qui ne me connaît pas et qui pourtant me parle dès que je le lis ou l’écoute. 
Neuropsychiatre passionné d’éthologie (l’étude du comportement des diverses espèces animales dans leur milieu naturel), il sonde nos âmes avec la légèreté d’un danseur dionysiaque. Il établit des ponts entre les diverses sciences, il jongle, il observe et ne s’érige jamais en donneur de leçons. C’est un bienveillant – il veille sur nous et nous apaise. 
L’écouter, c’est devenir plus intelligent. L’écouter, c’est respirer autrement. L’écouter c’est ouvrir une fenêtre et découvrir un ciel d’azur. Et puis il y a cette voix, à nulle autre pareille – une voix de miel, un rien chantante, qui vous enveloppe et vous enchante. Et puis il y a ce regard bleu où semble toujours poindre l’esquisse d’une remarque malicieuse.
Quelques légendes l’accompagnent. Il dit de lui qu’il est le pire marin du monde, il avoue avoir été maître-nageur – un bon moyen d’approcher les jolies filles. Il aime converser avec les goélands, c’est un grand séducteur… Même la mouette de Gaston Lagaffe ne saurait lui résister.
Enfin, ce qui frappe lorsqu’on le rencontre « pour de vrai », c’est sa haute taille. Le bonhomme dépasse le mètre quatre-vingt-cinq et pèse bien quatre-vingt-dix kilos.  Vous me direz, en quoi cela est-il pertinent ? Et bien, justement, c’est essentiel parce que Boris – qu’il me pardonne de l’appeler par son prénom – est un amateur de rugby, sport qu’il a pratiqué dans sa jeunesse. Cela nous fait un point en commun et je n’en suis pas peu fier, sauf que moi, j’étais un format beaucoup plus réduit. Comme vous le savez peut-être, pour jouer au rugby, il faut deux équipes de quinze et un ballon ovale. Chaque équipe est constituée d’avants et d’arrières. Les avants sont lourds et costauds, les arrières sont vifs et légers. Bon, ça c’était vrai avant, du temps de Jean Gachassin… Et Boris dans tout ça ? Vous l’aurez deviné, c’était un avant, mais pas un avant statique. Il était troisième ligne aile. Ça vous dit peut-être rien. Je vais vous expliquer. Un troisième ligne aile est au flanc de la mêlée – il y en a deux, de part et d’autre qui encadrent le troisième ligne centre, aussi appelé numéro 8. Cela veut dire qu’il pousse avec les costauds, mais qu’il est suffisamment véloce pour ramasser la balle et galoper comme un ailier. Et ça, c’est le secret de Boris. Il est puissant, déterminé et vif comme l’éclair. Il est aussi clairvoyant car un troisième ligne est un stratège-né, à l’instar du demi de mêlée qui sait mettre en relation les avants et les arrières. Mettre en relation, n’est-ce pas là ce qui explique le parcours de cet « arpenteur de nos âmes » ? Infatigable, il est partout sur le terrain et grâce à sa lucidité, il sait offrir des ballons magiques et nous émerveille. L’intelligence de ce jeu est à la mesure de celle de notre neuropsychiatre préféré… Passeur de ballons, passeur de savoirs, passeur d’espoir… 

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Quelques repères biographiques

Le père et la mère de Boris Cyrulnik fuient l’Ukraine et la Pologne et émigrent en France dans les années 1930. Il naît à Bordeaux le 26 juillet 1937.  Le 18 juillet 1942, avant d’être arrêtée et déportée, sa mère le dépose à l’Assistance publique  où il va rester un an. Il est ensuite recueilli par la famille Farges. En 1944, il échappe de justesse à une rafle dans la synagogue de Bordeaux – il raconte cet épisode dans Sauve-toi, la vie t’appelle :

"Le bruit était intense dans la synagogue. Un homme en civil est entré et à ouvert une à une les portes des toilettes. Il n’a pas levé la tête. Le bruit était moins fort maintenant. Un soldat est entré à son tour et a vérifié les cabinets. S’il avait levé la tête, il aurait vu un enfant coincé sous le plafond. J’ai attendu le silence et me suis laissé tomber au sol. La synagogue était vide maintenant. Le grand portail ouvert laissait entrer le soleil. Je me souviens de la poussière qui voletait dans la lumière. J’ai trouvé ça très beau. Des hommes en civil parlaient, tous en rond. Je suis passé près d’eux, j’ai l’impression qu’ils m’ont vu, ils n’ont rien dit, je suis sorti." 

Sauve-toi, la vie l’appelle, Odile Jacob, p.27, 2012. 


Il est recueilli par des paysans et devient garçon de ferme. Ses parents meurent en déportation. À la Libération, il trouve refuge auprès de la sœur de sa mère, Dora. 
Il saura triompher de cette enfance fracassée par l’horreur nazie. Dès l’âge de 10 ans, il sait qu’il deviendra psychiatre et il y parviendra. 
Neuropsychiatre, éthologue, psychanalyste et infatigable passeur de savoirs. Grâce à ses écrits, à ses communications et aux divers entretiens qu’il accorde aux médias, il nous rend plus intelligents, plus sereins, plus apaisés. Enfin, et c’est un aspect de son action qu’il faut souligner, il a livré le fruit de ses recherches à quantité d’étudiants. Chercheur, médecin de l’âme, professeur – un guide, en somme. 

Une rencontre déterminante : John Bowlby

Image prise ici 

John Bowlby (1907-1990) est un psychiatre et psychanalyste anglais, célèbre pour ses travaux sur l'attachement, la relation mère-enfant. 
Contrairement à Freud qui soutenait que le nourrisson s’attache à sa mère parce qu’elle satisfait son besoin d’alimentation, Bowlby relie l’attachement au besoin de contacts sociaux. L’enfant naît social et se construit au moyen des relations avec les personnes significatives qui l’entourent. Il se sent plus ou moins en sécurité dépendant de la façon dont on répond à ses besoins. D’après Bowlby, l’attachement est un processus instinctif destiné à assurer la survie de l’espèce en maintenant une proximité entre un nourrisson et sa mère. L’attachement débute dès la grossesse et s’établit dans les trois premières années de la vie. Il va influencer la façon dont l’enfant va ensuite établir ses relations sociales pour le reste de sa vie. 
(Allez ici, pour en savoir plus) 

Boris Cyrulnik est surtout connu pour avoir popularisé la notion de résilience : 
C’est l’aptitude d’un corps à résister aux pressions et à reprendre sa structure initiale. Ce terme est souvent employé par les sous-mariniers de Toulon, car il vient de la physique. En psychologie, la résilience est la capacité à vivre, à réussir, à se développer en dépit de l’adversité, ou plus précisément, nous dit-il "l'étude des conditions qui permettent la reprise d'un nouveau développement après un traumatisme psychique".




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Boris Cyrulnik, membre d’honneur de l’AMEJDAM : Logique !

Cathie Fidler : La relation entre l’AMEJDAM et Boris Cyrulnilk est pertinente. Lui-même a raconté son enfance, et le miracle de son sauvetage, dans la première partie de ses mémoires : Sauve-toi, la vie t’appelle, dont le seul titre est un hymne à la survie. Il l’a échappé belle, le petit Boris, grâce à un miraculeux concours de circonstances, et du coup, son nom n’a besoin d’être mis sur aucune plaque d’aucune école, ce dont nous nous réjouissons (en attendant qu’il soit donné à une école maternelle – de son vivant, de préférence, cela nous réjouira encore plus !) 

Dans la seconde partie de ses mémoires, qui vient de paraître chez Odile Jacob, intitulé Les âmes blessées, il nous parle d’aspects reliés à son parcours scientifique et médical. Ceux-ci expliquent tout aussi clairement son cheminement, et les raisons pour lesquelles il est totalement demeuré du côté des enfants. 

Facile, nous dira-t-on ! Qui ne serait du côté de ces petits innocents ? 
Mais ce n’est pas ce lieu commun-là qu’énonce Boris Cyrulnik. 

Il nous a souvent expliqué comment un enfant peut devenir un adulte respectueux des autres êtres humains, y compris des enfants, quelle que soit la brutalité de l’environnement qu’il a subi dans son enfance, si certaines conditions sont remplies. Ce concept de résilience est à présent associé à son nom, mais il rappelle que les initiateurs en furent notamment l’éthologue psychanalyste britannique John Bowlby et le psychiatre américain A.J Solnit. « Se remettre à vivre après un trauma psychique, voilà ce que le terme recouvre ». 

Dans Les âmes blessées, Boris Cyrulnik évoque ce que nous avons peut-être oublié, par confort, au sujet de l’après-guerre. L’occident éclairé a eu beau vaincre le nazisme, la violence n’en est pas moins restée une de ses composantes pendant au moins deux décennies. Le tableau que dresse Boris Cyrulnik de la société dans laquelle il a grandi, puis étudié, est effrayant. 

Il nous le rappelle : les enfants étaient châtiés manu militari, sans que quiconque s’en offusque jamais. La violence morale envers les adolescents, celle-ci plus sournoise, suivait la violence physique. Il fallait suivre le chemin désigné par les parents, sinon... gare aux représailles. La maltraitance, ignorée et occultée, existait bel et bien. La violence existait à l’école, physique et morale, justifiée et acceptée par tous. La violence existait à l’hôpital où Boris Cyrulnik a fait ses études : violence des soignants sur les soignés, surtout lorsque ceux-ci étaient des malades mentaux, dont les troubles étaient encore bien méconnus. Violence des mandarins sur les jeunes internes. La violence existait bien dans la société tout entière : Violence des hommes, sur les femmes. Violence à l’égard des bâtards, que l’on plaçait à l’orphelinat, puis en maison de correction, et ensuite à l’armée, dans des bataillons disciplinaires. (Citations approximatives). 

Boris Cyrulnik a observé tout cela. Comme tant d’autres enfants hors-normes, puisqu’orphelin, il aurait pu vouloir se conformer en se contentant de reproduire ce qui l’environnait. D’une façon plus édulcorée, peut-être, comme tant d’autres. Ou alors se révolter contre le système, au risque d’en sortir détruit, et inutile à la société. Mais non, ce n’est pas ce qu’il a fait. Avec l’intelligence du survivant, et grâce à un épisode de sauvetage, il a su s’adapter, se façonner et à son tour façonner le système. « La lutte contre la souffrance donne un sens à notre existence » dit-il – mais, il est clair que, dans son cas, elle a également donné un sens à l’existence de bien d’autres êtres humains, ses contemporains. 

Il aurait pu, comme tant d’autres, adhérer à un dogme. C’est rassurant le dogme ; c’est, dit-il, comme un objet de croyance : « il n’est pas réfutable, il n’est que confirmable. Si vous n’êtes pas d’accord, ou si simplement vous doutez, il vous faudra entamer un processus de désaffiliation. Vos proches vont éprouver votre divergence comme une trahison. Si vous doutez, vous devez partir, vous êtes un dissident ! » De même, il énonce : « La pensée paresseuse aime les étiquettes. »

Si Boris Cyrulnik n’est pas un dissident, c’est tout simplement parce qu’un dissident doit avoir été membre d’un groupe, avec un sérieux inébranlable. Or ce qui distingue Boris Cyrulnik, et on le ressent chaque fois qu’on l’entend, c’est son humour, parfois véritablement iconoclaste. Celui-ci révèle clairement son désir permanent de ne pas être membre d’une seule chapelle, mais de rester un homme libre, qui sait rire, se moquer, en inventant les pires canulars. Tout comme un enfant. 

À ceux qui, butés et donneurs de leçon, affirment rester fidèles à eux-mêmes dans la tourmente, il répond : « C’est par fidélité à soi-même qu’il convient de s’opposer à la théorie que l’on défendait hier. Quand une théorie évolue vers la dictature alors qu’elle parlait de liberté, ceux qui continuent à la suivre révèlent leur soumission et leur perte de jugement. » 
À ceux qui, pétris de bonne conscience, crient haro sur les labos, il répond tranquillement : « L’hostilité systématique envers les laboratoires pharmaceutiques, légitimée par quelques excès, oublie que c’est grâce à eux que nous vivons mieux. »

Mais, dit-il, quand bien même un être humain a été blessé et meurtri dans son enfance, et dans son adolescence, il peut toujours évoluer, rebondir, retomber sur ses pieds, pour devenir un adulte apaisé. Rien n’est jamais perdu. Rien n’est que de l’inné, et rien n’est que de l’acquis. Le cerveau évolue tout au long de la vie, en fonction des stimuli. Comme le disait la chanson, il suffit de pas grand-chose, de presque rien… pour rétablir un équilibre. La bonne rencontre, au bon moment, un regard positif porté sur soi ; la confiance regagnée ; la main tendue… les yeux ouverts, pas refermés sur son malheur. À ce moment-là, celui-ci deviendra « un merveilleux malheur » qui permettra une renaissance au plus vilain des vilains petits canards. 

Alors, nous direz-vous, quel rapport avec les enfants disparus ?

Eh bien, Boris Cyrulnik aurait pu, aurait dû en être, de cette liste funèbre. 
Pendant des années, comme tant d’autres, il n’a guère parlé de sa propre histoire : « D’abord j’ai dû me taire pour ne pas mourir, puis je me suis tu pour être tranquille. » 
Lui-même balloté d’un lieu d’accueil à un autre, sans repère, ni famille, sans que sa culture familiale lui soit transmise, il a dû en mettre, du temps, avant de pouvoir parler, aux autres et à lui-même. Le déclic, explique-t-il, a eu lieu lorsqu’il s’est retrouvé à Stella Plage, dans une colonie de vacances de la Commission centrale à l’enfance, très semblable à  « une république des enfants », modèle fondé par Korczak, ce jeune éducateur polonais qui est parti à la mort avec les enfants dont il s’occupait. 

Dans cette colonie, deux moniteurs, formés à ces méthodes éducatives, ont permis au jeune Boris de s’exprimer et de participer à des projets. Bavarder, parler avec d’autres, c’est ce qui l’a sauvé. 

À présent – et quel bonheur pour nous ! –, il parle, et il nous parle, à tous les sens du terme. 

En acceptant d’être membre d’honneur de notre association, il fait preuve de solidarité. Il nous dit, entre les lignes : « j’ai moi-même miraculeusement survécu, mais je n’oublie pas que d’autres n’ont pas eu ma chance. »
Et, de cela comme du reste nous ne pouvons que lui être extrêmement reconnaissants. 

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Quelques citations :

"Quand les enfants s’éteignent parce qu’ils n’ont plus rien à aimer, quand un hasard signifiant leur permet de rencontrer une personne – une seule suffit – pour que la vie revienne en eux, ils ne savent plus se laisser réchauffer. Alors, ils manifestent des comportements surprenants, ils prennent des risques exagérés, ils inventent des scénarios ordaliques comme s’ils souhaitaient se faire juger par la vie."
Les Vilains Petits Canards, Odile Jacob, p.13, 2004.

"La sortie des camps n’est pas la liberté. Quand la mort s’éloigne, la vie ne revient pas. Il faut la chercher, réapprendre à marcher, à respirer, à vivre en société. Un des premiers signes de la dignité retrouvée fut le partage de la nourriture. Il en restait si peu dans les camps que les survivants avalaient en cachette tout ce qu’ils pouvaient trouver. Quand les geôliers se sont enfuis, les morts-vivants ont fait quelques pas dehors, certains ont dû se glisser sous les barbelés  parce qu’ils n’osaient pas sortir par la porte puis, ayant constaté la liberté après avoir palpé le dehors, ils sont rentrés au camp, ils ont partagés quelques croûtons afin de se prouver qu’ils s’apprêtaient à redevenir des hommes." 
Les Vilains Petits Canards, Odile Jacob, pp. 13 & 14, 2004.

"Le simple fait de constater qu’un certain nombre d’enfants traumatisés résistent aux épreuves, et parfois même les utilisent pour devenir encore plus humains, peut s’expliquer non pas en termes de surhomme ou d’invulnérabilité, mais en associant l’acquisition de ressources internes affectives et comportementales lors des petites années avec la disposition des ressources externes sociales et culturelles." 
Les Vilains Petits Canards, Odile Jacob, p. 27, 2004.

"Quand le réel est monstrueux, il faut le transformer pour le rendre supportable." 
Les Vilains Petits Canards, Odile Jacob, p.161, 2004.

"On n’est pas plus ou moins résilient, comme si l’on possédait un catalogue de qualités : l’intelligence innée, la résistance au mal ou la molécule de l’humour. La résilience est un processus, un devenir de l’enfant qui, d’actes en actes et de mots en mots, inscrit son développement dans un milieu et écrit son histoire dans une culture. C’est donc moins l’enfant qui est résilient que son évolution et son historisation." 
Les Vilains Petits Canards, Odile Jacob, p.225, 2004.



À propos de la mémoire

"La représentation du passé est une production du présent. Ce qui ne veut pas dire que les faits de mémoire sont faux. Ils sont vrais comme sont vrais les tableaux réalistes. Le peintre, rendu sensible à certains points du réel, les reproduit sur la toile en les mettant en valeur. Sa représentation du réel parle de son interprétation où tout est vrai et pourtant recomposé." 
Les Vilains Petits Canards, Odile Jacob, p. 21, 2004.

"Je suis né deux fois.
Lors de ma première naissance, je n’étais pas là. Mon corps est venu au monde le 26 juillet 1937 à Bordeaux. On me l’a dit. Je suis bien obligé d’y croire puisque je n’en ai aucun souvenir. 
Ma seconde naissance, elle, est en pleine mémoire. Une nuit, j’ai été arrêté par des hommes armés qui entouraient mon lit. Ils venaient me chercher pour me mettre à mort. Mon histoire est née cette nuit-là." 
Sauve-toi, la vie l’appelle, Odile Jacob, p.11, 2012. 

Le trauma dans la mémoire

"Quarante ans de silence. 
Ça ne veut pas dire quarante ans sans récits intimes. Je me racontais beaucoup mon histoire, mais je ne la racontais pas. J’aurais aimé en parler. J’y faisais allusion, j’évoquais les événements passés, mais chaque fois que je laissais échapper une bribe de souvenir, la réaction des autres, interloqués, dubitatifs ou gourmands de malheurs, me faisait taire. On se sent tellement mieux quand on se tait. J’aurais aimé en parler simplement, mais était-ce possible d’en parler simplement ?" 
Sauve-toi, la vie l’appelle, Odile Jacob, p.39, 2012. 

À écouter : 

La Tête au Carré, Mathieu Vidard, France Inter :  Boris Cyrulnik, 50 ans d’aventure psychiatrique. 

Service Public, Guillaume Erner, France Inter : Boris Cyrulnik : le Conseil National de la Résilience. 

Remède à la mélancolie, Eva Bester, France Inter : Boris Cyrulnik : « Les bêtises de la vie, c’est ce qu’il y a de plus profond » 

En fin d’émission, vous avez pu entendre : Un gamin de Paris, chanté par Francis Lemarque. 

Pour en savoir plus sur Francis Lemarque, cliquez ici.

POUR FINIR, une sélection d’ouvrages à lire ou à relire :



  • Sous le signe du lien, Hachette, 1989
  • Mémoire de singe et paroles d'hommeHachette, 2007 (nouvelle édition, 1ère parution : 1987). 
  • Un merveilleux malheur, Odile Jacob, 1999
  • La fabuleuse aventure des hommes et des animaux, co-écrit avec Karine LoMatignon, Chêne, 2001
  • Dialogue sur la nature humaine, co-écrit avec Edgar Morin, L’Aube, 2003
  • Mourir de dire: La honte,  Odile Jacob, 2010
  • Quand un enfant se donne "la mort", Odile Jacob, 2011
  • Sauve-toi, la vie t'appelle, Odile Jacob, 2012
        ET LE DERNIER : 

Les âmes blessées, Odile Jacob, 2014

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CATHIE FIDLER SE PERMET D'ADRESSER UN PETIT CLIN D'ŒIL À UN VÉTÉRINAIRE COMPORTEMENTALISTE, QUE BORIS CYRULNIK MENTIONNE AUSSI  DANS SON DERNIER LIVRE : CLAUDE BÉATA. 






mardi 2 décembre 2014

PHOTOGRAPHIER LE GHETTO



Si vous l'avez manquée en direct, vous trouverez cette semaine sur notre blog une suite à la présentation de la l'émission consacrée à la photo de l'enfant du ghetto de Varsovie. Nous sommes heureux de voir que vous êtes à présent si nombreux à suivre ce blog. Merci à vous tous et toutes de participer ainsi à ce travail de mémoire.  


L'ACTE PHOTOGRAPHIQUE

J’aimerais tout d’abord revenir sur la photo de l’enfant du ghetto de Varsovie qui me hante depuis tant d’années. Grâce au travail de Richard Raskin, j’ai pu en retracer l’histoire, identifier le tortionnaire et replacer cet instant photographique dans le chaos de l’Histoire.

 Que se passait-il dans la tête des photographes qui couvraient les arrestations et les massacres ? Ils étaient conscients de l’importance de leur travail aux yeux de leurs supérieurs et ils savaient que leurs clichés seraient utilisés à des fins de propagande. Les nazis avaient compris depuis bien longtemps que les images et les films avaient un pouvoir magnétique qui pouvait servir leur idéologie toxique.

La plupart des photographies qui figurent dans le Rapport Stroop sont des plans d’ensemble; rares sont les plans rapprochés et encore moins les gros plans, réservés aux clichés représentant les bunkers de fortune dans lesquels se terraient les résistants du ghetto. Il fallait garder une distance « sanitaire » par rapport aux sujets afin de ne pas les transformer en héros et surtout ne pas susciter la compassion. Le gros plan porte en lui une puissance émotionnelle qu’il est difficile d’évaluer. Enfin, et c’est peut-être, l’explication la plus évidente, les appareils utilisés n’étaient pas équipés de téléobjectifs. Les photographes des Propaganda Kompanien utilisaient essentiellement des appareils photos de marque Leica réputés pour leur robustesse, leur maniabilité  et la qualité de leurs optiques.



Leica II (1932) Photo prise ici

Une Propaganda Kompanie était une unité dotée d’un matériel lourd : véhicules en tous genres, laboratoires photos mobiles, imprimeries et tout une logistique destinée à assurer une propagande efficace. Dans chaque unité on trouvait des cameramen, des photographes, une équipe de presse, une équipe radio, des techniciens et des conducteurs de véhicules. Les photographies figuraient essentiellement dans des revues de propagande telles que Signal et Der Adler.


La  photo n°14 de l’enfant aux mains levées, est celle qui sort du lot en raison d’une charge émotionnelle qui semble avoir échappé aussi bien au photographe qu’à Jürgen Stroop lui-même. Anesthésiés par la folie de leur idéologie, ils n’en ont pas saisi la force. Le photographe, qui était de toute évidence un professionnel,  s’est placé au bon moment, au bon endroit. C’est ce qu’on appelle le regard ou l’œil photographique.

La photographie n°14 a eu ensuite un destin unique: choisie dans un ensemble destiné à servir de preuve visuelle de la destruction du ghetto, elle est devenue pièce à conviction lors des procès de l’après-guerre. Depuis, elle continue à peser sur notre imaginaire. En effet, elle est empreinte de l’horreur d’un « après » dont nous connaissons les images atroces.
Comment le photographe, encore inconnu à ce jour,  a-t-il vécu avec le souvenir de ces clichés ?

Les photographes des Propaganda Kompanien ne furent pas les seuls à photographier les ghettos. Du 13 novembre 2013 au 28 septembre 2014, Le Mémorial de la Shoah a présenté une exposition intitulée : Regards sur les ghettos.

Photo prise ici 


L’exposition présentait près de 500 photographies prises dans les ghettos. Des photographes juifs ont couvert clandestinement la vie dans les ghettos. Ainsi, Mendel Grossman et Henryk Ross, ont accumulé des clichés sur la vie quotidienne dans le ghetto de Lodz.




Mendel Grossman (1913-1945), ghetto de Lodz (1940)
Photo prise ici 




Henryk Ross (1910-1991), ghetto de Lodz (1940-1944)
Photo prise ici  

George Kadish (1910-1997), photographe amateur, a bravé les interdictions et a photographié la vie quotidienne et les déportations dans le ghetto de Kaunas en Lituanie.




George Kadish, ghetto de Kaunas (1941)
Photo prise ici


Plus surprenant encore, de 1940 à 1943, dans le ghetto de Varsovie, l’historien, Emmanuel Ringelblum (1900-1944), à réuni une petite équipe qui a stocké des documents et quelques photographies prises dans le ghetto par des photographes inconnus à ce jour. Ces archives, conservées dans dix boîtes métalliques, ont été miraculeusement retrouvées après-guerre dans les ruines du ghetto. Les archives de Ringelblum font désormais partie du registre international Mémoire du monde de l’UNESCO.



Photo prise ici 

L’exposition a également fait figurer les clichés pris par la Propaganda Kompanie 689. Ont été rassemblées les photographies prises par Ludwig Knobloch, Albert Cussian et Zermin.






Albert Cusian, ghetto de Varsovie (1941)
Photo prise ici 


Enfin, des soldats allemands ont pris des photos, parfois  sans y être autorisés. Celui qui a su photographier le ghetto de Varsovie avec le plus d’humanité est Willy Georg :

« Basé à Varsovie, il pénètre avec l’autorisation de son supérieur dans le ghetto de la ville au mois de juin 1941 et y photographie avec une réelle empathie de nombreuses scènes de rue. Appréhendé par la police allemande qui lui confisque son Leica et la pellicule qu’il renferme – photographier les ghettos sans supervision est alors une pratique interdite aux soldats allemands – Georg parvient néanmoins en les dissimulant à conserver quatre pellicules. Ce n’est qu’au début des années 1990 que son fils fait don de ces précieux clichés à Rafael F. Scharf qui en publie une sélection dans In the Warsaw Ghetto paru en 1995. Ces photographies sont aujourd’hui conservées au London Jewish Cultural Centre (LJCC). »
Source : Dossier de presse – Regards sur les ghettos.

Willy Georg, ghetto de Varsovie (1941)
Photo prise ici 





Daniel Blatman, commissaire scientifique, présente l’exposition en ces termes :

« En confrontant ces images aux photographies de propagande ou aux clichés pris par des photographes amateurs allemands, une autre histoire de la vie des ghettos s’écrit. Les images ne sont jamais neutres. Elles racontent quelque chose. Or, les récits contenus dans les photographies d’un Mendel Grossman, d’un George Kadish, d’un Henryk Ross, sont fondamentaux. Que disent-ils, que montrent-ils ? Ils montrent les dernières heures de la vie d’un peuple. Outre les témoignages de souffrance et de destruction, les objectifs saisissent des scènes de vie familiale, des activités professionnelles et culturelles, des engagements politiques. De mon point de vue, l’importance historique de ces images réside dans leur propension à montrer le peuple juif comme un peuple vivant, c’est-à-dire comme des êtres de chair et de sang qui ont réellement existé ». 
Voir site ici

Plus que des films d’archives, ces photographies nous permettent de nous approcher de la réalité. Elles nous invitent à faire des arrêts sur image, à retenir notre souffle et à recueillir ces instantanés de vies qui ne sont plus.

Jacques Lefebvre-Linetzky

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DERNIÈRE MINUTE : Notre présidente, Michèle Merowka, a été l'invitée du 19-20 de France 3, ce jour (2 décembre) pour évoquer la mort d'Aloïs Brunner, la tragique situation des Juifs de Nice sous son occupation, et également expliquer au grand public le rôle de notre association. Vous pourrez revoir cette interview sur Pluzz pendant une semaine.