Ceci est notre logo

Ceci est notre logo

mercredi 28 octobre 2015

RIVESALTES,UN MÉMORIAL, DANIEL WANCIER TÉMOIGNE ...




Image empruntée ici
© M. Hédelin/ région Languedoc-Roussillon/ février 2015

Ce billet de blog est consacré au camp de Rivesaltes et évoque également le camp de Gurs. Lors de notre émission, les invités du jour étaient, Daniel Wancier, président de Yad Vashem, Nice-Côte d’Azur et Cathie Fidler, écrivain.
Daniel Wancier est l’un des rares témoins de ce que fut le camp de Rivesaltes puisqu’il y fut interné avec sa mère et sa sœur.

Rivesaltes se situe dans le département des Pyrénées-Orientales en région Languedoc-Roussillon. C’est un lieu surtout connu pour son vignoble. Il couvre d’ailleurs la plus grande partie du Roussillon viticole et s’étend jusqu’aux corbières dans l’Aude.

Mais Rivesaltes, ce n’est pas qu’une histoire de vin doux, c’est là que fut construit le camp Joffre, communément appelé le camp de Rivesaltes. Ce camp a un lourd passé, longtemps occulté, effacé de la mémoire collective.

700 hectares, une dizaine d’îlots, 150 baraques…


Image empruntée ici
© Olivier Amsellem

Ce devait être à l’origine un camp militaire.  Sa vocation évolua au fil des aléas de l’Histoire. Dès 1939, il servit de centre d’hébergement pour les Républicains espagnols et puis on y « accueillit » les Juifs étrangers et les Tsiganes. Le 21 août 1942, le camp devint le « Centre inter-régional de rassemblement des Israélites ». Entre août et octobre 1942, 2313 hommes, femmes et enfants furent déportés de Rivesaltes en direction d’Auschwitz via Drancy. En novembre 1942, le centre d’internement fut fermé et le camp fut occupé par l’armée allemande. Après la libération du camp en août 1944, le camp servit de lieu d’internement pour des collaborateurs et autres profiteurs. De 1945 à 1948, le camp devint un centre d’internement pour les combattants ennemis (allemands, autrichiens et italiens). Le dépôt fut dissout en 1948. Il devint à nouveau opérationnel à partir de 1954 et servit de centre de formation militaire. De janvier à mai 1962, il fut à nouveau utilisé comme centre pénitentiaire et on y envoya en majorité des combattants du FNL (Front de Libération Nationale). À partir de septembre 1962, le camp de Rivesaltes hébergea les « Harkis » et leurs familles dans des conditions extrêmement difficiles en raison de la précarité des installations. Le camp de transit de Rivesaltes fut fermé officiellement en décembre 1964.

Arrestations, fuite, une famille disloquée : 
le témoignage de Daniel Wancier



© JL+L

Mon père a été arrêté le 14 mai 1941 par ce qu’on appelait le « billet vert ». La plupart des Juifs étrangers se sont engagés comme volontaires pour la durée de la guerre. D’abord par conviction et ensuite parce qu’ils voulaient absolument devenir Français. Après l’Armistice, ils ont été libérés. Quelques mois après, mon père reçoit, comme d’autres, un billet vert qui lui indique qu’il lui faut se présenter au commissariat de police pour affaire le concernant. Presque tous étaient persuadés que c’était pour avoir des papiers français en vue de leur naturalisation. Ils s’y rendent et immédiatement ils sont arrêtés et conduits à Beaune-la-Rolande et à Pithiviers. Ils resteront là 10 mois et le 17 juillet 1942, ils partent pour Auschwitz. (…) Nous, pendant ce temps-là, ma mère, ma sœur et moi, on est arrêtés le 16 juillet 1942 à la rafle du Vel’ d’Hiv’. À 6 heures du matin, on nous met dans des autobus. Ma mère comprend que ce n’est pas « très bon pour la santé » quand on commence à arrêter les enfants. Il n’y avait que des gendarmes et des policiers – aucun Allemand. Donc, on est arrêtés, on est dans l’autobus, ma mère dit au policier qui nous gardait : « j’ai encore des paquets à prendre ». Le policier l’autorise à les chercher. Et elle y va accompagnée de ses enfants.  On ne revient pas, on reste cachés dans une cave. On attend quelques heures que le bus parte. Ensuite on va dans le métro parce que la nuit il n’y avait pas de rafles dans le métro. On reste une dizaine de jours. Ma mère rencontre quelqu’un qu’elle connaît qui lui dit qu’il peut la faire passer en zone libre. Elle donne une bague à un passeur qui doit nous faire franchir la Saône. Manque de chance, le passeur nous avait vendus et la milice nous attendait de l’autre côté. Et de là, on est conduits à Rivesaltes.

Souvenirs de Rivesaltes

On y arrive le 1er août 1942. Là, les enfants sont dans une baraque séparée des parents. Ma mère, on lui fait faire la cuisine, peler les pommes de terre, préparer quelque chose. On a très peu à manger. Les conditions sont très difficiles. Il y a beaucoup de monde, on est gardés par des chiens et par des gendarmes. Moi, j’ai la chance d’être avec ma sœur qui me donne un peu à manger. Et ma mère, qui a survécu aussi, nous a toujours dit : « souffrir soi-même, c’est dur, mais voir souffrir ses enfants devant soi, c’est ce qu’il y a de plus dur au monde. » On avait faim, on avait des maladies, de l’impétigo, des poux, etc. Une sœur de mon père habitait dans la région de Toulouse. Elle a su qu’on était là. Elle a soudoyé un paysan qui livrait des pommes de terre dans le camp pour nous faire partir ma sœur et moi. Ma mère a dit à ma sœur : « tu t’occuperas de ton petit frère. » J’avais 4 ans, ma sœur, 8 ans. Malheureusement, dès notre sortie du camp, on a été séparés et pris en charge par l’O.S.E.
Ce qui me reste de Rivesaltes, jusqu’à un âge très avancé, j’ai eu peur des chiens et j’ai eu peur des uniformes (…) après la guerre, j’ai été malade pendant longtemps.

Retours à Rivesaltes

J’y étais déjà allé avec ma sœur et nos enfants en 1993 parce que Serge Klarsfeld y avait fait apposer une stèle. Cette stèle a été vandalisée par la suite. À cette époque, on parlait d’un mémorial, mais cela ne venait pas.
Je suis très content que ce mémorial existe désormais. Il y a encore des baraques du camp. On peut montrer à nos enfants, nos petits enfants où on est passés et ce qui s’est passé. Le bâtiment est à moitié enfoncé et presque enfoncé complètement. On peut dire que c’est une immense tombe. Mais il faut faire très attention à ne pas tout mélanger. Certes, des Espagnols ont été arrêtés, des Harkis ont été arrêtés, des Tziganes, des Gitans, mais seuls les Juifs ont été déportés vers Auschwitz. Les trains qui sont partis étaient composés à 99% uniquement de Juifs.
Donc, c’est un outil pédagogique et c’est ce qui est important puisqu’il y aura des collégiens et des lycéens  qui viendront.

Un moment fort

Nous étions 6 juifs à être passés par là dont deux femmes qui sont venues d’Israël avec qui on a pu parler en yiddish et on s’est étreints comme du bon pain. Il y avait Manuel Valls, Premier ministre, Najat Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale, Jean-Marc Todeschini, Secrétaire d’État chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire et Ségolène Neuville, Secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la Lutte contre l’exclusion. Les quatre ministres, dont le Premier ministre, ont tenu à passer une heure uniquement avec les témoins. Cela s’est passé dans un petit auditorium et ils ont demandé à tous les journalistes de sortir et cela été, pour nous, le moment le plus fort. On a pu converser, dire les choses. Et ensuite, il y a eu la cérémonie officielle. Les discours ont été très, très intéressants, mais pour nous, ce qui nous a marqués, c’est ce moment où nous avons pu avoir des contacts directs et sans les médias. Les quatre ministres ont pris le temps de parler et ils ont insisté sur l’importance de la pédagogie. On a expliqué au Premier ministre, ce que l’on faisait et moi j’ai dit que je me rendais souvent dans les collèges et dans les lycées et il m’a encouragé à continuer. La présence de la ministre de l’Éducation Nationale était également essentielle.


Image empruntée ici

Les Juifs de Bade, Cathie Fidler raconte…

Le lien avec Rivesaltes, c’est que à Rivesaltes il y a des traces des baraques, mais à Gurs il n’y a plus rien et pendant longtemps, ce n’était qu’une forêt, des bois laissés à l’abandon. Un mémorial national y a été construit en 1994. Deux grandes dalles portent des inscriptions commémoratives. Je voudrais parler aujourd’hui de ce camp de Gurs qui a vu arriver d’abord l’internement des femmes allemandes en France, juives et non juives, qui heureusement n’y sont passées qu’un printemps et qui ont été relâchées à partir de  juin 1940.* Mais du 22 au 25 octobre 1940, 6538 Juifs déportés de Bade y ont été acheminés et c’est la seule déportation qui eut lieu vers l’ouest, chapeautée par Eichmann qui était à l'origine de l'idée et qui s’est appelée, l’opération Bürckel, du nom du "Gauleiter" de Lorraine-Sarre-Palatinat. Ils sont arrivés à Gurs dans des conditions qu’on imagine. Lors d’un voyage récent à Mannheim, j’ai vu devant la gare un panneau mémoriel qui indiquait la distance entre Mannheim et Gurs (1349 km). Gurs est près d’Oloron-Sainte-Marie et j’en parle aujourd’hui parce que j’ai cité les dates entre le 22 et le 25 octobre 1940, nous sommes donc dans une période d'anniversaire, et aussi pour évoquer mon histoire personnelle. Mon arrière-grand-mère a été déportée à Gurs avec ces plus de six mille Juifs et ensuite elle a été transférée de Gurs à Rivesaltes en mars 1941 – elle y est décédée en juin 1941, à l’âge de  83 ans. Donc, évidemment, ces deux camps étaient liés et de nombreux Juifs ont été transférés d’un camp à l’autre, l’autre étant, comme l’a dit, Daniel, l’antichambre de Drancy. C’est un fait qui n’est pas très connu  du grand public, et c’est la raison pour laquelle je souhaite que ces mémoriaux servent de point de départ à des recherches encore plus poussées par les familles, et qu’ils permettent un travail pédagogique approfondi à partir de maintenant, grâce à celui de Rivesaltes.

* Les archives du Camp de Gurs, concernant la période de mars à juillet 1940 ont toutes été détruites lors de la signature de l’Armistice par le directeur du camp, le commandant Davergne (futur résistant) qui craignait qu’elles ne nuisent gravement aux internées si les informations qu’elles contenaient tombaient entre les mains des nouveaux occupants. Pour plus de détails sur le Camp de Gurs, cliquer ici. Ce site rénové est extrêmement détaillé.


Le Mémorial de Rivesaltes


Image empruntée ici
© M. Hédelin/ région Languedoc-Roussillon/ février 2015

En 1978, Serge Klarsfeld publie la liste des déportés juifs et des Juifs décédés du camp de Rivesaltes.


Image empruntée ici

Le projet du mémorial a été initié dès 1998 par le Conseil Général des Pyrénées-Orientales. Il a été repris par la Région Languedoc-Roussillon à partir de janvier 2012. Cette région est la première région de France à porter un projet mémoriel. Ce lieu a une dimension régionale, nationale et internationale.

Une vocation éducative et culturelle

Espace d’histoire et de mémoire à vocation éducative et culturelle, le Mémorial a pour missions :
- la recherche historique, la restitution et le partage de cette connaissance avec les publics, sous forme d’expositions temporaires, de publications, de colloques, de conférences, etc.
- un travail pédagogique et éducatif afin de diffuser la connaissance et de susciter un questionnement sur les thématiques présentées et la relation entre histoire et mémoire : visites guidées, ateliers, documents pédagogiques, etc.
- une approche sensible et différente grâce à l’art et à la culture qui permettent d’interroger l’histoire et la mémoire : expositions, résidences d’artistes, concerts, projections de films, etc.
Deux parcours de visite sont proposés : l’un à l’intérieur du Mémorial, l’autre en plein air, au milieu des baraques reconstituées telle qu’elles étaient en 1940 et des vestiges du camp laissés en l’état.
En liant histoire et mémoire, témoignages et archives historiques, l’objectif du parcours de visite est de reconstituer l’histoire du lieu et des populations qui y ont été internées, d’expliquer les causes et les mécanismes de leur enfermement et de témoigner de leurs conditions de vie et de leurs destins.

Source, Fondation pour la Mémoire de la Shoah, cliquez ici 

Imaginer un Mémorial



Image empruntée ici

Comment maintenir la mémoire des drames du passé ? Comment sauver les vestiges, les marques, les traces, les empreintes visibles de ce passé que le temps ne cesser d’éroder ? Comment rendre visible ce qui est devenu invisible ? Le défi est immense pour l’architecte qui se fait bâtisseur de la Mémoire. Il n’est pas question pour lui (ou elle) de restaurer, rénover, réhabiliter. Il lui faut construire un édifice qui suscite la méditation, le recueillement. Mais pour nourrir cette méditation, il convient d’informer, de révéler, d’inscrire le passé dans le présent afin que le visiteur puisse s’imprégner de cette expérience. L’esthétique du lieu joue un rôle essentiel et complexe. L’édifice impose sa monumentale présence et pourtant il doit s’effacer car sa fonction première est de convoquer les ombres du passé.


L’architecte, Rudy Ricciotti, s’exprime à propos du mémorial qu’il a conçu :


Image empruntée ici
© AFP Boris Horvat

C’est un lieu désertique, battu par les vents. Un lieu qui n’existe pas à quelques centaines de mètres et que l’on découvre au dernier moment. J’ai été frappé par sa solitude, bien qu’il y ait quelques tracés de voiries quand on arrive sur place, et notamment dans l’îlot F (où est implanté le mémorial). Je l’ai survolé en avion, et l’on voit très bien tout le carré du camp Joffre. On voit les îlots, on voit que c’est à l’autre bout d’un pays. Et pourtant, quand on le parcourt, c’est une terre invisible, qui disparaît dans le paysage. C’est gigantesque. C’est ce qui m’a frappé. Il s’est passé des choses là, sourdes, des choses muettes. 


Image empruntée ici
© M. Hédelin/ région Languedoc-Roussillon/ février 2015


À cette époque-là, l’armée allemande n’occupait pas encore la région sud. Rivesaltes est le fruit de la collaboration exemplaire entre la préfecture, la gendarmerie et la SNCF, trois grands services de l’État. C’est bouleversant. La dimension que j’évoque à propos de Rivesaltes, c’est l’isolement et la surdité appliqués à un système. De la même manière que le site disparaît dans le paysage, la mémoire administrative française a effacé ses propres responsabilités exercées à 100 % dans « l’excellence ».


Image empruntée ici
© AFP Éric Cabanis

 … J’ai choisi d’affronter la violence cachée de ce lieu. Le bâtiment est un monolithe de béton de 210 mètres de long, construit sur le seul endroit où rien n’avait été construit : la place d’armes, là où était le pouvoir. Rivesaltes était un camp militaire avant d’être un camp d’internement. Le point le plus haut du bâtiment correspond au point le plus haut des baraquements. (…)
Le bâtiment est la rencontre, l’incarnation de la rencontre que les Français, aujourd’hui, n’ont pu faire avec la réalité de l’histoire de ce lieu, celle des Français avec l’histoire du camp. 

Ce monolithe est enfoui dans le sol, comme une mémoire enfouie. Il émerge à peine. C’est une expérience lorsqu’on entre dedans. Ça n’est pas comme quand on entre dans un bâtiment du XIXe siècle. On y entre par un parcours souterrain. Derrière sa violence apparente, le lieu en réalité, dégage une tendresse. Il suscite énormément d’empathie. 

Source : Le Monde en date du 25 septembre 2015, propos recueillis par Jean-Jacques Larrochelle.

Vous pouvez découvrir le récit de la déportation du père de Daniel, Berek Wancier, dans l’ouvrage suivant : Convoi n°6, Le cherche midi, 2005, pp 268-282.  




Textes, entretiens et mise en page : Jacques Lefebvre-Linetzky



mercredi 14 octobre 2015

BEATE ET SERGE KLARSFELD, UNE LEÇON DE VIE, UN MODÈLE DE COURAGE




La rencontre avec le public de Passerelles à Nice

Jacqueline Parienté accueille Beate et Serge Klarsfeld à Passerelles.
©Michèle Merowka


À Nice, ce 30 septembre 2015, la salle de réunion du FSJU est bondée. Jacqueline Parienté, responsable locale de Passerelles* a œuvré pour faire venir Beate et Serge Klarsfeld. Chacun sait que cette rencontre sera riche d’enseignements et d’émotions. Cette date n’a pas été choisie au hasard, c’est la date anniversaire de l’arrestation du père de Serge Klarsfeld, Arno, le 30 septembre 1943 à Nice. Il est mort  le 28 octobre 1943 à Auschwitz après avoir assommé le Kapo qui l’avait frappé. Une plaque figure au-dessus de la porte d’entrée du 15 de la rue d’Italie où habitait la famille Klarsfeld. Beate, Serge et sa sœur, Tania, se rendent à Nice chaque année pour honorer la mémoire d’Arno.

©JL+L

Depuis le 9 octobre 2009, et en grande partie grâce aux Klarsfeld, une stèle rappelle le rôle de l'hôtel Excelsior durant l'occupation allemande. Il était le siège du commissariat à la question juive et servait de camp d'internement pour les Juifs avant leur départ pour Drancy et Auschwitz. 


©JL +L