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samedi 11 septembre 2021

LA LIBÉRATION DE NICE - 27/28 AOÛT 1944

UN BILLET À CONSERVER, ET À PARTAGER 

Le 27 août dernier l'AMEJDAM était présente à la cérémonie qui se tient traditionnellement devant le Palais Stella, boulevard de Cessole, à Nice – le lieu où la décision fut prise en ce même jour de 1944, par des Niçois courageux et déterminés, de libérer leur ville, avant même l'arrivée des Américains.

Afin de ne pas oublier les martyrs niçois qui moururent ces jours-là, leurs parcours respectifs sont retracés dans ce livre-là, dont nous vous recommandons vivement la lecture : 




    Auteurs :  

4ème de couverture :


Ce 29 août 1944, la ville de Nice s'éveille dans le calme de ses rues lourdes de chaleur et de silence. Quelques rares coups de feu tirés par des patriotes toujours présents sur leur lieu de combat rappellent qu'hier, la ville se soulevait pour chasser l'occupant allemand.

Dans l'après-midi, les patrouilles américaines du 551e Parachute Infantry Battalion sont acclamées par la foule. C'est l'aveuglement collectif d'une population qui oublie ses libérateurs : les résistants et les combattants niçois de la journée du 28 août 1944. Avec leur courage et la rage de vaincre, menés par des chefs de grande bravoure, seuls, ils ont libéré leur ville. Les Américains ont été fêtés pendant que les combattants découvrent leurs blessés et leurs martyrs, ils sont 34 !


* * * * * 

 
Ci-dessous, vous pourrez à présent lire le discours prononcé ce jour-là par Michel Goury, en présence du Professeur Jean-Louis Panicacci, de M. Jean-Marc Giaume, de nombreux membres de l'Association du Musée de la Résistance Azuréenne, et d'élus locaux. Ce texte est précieux, car il retrace la chronologie de cet événement, en répondant aux questions que nous pouvons encore nous poser quant à  son déroulement.  





Palais Stella, 27 août 2021

 

"Août 1944, la France recouvre sa liberté. Après deux jours de combats, Paris gagne sa bataille les 25 et 26. Le 27 août, les affrontements armés s’achèvent à Toulon. À Marseille, les luttes farouches commencées le 20 août conduisent à la reddition des Allemands le 28 août.

 

Ce 28 août 1944, Nice s’insurge et prend les armes contre un occupant prêt à quitter la ville. La ville, délaissée du soutien des soldats Américains, est alors abandonnée aux seuls courage et témérité de ses résistants.

Nous pouvons cependant nous interroger : quels sont les hommes à l’origine de cette journée insurrectionnelle ? Les acteurs de cette page d’histoire ont témoigné et les historiens ont compulsé les archives déclassifiées.


Qui a pris l’initiative de lancer l’insurrection niçoise ?


Rappelons d’abord que depuis le 9 novembre 1943, la capitale de la France combattante n’est plus Londres, mais Alger qui accueille le Gouvernement provisoire de la République française et le Comité français de la Libération nationale (CFLN).

En cette année 1944, certains savent le débarquement proche et pensent déjà à l’après libération, rejetant l’idée d’être administrés par les Alliés. 

C’est alors le temps des rivalités politiques, des ambitions personnelles et souvent divergentes des militants et des chefs. 

 

Le jeudi 24 août 1944, une organisation insurrectionnelle est créée à l’initiative du Parti communiste français et des Francs-tireurs et partisans. Elle portera le nom de Comité insurrectionnel. Les hommes qui le composent n’ont pas l’agrément des responsables d’Alger opposés à tout combat et mouvement populaire dans les villes. Néanmoins, ils se réuniront à plusieurs reprises pour décider des actions à mener.

Le lieu des rencontres ? Le Palais Stella, 20 boulevard de Cessole, ici-même. 

 

Qui sont-ils ?


René Houat alias Duchêne, Morin alias Bernardet, Pierre Durand alias commandant Georges, tous appartiennent au Parti communiste.

 

Philippe Giovannini alias commandant Souny, Jean Calsamiglia alias Jean-sans-peur et René Canta chef du groupe René relèvent des Francs-tireurs et partisans français. 

 

Alfredo Gambassi alias Ludovic fait partie des FTP-Main-d’Œuvre Immigrée.

Charles Andrieux alias Thibaud représente la CGT et Jean Allavena alias Armand est rattaché aux Milices patriotiques des entreprises. 

 

Tous ont refusé d’être asservis à l’État-français, tous ont bravé les occupants italiens et allemands.


Ces neuf résistants vont ainsi se réunir pour donner vie au mot liberté. 

 

Le Comité insurrectionnel s’organise immédiatement.

René Houat en est le président. Sa fonction de responsable départemental du PCF justifie son rôle de "politique" au sein du comité insurrectionnel qui doit également se définir comme une organisation à vocation militaire.

Un état-major FTP placé sous le commandement du commandant Souny, secondé par Jean-sans-peur, élargit alors le champ opérationnel de ce comité en lui donnant un rôle  "militaire".

 

Quelle date retenir pour déclencher les opérations de combat ?

 

Il faut d’abord apprécier la situation, puis définir l’organisation des actions de combat, enfin, avancer une date et une heure prévisionnelles des opérations.

 

La décision irrévocable des FTP-MOI d’investir les rues de Nice dès le 28 août oblige les membres du comité insurrectionnel à accepter cette date. 

 

L’état-major FTP propose alors aux membres du comité insurrectionnel un plan qui est longuement étudié et détaillé avant d’être accepté par tous.

 

Le déclenchement des opérations est fixé pour le 28 août.

 

Une nouvelle réunion est prévue pour le 27 août. 

 

Dimanche 27 août 1944, depuis les berges du Loup, les Américains reprennent leur lente progression vers le Var. Ils semblent vouloir délaisser Nice et René Houat le sait depuis la veille, informé par l’Antibois Jean Orbello. Dorénavant, la ville doit se reposer sur le courage de ses habitants et sur la pugnacité de ses patriotes ; elle a foi en la clairvoyance de l’état-major insurrectionnel niçois. Paris, Marseille, Toulouse, Toulon, villes libérées. 

 

Alors pourquoi ne pas espérer, Nice libre ?


Ce même jour, dimanche 27 août 1944 dans la matinée, au 8eétage du Palais Stella,une première réunion de l’état-major FTPF du comité insurrectionnelfixe de façon décisive les objectifs et l’heure du soulèvement. 

Un climat insurrectionnel voit ainsi le jour au cours des prises de décisions successives.

 

En fin d’après-midi, une seconde réunion se tient en ce même lieu. L’état-major FTPF lance le mot d’ordre de lutte ouverte contre les Allemands pour le lendemain, lundi 28 août à 6 h du matin, les principaux points d’appui à tenir et objectifs ont été désignés.

 

Quels sont les objectifs fixés pour libérer Nice ?


Le plan d’opération est arrêté, s’appuyant sur la détermination de la Résistance et de la population à vouloir se libérer par ses propres moyens. L’état-major est conscient que le succès dépendra essentiellement de la soudaineté de l’attaque sur tous les points spécifiés de la ville. Il faut créer la surprise et le désarroi chez l’occupant. Il s’agit de faire naître l’affolement et d’inspirer la peur chez le soldat allemand pour mieux le combattre. 

L’essentiel du plan, tel que rapporté par le commandant Souny, comporte plusieurs points : 

« - […] protection à tout prix des installations et équipements collectifs contre toute tentative de destruction par l’ennemi.

 

- Occupation avant 6 heures de toutes les voies de pénétrations et carrefours ;

 

- préparer les embuscades, récupérer armes, munitions et matériels à utiliser immédiatement contre l’ennemi. 

 

- organisation systématique des patrouilles et embuscades ;

 

 Éviter de s’attaquer aux blockhaus tant que l’armement ne le permet pas.

 

- Par proclamation écrite et haut-parleurs, appeler la population à soutenir l’action des patriotes pour prendre part aux combats libérateurs. »

 

Le plan opérationnel se transforme alors en ordre d’opération. L’insurrection s’organise sans attendre dans l’après-midi. 

 

18 heures 20. Un compte rendu de la Feldkommandantur 994 de Nice rapporte que la Moyenne corniche est occupée par des terroristes. À la suite de ce renseignement, les Allemands informent la Préfecture que l’artillerie va ouvrir le feu sur ces "bandits".

 

19 heures. La décision du comité insurrectionnel fait l’objet d’un communiqué aux organisations militaires de la mouvance gaulliste, à savoir les Corps Francs de la Libération Nationale (CFLN). Celui-ci précise que "Les représentants des CFLN, Milices patriotiques et FTP de la ville de Nice, réunis le 27 août 1944, décident de porter à la connaissance des troupes respectives, à la veille du combat sacré pour la libération, qu’elles ne doivent rivaliser que par l’ardeur dans la lutte contre l’ennemi et combattre au coude à coude fraternel et loyal dans un esprit purement patriotique."

 

20 heures. Le capitaine Paul, du groupe Parent, reçoit le mot d'ordre lancé par les FTPF : Attaquons demain matin 28 courant à 6 heures.[1]

 

Lucien Mercier commandant de la 38compagnie FTPF reçoit l’ordre de contacter tous ses chefs de détachement pour les prévenir que l’insurrection est prévue pour le 28 août à 6 heures 30 du matin. À 23 heures tous les chefs de détachements sont prêts au combat.

 

Dans la soirée du 27 août, le commandant Souny et Jean-sans-peur se rendent au presbytère de l’hôpital Pasteur où sont hébergés depuis 15 jours sous la protection de l’abbé Perrin, des hommes armés appartenant aux FTP. Au cours de la nuit, les groupes de combat sont constitués en tenant compte de l’importance et de la difficulté des actions à réaliser, chaque groupe étant chargé de missions précises avec objectifs à atteindre dès les premières heures de l’attaque. L’armement peu important est judicieusement réparti[2]

 

Signal d’un soulèvement proche, dans la nuit du 27 août, cinq hommes du groupe Bruni coupent une partie des lignes téléphoniques du central que l’ennemi a placé dans le quartier de Cimiez.[3]

 

Demain, 28 août, les hommes de Jean-sans-peur et ceux du groupe René se lanceront vers leurs objectifs respectifs.

 

Demain, les patriotes des Milices patriotiques qui occupent les grandes entreprises niçoises transformeront ces dernières en de véritables forteresses.

 

Les responsables des divers groupes de combat FTP et MOI seront avertis de l’attaque générale.

 

Tous ajustent leur brassard de couleurs, piqué à la machine à coudre, portant cousues les lettres de leur appartenance. 

 

 

À Pasteur, le commandant Souny s’isole dans la cuisine de l’abbé Perrin. Il s’enferme dans sa solitude. Il laisse s’enfuir la nuit, prenant conscience que demain ne sera plus comme avant

 

Et les années passèrent.

Pendant cinquante ans Nice s’endormit dans ses souvenirs.

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[1]MRA. Rapport du chef de groupe Paul.

[2]MRA. Compte rendu de la libération de Nice de Philippe Giovannini, alias commandant Souny. Dossier IE

[3]MRA Rapport du groupe Bruni. Il s’agit de Cadowski René, Laboris, Roscian Antoine, Roux Jean et Susini Pierre.

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Ne pas oublier. Le 28 août 1994, la commission jeune du musée de la Résistance azuréenne célébrait pour la première fois devant le Palais Stella la prise de décision du soulèvement de la ville, en présence notamment du Maire de Nice, Monsieur Jean-Paul Baréty et Monsieur Jean-Marc Giaume, alors responsable de la Commission Jeunes du musée de la Résistance, aujourd’hui adjoint au maire.

 

Ne pas oublier les 34 martyrs de la libération. Leurs noms sont gravés dans le marbre des plaques commémoratives. Chaque année, le « circuit de la Mémoire » organisé par la ville de Nice, rend hommage à ces combattants morts pour la France. 

 

Ne pas oublier le devoir de mémoire. Le 20 janvier 1988, quatre anciens résistants créent le musée de la Résistance azuréenne. Au fil des décennies celui-ci s’anime, s’enrichit des objets et archives confiés par les acteurs et témoins de ces années sombres.

Au fil des décennies, historiens et chercheurs compulsent les ouvrages et documents du centre de documentation qui s’ouvre sur notre passé récent.

Un musée qui s’offre aux visiteurs dans une région en mal de site d’histoire contemporaine.

 

Hier, musée de la mémoire de la Résistance.

 

Aujourd’hui, musée incertain de son avenir, locataire d’un local dont le bail n’est plus renouvelé. 

Demain, peut-être, de nouveau l’oubli d’une société détachée de ses valeurs. 

 

Demain espérer. Les 34 martyrs du 28 août 1944 ne mourront pas deux fois.

 

La ville de Nice a cependant pris conscience qu’un pan de son histoire ne doit pas et ne peut pas disparaître."


Michel Goury. 


* * * * *


L'AMEJDAM, COMME TOUJOURS, S'ASSOCIE À CES MOMENTS D'HOMMAGE ET DE SOUVENIR. 




JL Panicacci & Michel Goury ont

successivement pris la parole






NOUS REMERCIONS TOUS CEUX ET CELLES

QUI ONT PARTICIPÉ À CETTE CÉRÉMONIE, 

ET PRÉSENTONS TOUTES NOS EXCUSES 

AUX NOMBREUSES PERSONNES DONT

 LE NOM N'A PU ÊTRE CITÉ DANS CE BILLET.  

 

jeudi 26 août 2021

LE 24 AOÛT À OPIO : MÉMOIRE ET HOMMAGE



Deux gerbes ont été déposées devant cette plaque, en mémoire des cinq membres de la famille Bocobza qui furent arrêtés à Opio en décembre 1943, puis déportés et assassinés dans les camps nazis. 


* * * * * 


Depuis 2019 L'AMEJDAM est conviée à assister à Opio à la cérémonie commémorant la libération du pays de Grasse, et à rendre hommage à ces cinq membres de la famille Bocobza.

Nous avons rendu compte en détail des précédentes cérémonies, que vous pourrez retrouver en cliquant sur ce lien qui renvoie au dernier billet sur le sujet. 

Cette année, nous avons bravé la pluie et l'orage, pour nous retrouver nombreux sur le rond-point de la Libération, afin de renouveler cet hommage, sous l'égide de M. Thierry Occelli, maire d'Opio. 




Michèle Merowka, notre présidente, a ouvert la cérémonie en remerciant de leur présence les participants et acteurs de cet événement si important :

"Monsieur Thierry OCCELLI, Maire d’Opio, cher ami, 

Madame Rachel HERCOUET, Membre du Conseil Municipal (Responsable de la Gestion des Ressources Humaines, Responsable Vie Associative & de la Gestion Administrative),


Monsieur Gérald LOMBARDO, Maire du Rouret, 


Monsieur François WYSZKOWSKI, Maire du Bar sur Loup,


Monsieur René TRASTOUR, Maire de Conségudes, 


Monsieur Serge ABIHSSIRA, représentant la communauté israélite de Nice, 


Monsieur Bernard BENATTAR, représentant le CRIF,


Le Colonel Gilles LÉCUYER, président des Anciens Combattants de Roquefort-les-Pins et du Rouret,


Monsieur Serge MARÇAL, Capitaine des Pompiers de Roquefort les Pins,


Mesdames et Messieurs les militaires, policiers, pompiers, porte-drapeaux, 


Chers amis, membres de l’AMEJDAM, Mesdames et Messieurs,


Aujourd’hui, nous sommes réunis pour la 3èmeannée consécutive pour honorer la mémoire de 5 membres de la famille Bocobza dont les noms figurent sur cette stèle, 5 hommes qui avaient trouvé refuge dans votre village mais qui ont été déportés sans retour

Permettez-moi de les nommer : 


BOCOBZA Edmond, 23 ans

BOCOBZA Jacques, 54 ans        

BOCOBZA Albert, 23 ans

BOCOBZA Georges, 17 ans

Assassinés à AUSCHWITZ le 12 mars 1944


BOCOBZA Albert, 29 ans

Mort le 22 février 1945 À BUCHENWALD

 

Je tiens à remercier Mr Ocelli, Maire d’Opio et l’équipe municipale  d’associer chaque année le souvenir des Juifs déportés à la commémoration de la Libération de Grasse et de ses environs, et je voudrais rappeler que, s’il y a eu des victimes, il y eut aussi des personnes sauvées grâce à l’aide qui leur a été apportée… 

 

Je passe la parole à Cathie Fidler qui a joué un rôle très important dans la recherche de l’histoire de ces 5 personnes et qui continue à  enquêter sur la vie de votre beau village. 

Chaque année, elle nous révèle d’autres précisions sur le comportement exemplaire de la plupart des habitants d’Opio. Je lui laisse la parole…   

Merci de votre attention." 


Ci-dessous, vous trouverez donc le texte du message que j'ai lu devant la plaque. 

Il présente un éclairage un peu  différent, car il retrace la manière dont nous avons pu reconstituer le contexte de l'époque. 


"Ceux et celles qui ont assisté à cette cérémonie depuis 2019 savent à présent ce que fut le sort tragique de la famille Bocobza, dont le nom figure ici, sur cette plaque. 


Ce soir, je vais rajouter un nouvel éclairage à cette période, à l’aide du récit de Maureen Emerson, une auteure anglaise, qui connait en détail l’histoire d’Opio. C’est grâce à elle, que nous avons pu reconstituer le parcours des cinq hommes dont vous avez bien voulu, Monsieur le Maire, avec le soutien de votre Conseil Municipal, inscrire les noms sur cette plaque, inaugurée il y a déjà 3 ans.


Cette colline, que nous voyons depuis l’endroit où nous nous tenons, et que nous connaissons aujourd’hui sous le nom du ‘Chemin du Château’, était appelée, avant-guerre ‘la Colline des Anglais’ pour des raisons évidentes. Quatre charmantes anciennes maisons la bordaient, de tailles différentes. Le Castello, San Peyre, La Bastide, et Fort Fortescue. Dans l’entre-deux guerres, elles appartenaient à quatre expatriées, dont une Américaine, deux Anglaises et un marquis britannique et, bien entendu, ils se fréquentaient tous. 

 

En 1940, toutes quittèrent Opio, et la France, sauf une : Elisabeth Starr, une héroïne de la Première Guerre mondiale, qui resta sur place. Pour quoi faire ? Pour rejoindre un petit groupe de résistants qui s’était formé pour abriter des familles juives fuyant la persécution nazie. Il faut se souvenir que tout le monde ici mourrait de faim en ce temps-là, ou presque. Même les figues du jardin de la Bastide étaient réquisitionnées ! Elisabeth Starr partageait sans compter ses rations avec ceux et celles qui en avaient besoin, dont ses petits protégés. Elle mourut en 1943, à l’âge de 54 ans, de maladie et de malnutrition, et elle est enterrée ici à Opio, dans votre cimetière.  


Mais d’autres continuèrent à cacher des personnes en danger, même quand cela devint extrêmement dangereux pour eux de le faire. Deux instituteurs communistes du Rouret, M & Mme Dardaillon, donnaient des cours aux enfants juifs cachés au Castello. Ils pénétraient aussi à la mairie le soir, sous prétexte d’utiliser le téléphone, pour y tamponner de faux papiers qui éviteraient à leurs porteurs d’être déportés…

L’occupation italienne a été relativement bégnine pour notre région, et pour ses réfugiés juifs en particulier, mais lorsque les Allemands envahirent la zone dite libre en septembre 1943, la donne changea du tout au tout. 


Je vais maintenant vous parler d’un rescapé, à qui l’on doit (toujours grâce à Maureen Emerson) de connaître de nombreux détails sur ce qui se passa ici, à Opio, entre juillet et décembre 1943. Il s’appelait Claude Marcus, il avait 19 ans (il avait fait noter 17 ans, sur ses faux papiers, pour éviter le STO – NB le Service du Travail Obligatoire, en Allemagne) et il était ami avec l’un des fils de Mme le Dr Suzanne Perles. Cette dernière avait choisi de louer la maison appelée la Bastide, afin de quitter Cannes car la ville devenait de plus en plus dangereuse pour les Juifs. Son mari gérait la trésorerie d’un groupe de résistants. Ils avaient 3 enfants. Opio leur est apparu comme un havre de paix.


La famille hébergea aussi plusieurs amis juifs de leurs enfants adolescents, et notamment ce Claude Marcus, dont les parents, domiciliés au Cannet, pensaient qu’il serait plus en sécurité à Opio qu’avec eux, malgré l’apparente bienveillance des Italiens.  


Une autre des villas, la villa San Peyre, qui appartenait à un nommé Charles Anglesy, était également louée. Vous savez à qui … à la famille Bocobza, qui était venue de Marseille pour se réfugier dans ce village tranquille. M. Bocobza était juif, son épouse était catholique. Le plus jeune de leurs enfants avait eu la polio, et il était partiellement paralysé. On se souvenait dans le village de M. Bocobza pour sa gentillesse, car quand il sortait de la boulangerie où il allait acheter son pain, il donnait toujours des bonbons aux enfants qui traînaient par là. Il était aussi toujours bien mis de sa personne, et cela impressionnait beaucoup les villageois de l’époque. Je vous raconte cela, car ce sont les seuls détails que l’on connaisse sur lui… et à ce jour nous n’avons toujours pas trouvé de descendants de cette famille. 


Au cours de ces mois, les familles de ces villas se retrouvaient volontiers pour déjeuner ou dîner (frugalement, on s’en doute), et notamment au Castello, chez Mme Diane Van Dommelen qui s’était occupée de Mme Elisabeth Starr, et dont nous avons aussi appris qu’elle avait caché des enfants du réseau Marcel. Ce réseau créé par Moussa Abadi et Odette Rozenstock, avec l’aide de Monseigneur Rémond, Evêque de Nice, plaçait des enfants dans les lieux sûrs, comme des couvents ou des pensionnats catholiques, en leur donnant de faux noms. Les responsables juifs du réseau rendaient visite aux enfants pour vérifier qu’ils allaient bien. Nous avons ainsi retrouvé une fiche remplie avec l’aide de Mme Van Dommelen indiquant l’état de santé de deux petits pensionnaires du Castello, Léo et Pierre Fromentin, Léo et Willi Kolinski, de leur vrai nom. 


Comme vous le savez, les Allemands occupèrent notre région début septembre 1943, et la chasse aux Juifs y devint systématique. Tandis que les Italiens se sauvaient, désertaient, ou se trouvaient séparés de leurs unités, ils reçurent de l’aide matérielle de la part des habitants de la Colline des Anglais. Mais la Gestapo avait à présent le champ libre, pour poursuivre et arrêter les résistants et les Juifs. 


Le matin du 23 décembre 1943, la paix de la colline fut brutalement rompue avec l’arrivée à la Bastide de Robert, l’un des fils de la famille Bocobza, qui fit irruption chez les Perles pour les prévenir que les fameuses "tractions" (Citroën) noires de la Gestapo était montées jusque chez eux, à San Peyre, et que sa famille était en train d’être arrêtée. Comme certains le savent, les Bocobza avaient tenté de se cacher dans un grand placard creusé dans le mur près de la cheminée… sans succès. Ils furent tous arrêtés, embarqués, et déportés le 7 mars 1944, y compris le plus jeune qui était paralysé. Leurs noms figurent sur cette plaque.  Seul Robert, celui qui avait cavalé à travers les restanques pour prévenir les Perle a survécu… et Mme Bocobza, puisqu’elle n’était pas juive. 


Grâce à cette alerte, les Perles ont pu s’échapper à temps et éviter l’arrestation en partant « comme des fous » se cacher dans la campagne environnante, sans être arrêtés, avant de retourner à Cannes. Opio n’était plus un havre de paix pour eux…


Quant à Claude Marcus, il a pu s’échapper vers l’Espagne, puis vers l’Afrique du nord… Un long et dangereux   périple, semé d'embûches en tous genres… Une fois enfin arrivé à Oran, il devint interprète auprès des Alliés, puis pilote à bord d’un Dakota, et finit par atterrir près de Saint Tropez… avant de pouvoir rejoindre Cannes (qu'il avait survolée avec beaucoup d'émotion), le 25 août 1944. Vous n’allez pas le croire : il remontait le bd Carnot sur un très vieux vélo de femme, écrasé de chaleur, quand il croisa une autre cycliste, c’était Mme Perles !  Toute la famille Perles avait survécu, une partie ayant été cachée au Couvent du Bon Pasteur, à Cannes, mais Mme le Dr Perles lui apprit que ses parents à lui avaient été arrêtés à Pau, en mai, et déportés. Claude ne les revit jamais. C'est grâce au récit de ses souvenirs, recueillis par Maureen Emerson, que nous avons pu reconstituer le sort tragique de la famille Bocobza. 


Voilà, j’ai voulu ajouter des précisions au contexte de ces mois passés ici par ces réfugiés. Certains, comme les Bocobza, n’ont pas eu la chance de survivre à la barbarie,  mais d’autres ont été aidés, et protégés par les villageois de d’époque. Ils ont échappé au pire. Souvenons-nous d’eux, tous et toutes. Et en particulier de ceux dont vous avez bien voulu que leur nom figure ici, gravé dans le marbre. Nous vous en remercions, car grâce à vous ils ne seront plus oubliés dans la nuit et le brouillard. Merci, merci, à vous tous et toutes." 



À l'issue de ces prises de parole, Monsieur le Maire a déposé, 

en signe de solidarité, et de rappel de la tradition juive,

un petit caillou sur la stèle des déportés.


Cette cérémonie donne toujours lieu à des rencontres très spéciales : après ce discours, j'ai été abordée par un monsieur qui m'a dit avoir connu Mme Starr ! Le petit Jeannot avait 6 ans à l'époque, et ses parents travaillaient pour elle. Son grand-père était jardinier au Castello, et sa mère, femme de chambre. Elisabeth Starr était déjà très malade. D'après ce témoin, elle était veillée par Mme Van Dommelen, qui avait "pris la main", et qui contrôlait tout de très près, au plan matériel. Cela correspond à ce que dit Maureen Emerson de la personnalité ambiguë de cette personne... 

 

Elisabeth Starr, voulant faire un cadeau au petit Jeannot, lui fit passer par sa maman un petit chien en peluche. Ce fut un joli cadeau avec lequel l'enfant joua pendant longtemps. Mais, voilà que, plusieurs années plus tard, oh surprise ! un petit trou apparut dans le ventre de ce joujou anodin, par lequel se mit à sortir.... une chaîne en or, sur laquelle était pendue, à l'aide d'un petit anneau, une pièce de 1 US dollar ! Il les a conservées, bien entendu !


"Jeannot" Mancini,  
témoin précieux de cette époque... 



La maman de Jeannot a continué à travailler au Castello après le décès d'Elisabeth Starr, ainsi que chez les Fortescue. 



Jeannot m'a aussi raconté que c'était son grand-père qui avait planté les arbres que l'on voit toujours devant cette belle demeure, que l'on aperçoit en haut à droite sur la photo ci-dessus. 

Il se souvient aussi s'être bien planqué entre les haies de jasmin, au moment des bombardements alliés – un épisode que Thierry Occelli, le maire d'Opio, a rappelé dans son discours, lors de la seconde partie de la cérémonie.



Ci-dessous quelques images de ces cérémonies si émouvantes, qui ont aussi pour but de raviver la conscience des présents, dont ont fait partie, cette année plusieurs très jeunes gens – en rappel de la Libération du Pays de Grasse, très bien expliquée par le Colonel Gilles Lécuyer. 






Chaque nation a été honorée : les hymnes nationaux
et le Chant des Partisans ont été joués,
ainsi que le Chant des Partisans et l'hymne européen. 





Photos ci-dessus ©Serge Binsztok


Michèle Merowka, Serge Abihssira et Bernard Benattar
déposent une gerbe au nom de l'AMEJDAM
 devant la stèle de la Libération 



À Opio, la relève semble assurée !


Nous espérons vous voir ou vous revoir très nombreux à Opio en 2022 ! 

En attendant ne manquez pas, si vous êtes près de Nice, les cérémonies qui marqueront la libération de cette ville. 




Et, notamment, celle qui aura lieu le vendredi 27 à 18:00, devant le Palais Stella, 20 boulevard de Cessole, devant la plaque du Comité insurrectionnel de Nice. Une cérémonie en hommage aux acteurs et aux acteurs du soulèvement niçois du 28 août 1944, organisée par l'Association du Musée de la Résistance Azuréenne, sous l'égide du Pr Jean-Louis Panicacci.  


* * * * *


Texte et mise en page de ce billet : Cathie Fidler. 

Photographies de ©Jacques Lefebvre-Linetzky, 

©Serge Binsztok, et ©Michèle Merowka. 


Vous pouvez bien entendu emprunter ces images, mais merci d'en citer la source : "Le blog de l'AMEJDAM." 

 

 

 

  

samedi 30 janvier 2021

ADIEU ANNETTE CABELLI, MEMBRE D'HONNEUR DE L'AMEJDAM

 ADIEU ANNETTE...



Yom Hashoah, 2015.  © Jacques L+L


Annette est arrivée à Nice après avoir passé une grande partie de sa vie à Paris. Son sourire, sa gentillesse, son empathie naturelle ont conquis toutes les personnes qui ont eu la chance de la côtoyer.

Sa vie, toutefois, n'a pas été un long fleuve tranquille...

Elle a vu le jour en Grèce le 25 avril 1925, dans une famille de Juifs d'origine espagnole, dont les ancêtres ont été chassés par l'Inquisition, en 1492. Il y a bien longtemps, direz-vous... et pourtant ses racines étaient tellement profondes que la langue pratiquée en famille était le judéo-espagnol. 


Ida et ses enfants: Albert, Dino et Annette à Salonique (Collection privée)


Deux garçons, Albert et Dino ont précédé la petite Annette. Elle n'a que quatre ans quand son père meurt. Pour subvenir seule aux besoins de ses enfants, Ida, sa mère, travaille comme couturière. Annette racontait son enfance et la faim qui la tenaillait sans arrêt. C'est ainsi qu'elle apprit très jeune à se débrouiller pour améliorer l'ordinaire. 

À 17 ans, elle est déportée avec sa mère, et son frère aîné. Sa mère est gazée dès son arrivée à Auschwitz, le 2 mars 1943. Annette, son frère et sa cousine sont sélectionnés pour le travail. Dès lors elle devient le numéro 40637.



Annette à l'inauguration de la plaque de l'École du Port,

le 26 juin 2016.

Le tatouage du numéro est visible sur son bras gauche. 




Elle survit à l'enfer du camp et, après de nombreuses péripéties, choisit de s'établir en France. "La France m'a accueillie, dit-elle, c'est ma patrie, contrairement à la Grèce qui reste pour moi un pays antisémite."



Annette à Paris après la guerre (Collection privée)

Annette épouse un ancien déporté, ami de son frère. Ils vivent à Paris et elle travaille dans la confection avec son mari. Deux filles, Denise et Jacqueline, puis un petit garçon, Stephan, constituent la famille Cabelli. Mais rien ne lui aura été épargné et elle connait la terrible douleur de perdre son fils à l'âge de 10 ans. 

Après une vie de dur labeur, elle choisit Nice pour y passer ses dernières années. Un nouvel horizon s'ouvre à elle : grâce à Passerelles et à son animatrice Jacqueline Parienté, elle rencontre d'autres personnes issues du monde juif sépharade, mais aussi des descendants des Juifs d'Europe centrale parlant le yiddish, langue apprise pendant son internement dans le camp d'Auschwitz.



Annette Cabelli et Suzanne Tarica, 

à la gare de Nice,  juillet 2019. © Jacques L+L


Complètement intégrée à la vie niçoise, Annette était présente à toutes les manifestations commémorant la Shoah ; elle acceptait aussi toutes les invitations à rencontrer les élèves, partout dans le département. 



Annette, invitée d'honneur au Conseil Départemental, lors de la remise 
du Prix Charles Gottlieb au collège de Beausoleil, 2018. 
À gauche, Alain Zyzeck, membre du bureau de l'AMEJDAM.




Annette Cabelli, le 22 mai 2019, 
au collège de Saint-Jeannet,
dans le cadre de la lutte contre les discriminations et
l'antisémitisme, par la BPDJ06 
(Brigade de prévention de la délinquance juvénile de
Cagnes-sur-Mer)  
© Michèle Merowka

Ses paroles restent gravées dans ma mémoire : "Tant que j'aurai un souffle de vie, je témoignerai!" Et c'est ce qu'elle a fait, chaque fois qu'elle était sollicitée pour intervenir dans les établissements scolaires. 



Annette allume l'une des six bougies, accompagnée par un jeune EI (Éclaireur Israélite) devant Martine Ouaknine. Nice, Synagogue Deloye, 6 octobre 2019. © Michèle Merowka


Elle participait aux événements communautaires: Yom Hashoah au cimetière juif du Château, commémoration à la synagogue en mémoire des déportés et victimes de la Shoah, cérémonie à la gare de Nice commémorant les rafles des 17 et 18 juillet à Paris. 



Yom Hashoah 2015. © Jacques L+L


Elle acceptait de rencontrer des élèves chaque fois qu'elle était sollicitée. Néo Verriest, un jeune lycéen venu de Toulon est le dernier à avoir eu la chance de recueillir ses souvenirs, le 20 décembre 2020, trois semaines avant sa disparition.





Annette avait accepté d'être membre d'honneur de l'AMEJDAM et nous avons tous beaucoup de peine de ne plus voir son sourire et d'entendre sa voix chantante au doux accent grec qui l'a accompagné tout au long de sa vie.


Il fallait plus que la crainte de Covid pour empêcher Annette d'assister à la cérémonie en mémoire des déportés le 27 septembre 2020. © Yossi Benavraham




Au mois de mars 2020, nous avons invité Annette à Radio Chalom Nitsan pour l'émission de l'AMEJDAM, "Au nom des enfants". Yossi Benhavraham, le directeur d'antenne, nous a communiqué les liens qui vous permettent de réécouter la voix qui vient de s'éteindre. 

C'est ici

Et

Annette Fiorentin-Cabelli nous a quittés, mais son souvenir restera gravé dans nos cœurs. 

Michèle Merowka. 


L'hommage de Linda Sixou


Linda Sixou a offert de grandes joies à Annette et qui peut mieux qu'elle raconter ce qu'elles ont vécu ensemble, ces dernières années :

Il y a cinq ans environ, j'ai parlé d'Annette à mes amis du Centro Séfarade-Israël. En leur racontant son histoire, je mentionnais qu'elle parlait encore dans la langue de ses ancêtres. Ils voulurent la rencontrer et c'est ainsi que ma vie et celle d'Annette ont changé.

Nous avons commencé à nous rendre à Madrid, chaque année, pendant une semaine pour transmettre cette mémoire de la Shoah. Séville et Barcelone nous accueillirent également.

Au début de nos interventions, cette partie de l'histoire n'apparaissait pas dans les manuels scolaires espagnols, cependant les professeurs qui le souhaitaient pouvaient l'intégrer dans leur programme. Là encore, de très belles amitiés sont nées.

Lors de chacun de ses témoignages, je m'asseyais à sa droite, je lui posais des questions, lui proposais un verre d'eau, l'observais pour m'assurer que tout allait bien et qu'elle pouvait continuer. 



Commémoration de la libération du camp d'Auschwitz organisée par 
la communauté juive de Madrid à l'Asamblea de Madrid, le 23 janvier 2020. 

Mais Annette voulait toujours continuer. Elle me disait : "Je témoignerai jusqu'à la fin de ma vie, je le dois." Nous nous demandions tous où elle puisait cette force...

C'est ainsi qu'Annette et moi avons voyagé pour témoigner sur sa déportation, et nous avons toutes les deux vécu des moments inoubliables. 

Des milliers d'enfants, d'adolescents, d'adultes, de professeurs, d'associations, ont assisté à ces rencontres si émouvantes. Nous avons allumé des bougies lors des commémorations de la libération du camp d'Auschwitz.



Témoignage organisé par la mairie de Majadahonda, 
le Centre Séfarade Israël et la Communauté juive de Madrid


(Les hispanistes apprécieront aussi de lire le paragraphe qui suit, écrit en hommage à Annette par la Communauté Juive d'Espagne.

Queremos manifestar nuestro profundo agradecimento a la señora Cabelli de bendita memoria, quien se eforzó valiente generosamente hasta el final de sus dias, en recordar, en relatar en escuelas y actos de recuerdo de la Shoá las viviencias terriblemente dolorosa que a ella le tocó vivir. Y lo hizo para proteger del horror que siempre acecha, a las nuevas generaciones y que lo que ella vivió, no se vuelva repetir.

On peut également regarder le témoignage (en espagnol) d'Annette en Espagne, et s'informer sur le monde judéo-espagnol - langue, culture, musique - en cliquant sur ce lien. Les anglicistes y trouveront aussi l'article publié sur Annette dans "Tablet Magazine") 


Annette est intervenue au Sénat, dans des ministères, des municipalités, des universités, dans des établissements scolaires publics et privés, et l'an dernier au ministère de la justice. 

De grandes amitiés sont nées et aujourd'hui, les nombreux messages que je reçois me réconfortent et confirment ce que je savais déjà : L'Espagne aussi aimait Annette. 

Un amour bien partagé.

Dès que cela fut possible, nous avons tout fait afin qu'elle puisse obtenir la nationalité espagnole et un passeport espagnol. Cela était si important pour elle. Sa maman parlait très souvent de l'Espagne, elle en rêvait et projetait d'emmener ses enfants sur la terre de ses ancêtres. 

"Sueynos d'Espannya, Suenyos d'Espana, Suenyos d'Espanyaaa" ... (Rêves d'Espagne)

Je n'oublierai jamais toutes les démarches, les difficultés, les aides qu'à chaque fois nous considérions tous comme des cadeaux du ciel. Merci à vous de l'avoir aidée. 

Nous avions l'impression de vivre une course contre la montre. Allions-nous recevoir ce passeport à temps? Obtenir ce passeport était un présent qu'Annette voulait offrir à sa mère avant de nous quitter. Si vous aviez vu sa joie, son bonheur lorsqu'elle reçut enfin "son" passeport espagnol en 2017 !

Et puis, elle rencontra le roi Felipe VI et l'année suivante, la reine Sofia. Ce furent des moments inoubliables : "Annette chez le roi". 



Au Palais de La Zarzuela, le roi Felipe d'Espagne a reçu en audience Annette Cabelli, survivante de l'Holocauste (...) 

Annette a reçu la nationalité espagnole en 2017 en vertu de la loi de nationalité de la communauté séfarade 'communauté juive historique issue de la péninsule ibérique).

Copyright photo: © Casa real

J'aurais tant aimé être une petite souris ce jour-là ! Quel bonheur de voir sa joie à son retour ! Et cette petite phrase lorsqu'elle revint de son entrevue avec la reine Sofía: "Nous avons même parlé en grec avec la reine!"

Tout ce travail de mémoire et ce temps passé ensemble nous ont permis de mieux nous connaître, de nous rapprocher et de partager des moments extraordinaires. C'est de tout cela qu'est née notre relation qui peu à peu se renforçait (...)

Annette n'est plus sur notre terre, mais elle restera toujours dans nos cœurs. Oui, elle va me manquer ! Elle va nous manquer. Bon voyage, Annette ! (...) 

À ses obsèques, nous étions tous là et l'avons accompagnée avec nos messages, nos pensées et nos chansons en grec, en judéo-espagnol, et en hébreu. 

Annette est partie avec Adyo Kerida, cette chanson qu'elle aimait tant et que nous entonnions souvent  ensemble à la fin de ses témoignages. Nous pouvions voir alors l'expression de son visage changer et tout le poids de son histoire s'alléger... 

Elle adressait alors à tous le merveilleux sourire que l'on surnommait à juste titre : "La Sonrisa Linda". 

Pour écouter Adyo Kerida, cliquez sur ce lien.


L'hommage de Jacqueline Parienté


Jacqueline Parienté a envoyé un message très émouvant aux membres de Passerelles pour annoncer la disparition d'Annette :

Elle nous quitte en ce début d'année et nous laisse si tristes et désolés avec un profond regret d'avoir été empêchés de la revoir.

Ce terrible virus qui l'a emportée l'avait confinée tous ces derniers mois dans un terrible isolement qu'elle ne supportait plus.

Elle a éclairé nos rencontres, ateliers, conférences ... de son regard rieur, aiguisé, malicieux, auquel rien n'échappait. 

Elle a été la voix à l'accent de Salonique irremplaçable, qui n'a cessé de témoigner avec détermination, auprès des jeunes surtout, en France mais en Espagne, jusqu'à il y a très peu de temps.

Fatiguée, affaiblie, elle a trouvé la force d'aller vers les autres pour parler, échanger ; dressée, tenue, portée par la nécessité, le devoir de transmettre, de faire savoir encore et encore, jusqu'au bout, l'horreur dont elle était la survivante bien vivante.

Elle nous a nourris de souvenirs, d'anecdotes, d'histoires et de chants en judéo-espagnol que nous n'oublierons pas.

Elle nous manque déjà, Annette.

Ce soir, nous nous sentons orphelins. 


Hommage en musique


Pour écouter Esther Lamandier chanter La Rosa enflorececliquez sur ce lien.

Vous pouvez également écouter Savína Yannátou en cliquant sur ce lien.



Annette, Nice, le 21 juin 2020 ©  Michèle Merowka




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Texte de ce billet :

Michèle Merowka

avec la participation de :

Linda Sixou & Jacqueline Parienté

Mise en page : Jacques Lefebvre-Linetzky