Il y a
quelque chose de profondément émouvant à trouver par hasard des lettres dont on
ne soupçonnait même pas l’existence. Ce sont des messages venus d’un lointain
passé qui, tout à coup, deviennent d’une actualité fébrile. Ces lettres sont
des voix qui reprennent vie, des bouteilles à la mer. En 1946, dix boites
métalliques contenant des milliers de documents ont été découvertes dans les
ruines de Varsovie. Deux bidons de lait ont été déterrés dans la cave d’une
maison en 1950. La vie quotidienne du ghetto de Varsovie était cachée là dans
toute sa misère. L'historien Emmanuel Ringelblum et les membres de
son groupe, Oyneg Shabbos, ont collecté toute sorte de documents qui nous permettent aujourd'hui de saisir la "réalité" de la vie dans le ghetto de Varsovie.
Remonter le
fil du temps
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C’est grâce à Khalida Hatchy, professeure-documentaliste au lycée Jean de La Fontaine, que les lettres de Louise Pikovsky sont remontées du passé et de l’oubli.
En février 2016, l’une de ses
collègues, Christine Lerch, professeure de mathématiques, l’informe que six ans
auparavant, elle a découvert dans une armoire, des lettres, des livrets, ainsi qu’une photo
de classe et une bible lors d’un déménagement de matériel scolaire. Tous ces
documents semblent appartenir à une certaine Louise Pikovsky. Christiane Lerch
n’en sait pas davantage et elle remet ce « trésor » au centre de
documentation et d’information du lycée.
Khalida
Hatchy, émue au plus profond à la lecture de ces lettres, décide de remonter le
fil du temps. Elle se fait aider dans cette tâche par Stéphanie Trouillard, journaliste à France 24.
Ensemble, elles vont retrouver des témoins, des cousins éloignés, d’anciennes
élèves.
Une amitié forte avec une enseignante d'exception
Louise a correspondu avec sa professeur(e) de lettres, mademoiselle Malingrey, durant l'été 1942.
C’est lors du 50e anniversaire du lycée Jean de La Fontaine, en 1988, que mademoiselle Malingrey a remis ces lettres ainsi que d'autres documents au lycée.
C’est lors du 50e anniversaire du lycée Jean de La Fontaine, en 1988, que mademoiselle Malingrey a remis ces lettres ainsi que d'autres documents au lycée.
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Voici ce que
l’on peut lire sur le site consacré à Louise, intitulé « Si je reviens un
jour… »
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Toutes
les lettres retrouvées sont adressées à la même personne : mademoiselle
Malingrey, sa professeure de lettres. Dans deux livrets de distribution des
prix datés de 1941 et 1942, enfouis également dans l’armoire, nous apprenons
qu’elle était professeure de latin-grec au lycée Jean de La Fontaine. L’élève
et son enseignante ont correspondu au cours de l’été 1942. Le premier courrier
date du 7 août : "Chère Mademoiselle, j’ai reçu votre lettre et votre paquet
et je ne vous remercie ni pour l’un ni pour l’autre. Mais je puis vous dire que
les haricots étaient délicieux ? Et que la lettre… Oh ! Pour elle, je ne dis
rien car je dépasserais les limites que vous m’avez permises", écrit
Louise. La jeune lycéenne dévoile par écrit ses réflexions personnelles et
surtout ses interrogations. Elle n’évoque pas explicitement la guerre, mais le
conflit se devine en filigrane. En ce mois d’août 1942, trois semaines après la
rafle du Vélodrome d’Hiver durant laquelle plus de 13 000 juifs ont été arrêtés
dans Paris et sa banlieue, elle explique à mademoiselle Malingrey que son père
en faisait lui aussi partie : "Nous avons des nouvelles de Papa. Il n’a
pas quitté Drancy. (…) Nous pouvons envoyer un colis de vêtements. J’ai eu bien
du travail pour aider à le préparer mais aussi, avec quelle joie l’ai-je
fait". Louise n’exprime pas ouvertement ses angoisses, mais les laisse
transparaître en quelques mots : "Oh ! Mademoiselle, si vous vouliez me
reparler de la joie. Je suis sûre que nous ne pouvons apprécier le bonheur
qu’après avoir souffert, mais est-ce que la souffrance a des arrêts. Je finis
par en douter. Je vous embrasse affectueusement".
(…)
Louise fait
preuve d’une incroyable maturité, bien que de rares passages laissent poindre
ses inquiétudes d’adolescente. Elle explique ainsi qu’elle se sent parfois
seule et incomprise à Jean de La Fontaine, au milieu de ses camarades :
"Dans mes trois années de lycée, je n’ai pas eu une seule compagne que je
ne puisse appeler une amie. Peut-être suis-je trop difficile et trop égoïste
?". La dernière lettre retrouvée date du 19 septembre 1942. Les cours
reprennent. L’enseignante et son élève se retrouvent au lycée et leur
correspondance s’interrompt.
Il ne reste
qu’un dernier petit mot. L’enveloppe n’est pas timbrée. Il est seulement
griffonné "Janvier 1944" au crayon à papier. L’écriture est
tremblante. "Nous sommes tous arrêtés. Je vous laisse les livres qui ne
sont pas à moi et aussi quelques lettres que je voudrais retrouver si je
reviens un jour. Je pense à vous, au Père et à Melle Arnold, et je vous
embrasse", signé Louise.
Le
témoignage de mademoiselle Malingrey
Interrogée
sur la période de la guerre, mademoiselle Malingrey revient sur sa relation
avec Louise. "Elle fut mon élève en 4e de 1941 à 1942, et de 1942 à 1943
en 3e A. Elle était blonde, avec de grands yeux bleus qui brillaient comme des
étoiles. (…) Louise était une très bonne élève, en particulier en mathématiques
où elle venait au secours de ses compagnes moins douées. Pendant les vacances
1942, nous avons correspondu souvent. Je lui envoyais des colis de ravitaillement
depuis notre zone, moins défavorisée que la zone occupée", raconte-t-elle.
"Un matin dont je ne sais plus la date je fus abordée en partant pour le
lycée, par ma concierge qui me remit un cartable contenant des livres. On
venait de lui apporter avec un mot (…). Louise était venue travailler chez moi
la veille. Le signal d’alerte s’était fait entendre et je lui avais offert de
la garder à coucher. Mais elle avait voulu rentrer pour rejoindre sa famille…et
partir vers la mort.
Pour consulter le site, Si je reviens un jour…, cliquez ici
Pour consulter le site, Si je reviens un jour…, cliquez ici
Anne-Marie
Malingrey, est décédée en 2004, à l’âge de 98 ans. Avant de mourir, elle a
confié une photo de Louise au Mémorial de la Shoah.
Les membres de la famille Pikovsky figurent sur le site du Mémorial de la Shoah. Abraham, le père, Barbe Brunette, la mère, ainsi que les quatre enfants (Louise, Annette, Lucie et Jean) ont tous été déportés le 3 février 1944. Ils font partie du convoi n°67 au départ de Drancy, l’un des derniers en partance pour Auschwitz.
Les membres de la famille Pikovsky figurent sur le site du Mémorial de la Shoah. Abraham, le père, Barbe Brunette, la mère, ainsi que les quatre enfants (Louise, Annette, Lucie et Jean) ont tous été déportés le 3 février 1944. Ils font partie du convoi n°67 au départ de Drancy, l’un des derniers en partance pour Auschwitz.
Stéphanie Trouillard, journaliste de France 24, est l’auteur, avec Khalida Hatchy, professeure au Lycée La Fontaine, du webdoc qui reconstitue l’histoire de Louise Pikovsky et lui rend hommage :
Historia - Comment vous êtes-vous lancée dans cette aventure ?
Stéphanie Trouillard - Khalida Hatchy qui a récupéré les lettres de Louis Pikovsky au CDI du lycée La-Fontaine m’a contactée car je travaille beaucoup sur la Seconde Guerre mondiale, afin que je l’aide dans ses recherches.
H- Qu’avez-vous ressenti en lisant ces lettres ?
S.T.- J’ai été très frappée par leur qualité. Elles ont été écrites en 1942 par une jeune fille de 14 ans qui, non seulement écrit très bien, mais se révèle d’une grande maturité. Cela m’a fascinée et intriguée et j’ai tout de suite voulu en savoir plus. Qui était Louise Pikovsky ? Pourquoi, si jeune, avait-elle entamé une correspondance avec sa professeure de latin-grec ? Tout cela n’est pas banal !
H – Combien de temps avez-vous mis pour réaliser ce webdoc ?
S.T.- Un an, puisque nous avons commencé en mars 2016. La vidéo qui figure dans le webdoc a été diffusée dans l’émission Reporter sur France 24. Cela n’était pas prévu au départ, mais l'antenne TV s’y est intéressée aussi. La version web est en 3 langues (français, anglais et arabe).
H – Avez-vous eu des moments de découragement pendant ce long travail de mémoire ?
S.T.- En fait, nous avons eu beaucoup de chance dans nos recherches. Tout d’abord, nous avions dès le départ une documentation importante avec les lettres, les photos et les livrets de prix de Louise Pikovsky. C’est comme si l’on nous avait confié ces documents pour entamer une enquête dans le passé. Nous avons rapidement retrouvé des cousines de Louise Pikovsky et sommes allées à Jérusalem pour leur faire lire les lettres. L’une d’entre elles nous a montré une photo de Louise et cela a été un moment extraordinaire ! Nous avons également interviewé l’une de ses camarades de classe.
Nous avions la volonté de respecter la mémoire de Louise, cette jeune fille hors du commun qui aurait pu réaliser de grandes choses, qui a été arrêtée, déportée et a sans doute pris conscience de ce qui l’attendait. Lorsqu’elle écrit « Si je reviens un jour », c’est qu’elle a compris qu’elle ne reviendra pas. De plus, elle a fait remettre à sa professeure, les affaires auxquelles elle tenait le plus. En revanche, il a été beaucoup plus compliqué de trouver les autres jeunes filles déportées du lycée.
H – C’est un deuxième volet imprévu de votre enquête ?
S.T.- Oui d’autant plus que le lycée La-Fontaine était, jusqu’à présent, l’un des rares établissements parisiens où il n’y avait pas de plaque rappelant les noms des jeunes filles qui y ont été arrêtées et déportées. Finalement, Louise nous a conduit aussi sur les traces de ses camarades. Cela a été également très intéressant car nous avons travaillé avec les élèves sur ce projet à partir de documents d’archives. Elles se sont tout de suite identifiées avec ces jeunes filles. Nous avons beaucoup de retours de professeurs qui souhaitent voir le webdoc avec leurs élèves et en parler en classe.
Propos recueillis par Véronique Dumas
Propos recueillis par Véronique Dumas
Texte et mise en page: ©Jacques Lefebvre-Linetzky
Magnifique et dechirant.
RépondreSupprimerMerci!
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJe tenais à remercier Jacques Lefebvre-Linetzky et Cathie Fidler pour l'excellente émission qu'ils ont consacré aux lettres de Louise Pikovsky.
Je suis heureuse de voir que notre travail continue d'être ainsi partagé. Merci pour vos chaleureux compliments et votre intérêt.
Cordialement
Stéphanie Trouillard
MERCI À VOUS, d'avoir contribué à ce beau travail, que nous avons été heureux de mieux faire connaître. Il nous a beaucoup touchés, et nous encourage à continuer le nôtre.
RépondreSupprimer:-)
SupprimerMerci les amis. Comme toujours, un travail exemplaire sur ce qui est si difficile à supporter et pourtant nécessaire.
RépondreSupprimerMaurice
C'est merveilleux et émouvant de retrouver la trace de personnages hors du commun comme Louise ou Charlotte qui, consciemment ou inconsciemment avaient quelque chose à nous transmettre.
RépondreSupprimerMerci Liliane
C'est émouvant et merveilleux de retrouver la trace de personnages hors du commun comme Louise ou Charlotte qui, consciemment ou inconsciemment, avaient quelque chose à transmettre.
RépondreSupprimerMerci Liliane