"Le chant jailli, dans un déchirement
de la pensée inspiratrice"
Stéphane Mallarmé
Barbara en 1968 lors de l'enregistrement de l'émission télévisée, Discorama
Image empruntée ici
Barbara, une voix de cristal, des textes écorchés
de la pensée inspiratrice"
Stéphane Mallarmé
Barbara en 1968 lors de l'enregistrement de l'émission télévisée, Discorama
Image empruntée ici
Barbara, une voix de cristal, des textes écorchés
Toutes les chansons de
Barbara comptent et elles font vibrer nos émotions, nos souvenirs, nos joies et
nos angoisses. Elle n’est plus, mais elle là, au creux de nos songes.
Ses chansons donnent vie et
corps au mal de vivre, c’est presque rien et c’est beaucoup, c’est inestimable.
Sa voix est unique et son style n’appartient qu’à elle. Barbara est à la fois forte et fragile –
c’est sa fragilité qui la rend forte. Elle nous effleure au plus profond.
Comment vivre sans écouter Barbara ? Elle était mystérieuse et rayonnante.
Elle s’est façonnée, transformée en longue dame brune. Elle aimait séduire.
Dans les années 1960, on ne savait rien ou presque de sa judéité, elle ne
l’affichait pas, elle était Barbara et on l’aimait.
Son vrai nom c’est Monique
Serf, et elle est née le 9 juin 1930 à Paris. Elle n’a pas pioché son prénom
dans la poésie de Prévert. Il s’agit en fait du prénom de sa grand-mère russe
Varvara. Sa famille venait de Russie pour échapper aux pogromes. Sous l’Occupation,
elle vit une vie d’errance pour échapper à la traque de nazis. Elle sera
souvent séparée de ses parents. Son père abuse d’elle, elle reste murée dans sa
solitude, le calvaire durera longtemps, trop longtemps. Elle sait qu’elle sera
chanteuse et rien d’autre. Plus tard, elle écrira et composera ses propres
chansons. Elle suit des cours de piano et de chant au Conservatoire de Paris,
mais son rêve, c’est de devenir une chanteuse populaire. À 20 ans, elle tente
sa chance à Bruxelles où elle fait ses premières armes dans des conditions
difficiles. À son retour à Paris, elle est engagée au cabaret de l’Écluse. Elle
y restera 6 ans et chantera Brassens, Léo Ferré, Pierre Mac Orlan.
Dans les années 60, Barbara
devient Barbara. Sa voix de cristal, ses textes écorchés, promènent une
mélancolie singulière et envoutante. Elle se produit à Bobino signe des chansons
magnifiques : Dis, quand
reviendras-tu ? Le Mal de vivre,
Pierre, Si la photo est bonne, À
mourir pour mourir, Une petite
cantate. Elle obtient le grand prix du disque de la chanson française en
1965 pour son disque, Barbara chante
Barbara surnommé l’Album à la rose, sorti
l’année précédente.
En 1964, elle est invitée à
Göttingen et compose la chanson qui porte le nom de cette ville.
À Göttingen
Göttingen se trouve en
Basse-Saxe, à mi chemin entre Bonn et Berlin. C’est un important centre
universitaire – on y compte environ 26 000 étudiants et 2500 enseignants.
Barbara consacre quelques
pages à cette chanson, désormais mythique, dans ses Mémoires interrompus.
« Début 1964, Gunther
Klein, jeune directeur du Jungen Theater de Göttingen, vient à l’Écluse
m’engager. Je refuse. Pas question d’aller en Allemagne.
Gunther insiste, décrit son
théâtre de cent places, parle des étudiants.
- Mais qui me
connaît à Göttingen ?
-
Les étudiants
vous connaissent !
-
Je ne souhaite
pas aller en Allemagne.
-
Je demande
néanmoins à réfléchir jusqu’au lendemain.
Le lendemain, je décide brusquement de dire oui à
Gunther, à la seule condition de pouvoir disposer d’un piano demi-queue noir.
Gunther accepte ; ce sera en juillet. (…)
Je pars donc pour Göttingen
en ce mois de juillet 1964. Seule et déjà en colère d’avoir accepté de chanter
en Allemagne. Gunther m’attend à la descente du train. (…) Je le prie de me
conduire au théâtre. Je ferme les yeux ; je ne veux rien regarder. Je le
prie de me montrer tout de suite la scène où je dois me produire le soir même.
(…) Un énorme vieux piano droit orné de deux chandeliers d’argent trône sur la
petite scène du Jungen Theater. (…) Je lui déclare qu’il m’est impossible de
chanter en m’accompagnant sur ce piano -là. (…)
Gunther me regarde et il me
semble que je le vois fondre petit à petit. Il s’assied près de moi et
m’explique qu’il y a à Göttingen une grève des déménageurs de pianos depuis la
veille au soir. (…)
Gunther disparaît
brusquement et revient avec dix étudiants joyeux parlant fort bien le français.
L’un d’eux connaît une vieille dame qui, selon lui, accepterait de prêter son piano de concert.
Les dix garçons proposent de le transbahuter. (…)
À vingt-deux heures, porté
par dix gaillards blonds, un piano de concert noir fait son entrée sur la
petite scène du Jungen Theater. (…) La soirée est magnifique. Gunther prolonge
mon contrat de huit jours.
C’est dans le petit jardin
contigu au théâtre que j’ai gribouillé Göttingen, le dernier après-midi de mon
séjour. (…) Le dernier soir, tout en m’excusant, j’en ai lu et chanté les
paroles sur une musique inachevée. (…)
Je dois donc cette chanson à
l’instance têtue de Gunther Klein, à dix étudiants, à une vieille dame
compatissante, à la blondeur des petits enfants de Göttingen,à un profond désir
de réconciliation, mais non d’oubli. Comme toujours je dois aussi cette chanson
au public, en l’occurrence le merveilleux public du Jungen Theater.
Le texte
Bien sûr, ce
n'est pas la Seine,
Ce n'est pas
le bois de Vincennes,
Mais c'est
bien joli tout de même,
À Göttingen,
à Göttingen.
Pas de quais
et pas de rengaines
Qui se
lamentent et qui se traînent,
Mais l'amour
y fleurit quand même,
À Göttingen,
à Göttingen.
Ils savent
mieux que nous, je pense,
L'histoire
de nos rois de France,
Herman,
Peter, Helga et Hans,
À Göttingen.
Et que
personne ne s'offense,
Mais les
contes de notre enfance,
"Il était
une fois" commence
À Göttingen.
Bien sûr
nous, nous avons la Seine
Et puis
notre bois de Vincennes,
Mais Dieu
que les roses sont belles
À Göttingen,
à Göttingen.
Nous, nous
avons nos matins blêmes
Et l'âme
grise de Verlaine,
Eux c'est la
mélancolie même,
À Göttingen,
à Göttingen.
Quand ils ne
savent rien nous dire,
Ils restent là
à nous sourire
Mais nous
les comprenons quand même,
Les enfants
blonds de Göttingen.
Et tant pis
pour ceux qui s'étonnent
Et que les
autres me pardonnent,
Mais les
enfants ce sont les mêmes,
À Paris ou à Göttingen.
Oh faites
que jamais ne revienne
Le temps du
sang et de la haine
Car il y a
des gens que j'aime,
À Göttingen,
à Göttingen.
Et lorsque
sonnerait l'alarme,
S'il fallait
reprendre les armes,
Mon cœur
verserait une larme
Pour
Göttingen, pour Göttingen.
Mais c'est
bien joli tout de même,
À Göttingen,
à Göttingen.
Et lorsque
sonnerait l'alarme,
S'il fallait
reprendre les armes,
Mon cœur
verserait une larme
Le rapprochement entre la France et l’Allemagne
Le 9 septembre 1962, le
général de Gaulle s’exprime devant la jeunesse allemande à Ludwigsburg. Ce
discours fut, à l’origine, donné en allemand.
« Quant à vous, je vous
félicite ! Je vous félicite, d'abord, d'être jeunes. II n'est que de voir
cette flamme dans vos yeux, d'entendre la vigueur de vos témoignages, de
discerner ce que chacun de vous recèle d'ardeur personnelle et ce que votre
ensemble représente d'essor collectif, pour savoir que, devant votre élan, la
vie n'a qu'à bien se tenir et que l'avenir est à vous. Je vous félicite,
ensuite, d'être de jeunes Allemands, c'est-à-dire les enfants d'un grand
peuple.
Oui ! D'un grand peuple ! qui
parfois, au cours de son Histoire, a commis de grandes fautes et causé de
grands malheurs condamnables et condamnés. Mais qui, d'autre part, répandit de
par le monde des vagues fécondes de pensée, de science, d'art, de philosophie,
enrichit l'univers des produits innombrables de son invention, de sa technique
et de son travail, déploya dans les couvres de la paix et dans les épreuves de
la guerre des trésors de courage, de discipline, d'organisation. Sachez que le
peuple français n'hésite pas à le reconnaître, lui qui sait ce que c'est qu'entreprendre,
faire effort, donner et souffrir. Je vous félicite enfin d'être des jeunes de
ce temps. Au moment même où débute votre activité, notre espèce commence une
vie nouvelle. »
Le 22 janvier 1963, le président français Charles de
Gaulle et le chancelier Konrad Adenauer, signent au palais de l’Élysée, un
traité bilatéral solennel renforçant les liens entre les deux pays en matière
de sécurité et de diplomatie.
Connu sous le nom de Traité de l’Élysée, ce traité
marque le début de l’amitié franco-allemande.
En 1988, Barbara a reçu la Médaille d’honneur de la
ville de Göttingen et l'Ordre du Mérite fédéral. En 1992, à la veille d'un
référendum, le Président de la République française, François Mitterrand, a
choisi ce titre pour terminer un entretien télévisé. Depuis 2002,
cette chanson est inscrite aux programmes officiels des classes de primaire.
"Les politiques se serviront de la
chanson comme étendard promotionnel quand l’amitié franco-allemande deviendra
dans les années 80 un sujet d’actualité avec le chancelier Kohl. Ainsi en 1988,
François Mitterrand remit à Barbara La Légion d’Honneur en évoquant Göttingen lors de son discours ;
d’ailleurs, en 1992, à la veille d’un référendum, le Président de la République
choisit ce titre pour terminer un entretien télévisé. La version allemande
figure en bonne place dans la compilation 1997 et Barbara reçu en 1998 la
médaille d’honneur de la ville de Göttingen et l’ordre du mérite fédéral. En
2003, en France, la chanson fut reprise dans les écoles lors des commémorations
du quarantième anniversaire du Traité de l’Élysée. (…) Aujourd’hui, on décrypte
à l’évidence Göttingen comme un chant
de réconciliation entre les peuples – d’autant qu’en 2003 le chancelier
Schröder, commémorant le traité d’amitié franco-allemande de 1963, entonna les
dernières strophes. À Göttingen, une « Barbarastrasse » a été
inaugurée en 2002 dans le quartier de Geismar, pour rendre hommage à la
chanteuse décorée de la Bundesverdienstkreuz, la plus haute distinction
allemande."
Source : Joël
July. Göttingen, de la réticence à l’évidence. Phaeton, L’Ire des marges, 2015,
p. 231-241. <hal-01382627>
Pour lire l'intégralité de l'article de Joël July, cliquez ici
Pour lire l'intégralité de l'article de Joël July, cliquez ici
Il faut lire l’ouvrage de Jérôme Garcin, Barbara, claire de nuit. Il faut lire ce texte sublime, le relire
et puis s’enivrer de la voix de Barbara.
« (…) Cette voix nous pénètre comme nulle autre, on dirait
qu’elle nous vole notre intimité, nous prolonge, nous traduit et brise ce qui,
en nous, résistait par bravade, par fierté, à l’aveu, à l’abandon et aux
larmes. Écrire sur Barbara – elle nous le pardonnera -, c’est écrire sur nous.
L’on connaît ses chansons par cœur et pourtant, chaque fois,
elles semblent répondre à ce que nous vivons d’inédit à l’instant précis où on
les écoute. Les mêmes refrains, les mêmes paroles, les mêmes airs d’elle ont
consacré avec la même intensité, des bonheurs différents, accompagné en terre,
avec le même refrain, des morts successives. Et quand le disque s’éteint, quand
le silence est rendu au silence du vent qui siffle, de la flambée qui crépite
des souvenirs qu’on a réveillés, qu’elle a su déloger, la voix de Barbara
continue de chanter. »
Barbara,
claire de nuit, Jérôme Garcin, Folio, 2003, pp : 14 & 15.
Un entretien avec Barbara
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