Cérémonie au cimetière israélite du Château à Nice,
le 24 avril 2017
©Jacques Lefebvre-Linetzky
Ce fut une belle cérémonie, empreinte de gravité en ces temps
tourmentés. Les discours furent sobres, fermes, à l’unisson : ne pas
oublier, ne pas céder devant les assauts des extrêmes, lutter contre celles et
ceux qui, sans vergogne, s’ingénient à réécrire l’histoire et souillent les
valeurs de notre république.
©Jacques Lefebvre-Linetzky
Jérôme Culioli, président du CRIF Sud-Est a rappelé
l’absolue nécessité de ce combat de tous les jours. Il a inscrit cette
commémoration dans l’action, la mémoire ne peut se vivre, selon lui, que dans
l’action. M. Philippe Pradal, maire de Nice, a prononcé un discours admirable
dont chaque mot vibrait d’une profonde humanité. Ces mots n’étaient pas vains,
c’étaient ceux d’un homme sincère et déterminé. Martine Ouaknine, déléguée aux
affaires juridiques, a également pris la parole, de même que Daniel Wancier,
président du comité Yad Vashem, Nice. Ces voix parlaient toutes la même langue
au service d’une mémoire en action. Douze élus étaient présents.
Martine Ouaknine et Daniel Wancier
©Jacques Lefebvre-Linetzky
Aux discours répondirent des chants, des prières, des noms lus parfois
de manière maladroite. Et puis ces voix se turent pour laisser la place à la
minute de silence. C’est toujours un moment très impressionnant où le temps
semble s’arrêter, où chacun entend le souffle de l’autre, où les voix des
orateurs sont encore présentes à nos oreilles, où le chant des oiseaux devient
soudain perceptible et glorieux. Ce silence bruit de mille sons qui résonnent
dans nos consciences.
Philippe Pradal et Maurice Niddam
©Jacques Lefebvre-Linetzky
Le dépôt des bougies, six bougies pour six millions de vie, est un
autre moment fort. Quatre déportées, Annette Barbut, Annette Cabelli, Lucie
Cohen et Zelda Sosnowski, accompagnées par Morgane, représentant le conseil départemental des jeunes, s’approchèrent pour allumer ces lumières. Enfin, Pierre
Lellouch, enfant caché et Mauro Maugliani dont les peintures figuraient aux côtés
des photographies des enfants déportés, déposèrent, à leur tour, une bougie.
œuvre réalisée par Mauro Maugliani
©Jacques Lefebvre-Linetzky
Allumer une bougie est un geste symbolique, un défi à l’oubli, une
promesse de lumière. Une septième bougie a été allumée par M. le Maire,
Philippe Pradal, à la mémoire des 86 victimes de l’attentat du 14 juillet 2016.
L’assemblée s’est ensuite rendue devant le Mur des Justes parmi les nations afin de procéder à un nouvel allumage de bougies. Les élus furent
invités à participer à la cérémonie. Au moment de déposer la septième bougie, Patrick
Allemand, dans un geste spontané et noble, a demandé à Philippe Pradal de l’accompagner.
Morgane devant le Mur des Justes parmi les nations
©Jacques Lefebvre-Linetzky
Enfin, on entonna la Marseillaise…
Commémorer
©Jacques Lefebvre-Linetzky
Commémorer, c’est « se souvenir ensemble », c’est mesurer le
présent à l’aune du passé.
Selon
Sophie Ernst, la commémoration est un engagement solennel et partagé :
« La
commémoration fait partager des rituels ; elle évoque des images et raconte des
histoires qu'elle investit de sens, induit des émotions, pose des
significations, et imprime ces significations dans la sensibilité. Elle fait
partager un imaginaire, mobilise les énergies et donne à l'action ses
directions fondamentales. Ce qu'on appelle «partager des valeurs», mais
l'expression est tellement galvaudée qu'on n'en saisit plus ni la force ni la
gravité. Or, dans la commémoration, on convoque le souvenir des morts, pour
dire aux vivants : rien ne vaut la vie, mais certains sacrifices nous disent ce
qui vaut la peine de mettre la vie en jeu. Et ce faisant, la mémoire donne à la
vie collective sa boussole.
C'est
une référence au passé, un rappel de la dette à l'égard des morts, une exhortation
à se souvenir, un vœu de fidélité... mais en fait il s'agit bien plus de
l'avenir que du passé. L'enjeu est de nous raconter à nous-mêmes ce qui nous
importe, et de favoriser, par l'émotion produite, quelque chose comme un
engagement solennel et partagé.»
Les
limites de la commémoration selon l’historien, Georges Bensoussan
©Jacques Lefebvre-Linetzky
L’historien,
Georges Bensoussan est venu à Nice récemment et a donné une conférence au CUM. Il
a suscité un grand émoi lorsqu’il a souligné les limites des commémorations et
lorsqu’il s’est interrogé sur l’intérêt des voyages de la mémoire.
Voici
ce qu’il disait dans un entretien accordé au quotidien, Libération, en 2011 :
« Je suis très sceptique.
La plupart du temps, ce sont des voyages éclair d’une journée. Or, comme il ne
reste plus grand-chose, si on n’en sait pas déjà beaucoup, on ne voit rien. On
est alors dans l’émotionnel, le compassionnel et le devoir de mémoire, avec des
collégiens qui ne comprennent pas la portée de ce qu’ils voient.
L’erreur serait
de croire que ces voyages peuvent remplacer un cours d’histoire et qu’ils
agissent comme un vaccin contre l’antisémitisme. Je suis moi-même allé pour la
première fois à Auschwitz en 2005, alors que je travaillais depuis vingt
ans sur le sujet. Il n’y a pas besoin d’y aller pour comprendre. Rien ne vaut
un cours d’histoire où l’on développe une réflexion politique. En revanche, ces
voyages seraient très utiles aux professeurs. Car souvent il y a dans l’opinion
une lassitude, comme si on parlait trop de la Shoah. Certains profs sont, en
outre, sensibles aux thèses de l’ultra gauche. Ils ont l’impression qu’en
allant à Auschwitz, ils sont instrumentalisés au profit d’Israël. »
Georges Bensoussan
souligne certaines dérives et s’interroge sur la portée des commémorations dans
la mesure où elles ne sont pas, selon lui, un barrage à l’antisémitisme. Il met
en cause la concurrence mémorielle qui aboutit souvent à minimiser la
spécificité de la Shoah. Il dénonce les amalgames et la banalisation de la
Shoah. Enfin, il attire notre attention sur l’utilisation abusive de formules
vidées de leur sens. Ainsi, « plus jamais ça », « les heures les
plus sombres de notre histoire », « la bête immonde » sont des
formules écran qui nous empêche d’aller au cœur des choses.
Devoir de mémoire
©Jacques Lefebvre-Linetzky
C’est une
expression que l’on utilise presque sans y prêter attention tant elle semble
relever de l’évidence. Oui, c’est un devoir que l’on doit à ceux qui ont péri.
On doit se souvenir, on ne doit pas oublier. Mais l’injonction a ses propres
limites. Elle fonctionne sur le mode de l’émotion, elle induit une culpabilité
pour celles et ceux qui ne se soumettraient pas à ce devoir impérieux. Les
historiens préfèrent l’expression « travail de mémoire ». Il s’agit
bien d’un travail, il s’agit de volonté et de détermination, il s’agit, encore
une fois, de mémoire en action.
Ce travail de
mémoire est effectué dans notre département depuis de nombreuses années grâce
aux « voyages de la mémoire ». C’est un travail entrepris et encadré
par des enseignants déterminés à accompagner leurs élèves et à les guider pour
qu’ils deviennent des citoyens vigilants. Ce travail de mémoire, c’est aussi ce
que fait l’AMEJDAM, grâce à ces plaques où revivent les noms des enfants
massacrés. Ce travail est indispensable et s’inscrit dans une dynamique de
l’action. Lire l’émotion dans un regard d’enfant, c’est en soi, une victoire
contre l’oubli.
Texte et photographies: Jacques Lefebvre-Linetzky
Magnifique blog de Jacques qui arrive a raconter les moments mais aussi de susciter le raisonnement.
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