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samedi 30 janvier 2021

ADIEU ANNETTE CABELLI, MEMBRE D'HONNEUR DE L'AMEJDAM

 ADIEU ANNETTE...



Yom Hashoah, 2015.  © Jacques L+L


Annette est arrivée à Nice après avoir passé une grande partie de sa vie à Paris. Son sourire, sa gentillesse, son empathie naturelle ont conquis toutes les personnes qui ont eu la chance de la côtoyer.

Sa vie, toutefois, n'a pas été un long fleuve tranquille...

Elle a vu le jour en Grèce le 25 avril 1925, dans une famille de Juifs d'origine espagnole, dont les ancêtres ont été chassés par l'Inquisition, en 1492. Il y a bien longtemps, direz-vous... et pourtant ses racines étaient tellement profondes que la langue pratiquée en famille était le judéo-espagnol. 


Ida et ses enfants: Albert, Dino et Annette à Salonique (Collection privée)


Deux garçons, Albert et Dino ont précédé la petite Annette. Elle n'a que quatre ans quand son père meurt. Pour subvenir seule aux besoins de ses enfants, Ida, sa mère, travaille comme couturière. Annette racontait son enfance et la faim qui la tenaillait sans arrêt. C'est ainsi qu'elle apprit très jeune à se débrouiller pour améliorer l'ordinaire. 

À 17 ans, elle est déportée avec sa mère, et son frère aîné. Sa mère est gazée dès son arrivée à Auschwitz, le 2 mars 1943. Annette, son frère et sa cousine sont sélectionnés pour le travail. Dès lors elle devient le numéro 40637.



Annette à l'inauguration de la plaque de l'École du Port,

le 26 juin 2016.

Le tatouage du numéro est visible sur son bras gauche. 




Elle survit à l'enfer du camp et, après de nombreuses péripéties, choisit de s'établir en France. "La France m'a accueillie, dit-elle, c'est ma patrie, contrairement à la Grèce qui reste pour moi un pays antisémite."



Annette à Paris après la guerre (Collection privée)

Annette épouse un ancien déporté, ami de son frère. Ils vivent à Paris et elle travaille dans la confection avec son mari. Deux filles, Denise et Jacqueline, puis un petit garçon, Stephan, constituent la famille Cabelli. Mais rien ne lui aura été épargné et elle connait la terrible douleur de perdre son fils à l'âge de 10 ans. 

Après une vie de dur labeur, elle choisit Nice pour y passer ses dernières années. Un nouvel horizon s'ouvre à elle : grâce à Passerelles et à son animatrice Jacqueline Parienté, elle rencontre d'autres personnes issues du monde juif sépharade, mais aussi des descendants des Juifs d'Europe centrale parlant le yiddish, langue apprise pendant son internement dans le camp d'Auschwitz.



Annette Cabelli et Suzanne Tarica, 

à la gare de Nice,  juillet 2019. © Jacques L+L


Complètement intégrée à la vie niçoise, Annette était présente à toutes les manifestations commémorant la Shoah ; elle acceptait aussi toutes les invitations à rencontrer les élèves, partout dans le département. 



Annette, invitée d'honneur au Conseil Départemental, lors de la remise 
du Prix Charles Gottlieb au collège de Beausoleil, 2018. 
À gauche, Alain Zyzeck, membre du bureau de l'AMEJDAM.




Annette Cabelli, le 22 mai 2019, 
au collège de Saint-Jeannet,
dans le cadre de la lutte contre les discriminations et
l'antisémitisme, par la BPDJ06 
(Brigade de prévention de la délinquance juvénile de
Cagnes-sur-Mer)  
© Michèle Merowka

Ses paroles restent gravées dans ma mémoire : "Tant que j'aurai un souffle de vie, je témoignerai!" Et c'est ce qu'elle a fait, chaque fois qu'elle était sollicitée pour intervenir dans les établissements scolaires. 



Annette allume l'une des six bougies, accompagnée par un jeune EI (Éclaireur Israélite) devant Martine Ouaknine. Nice, Synagogue Deloye, 6 octobre 2019. © Michèle Merowka


Elle participait aux événements communautaires: Yom Hashoah au cimetière juif du Château, commémoration à la synagogue en mémoire des déportés et victimes de la Shoah, cérémonie à la gare de Nice commémorant les rafles des 17 et 18 juillet à Paris. 



Yom Hashoah 2015. © Jacques L+L


Elle acceptait de rencontrer des élèves chaque fois qu'elle était sollicitée. Néo Verriest, un jeune lycéen venu de Toulon est le dernier à avoir eu la chance de recueillir ses souvenirs, le 20 décembre 2020, trois semaines avant sa disparition.





Annette avait accepté d'être membre d'honneur de l'AMEJDAM et nous avons tous beaucoup de peine de ne plus voir son sourire et d'entendre sa voix chantante au doux accent grec qui l'a accompagné tout au long de sa vie.


Il fallait plus que la crainte de Covid pour empêcher Annette d'assister à la cérémonie en mémoire des déportés le 27 septembre 2020. © Yossi Benavraham




Au mois de mars 2020, nous avons invité Annette à Radio Chalom Nitsan pour l'émission de l'AMEJDAM, "Au nom des enfants". Yossi Benhavraham, le directeur d'antenne, nous a communiqué les liens qui vous permettent de réécouter la voix qui vient de s'éteindre. 

C'est ici

Et

Annette Fiorentin-Cabelli nous a quittés, mais son souvenir restera gravé dans nos cœurs. 

Michèle Merowka. 


L'hommage de Linda Sixou


Linda Sixou a offert de grandes joies à Annette et qui peut mieux qu'elle raconter ce qu'elles ont vécu ensemble, ces dernières années :

Il y a cinq ans environ, j'ai parlé d'Annette à mes amis du Centro Séfarade-Israël. En leur racontant son histoire, je mentionnais qu'elle parlait encore dans la langue de ses ancêtres. Ils voulurent la rencontrer et c'est ainsi que ma vie et celle d'Annette ont changé.

Nous avons commencé à nous rendre à Madrid, chaque année, pendant une semaine pour transmettre cette mémoire de la Shoah. Séville et Barcelone nous accueillirent également.

Au début de nos interventions, cette partie de l'histoire n'apparaissait pas dans les manuels scolaires espagnols, cependant les professeurs qui le souhaitaient pouvaient l'intégrer dans leur programme. Là encore, de très belles amitiés sont nées.

Lors de chacun de ses témoignages, je m'asseyais à sa droite, je lui posais des questions, lui proposais un verre d'eau, l'observais pour m'assurer que tout allait bien et qu'elle pouvait continuer. 



Commémoration de la libération du camp d'Auschwitz organisée par 
la communauté juive de Madrid à l'Asamblea de Madrid, le 23 janvier 2020. 

Mais Annette voulait toujours continuer. Elle me disait : "Je témoignerai jusqu'à la fin de ma vie, je le dois." Nous nous demandions tous où elle puisait cette force...

C'est ainsi qu'Annette et moi avons voyagé pour témoigner sur sa déportation, et nous avons toutes les deux vécu des moments inoubliables. 

Des milliers d'enfants, d'adolescents, d'adultes, de professeurs, d'associations, ont assisté à ces rencontres si émouvantes. Nous avons allumé des bougies lors des commémorations de la libération du camp d'Auschwitz.



Témoignage organisé par la mairie de Majadahonda, 
le Centre Séfarade Israël et la Communauté juive de Madrid


(Les hispanistes apprécieront aussi de lire le paragraphe qui suit, écrit en hommage à Annette par la Communauté Juive d'Espagne.

Queremos manifestar nuestro profundo agradecimento a la señora Cabelli de bendita memoria, quien se eforzó valiente generosamente hasta el final de sus dias, en recordar, en relatar en escuelas y actos de recuerdo de la Shoá las viviencias terriblemente dolorosa que a ella le tocó vivir. Y lo hizo para proteger del horror que siempre acecha, a las nuevas generaciones y que lo que ella vivió, no se vuelva repetir.

On peut également regarder le témoignage (en espagnol) d'Annette en Espagne, et s'informer sur le monde judéo-espagnol - langue, culture, musique - en cliquant sur ce lien. Les anglicistes y trouveront aussi l'article publié sur Annette dans "Tablet Magazine") 


Annette est intervenue au Sénat, dans des ministères, des municipalités, des universités, dans des établissements scolaires publics et privés, et l'an dernier au ministère de la justice. 

De grandes amitiés sont nées et aujourd'hui, les nombreux messages que je reçois me réconfortent et confirment ce que je savais déjà : L'Espagne aussi aimait Annette. 

Un amour bien partagé.

Dès que cela fut possible, nous avons tout fait afin qu'elle puisse obtenir la nationalité espagnole et un passeport espagnol. Cela était si important pour elle. Sa maman parlait très souvent de l'Espagne, elle en rêvait et projetait d'emmener ses enfants sur la terre de ses ancêtres. 

"Sueynos d'Espannya, Suenyos d'Espana, Suenyos d'Espanyaaa" ... (Rêves d'Espagne)

Je n'oublierai jamais toutes les démarches, les difficultés, les aides qu'à chaque fois nous considérions tous comme des cadeaux du ciel. Merci à vous de l'avoir aidée. 

Nous avions l'impression de vivre une course contre la montre. Allions-nous recevoir ce passeport à temps? Obtenir ce passeport était un présent qu'Annette voulait offrir à sa mère avant de nous quitter. Si vous aviez vu sa joie, son bonheur lorsqu'elle reçut enfin "son" passeport espagnol en 2017 !

Et puis, elle rencontra le roi Felipe VI et l'année suivante, la reine Sofia. Ce furent des moments inoubliables : "Annette chez le roi". 



Au Palais de La Zarzuela, le roi Felipe d'Espagne a reçu en audience Annette Cabelli, survivante de l'Holocauste (...) 

Annette a reçu la nationalité espagnole en 2017 en vertu de la loi de nationalité de la communauté séfarade 'communauté juive historique issue de la péninsule ibérique).

Copyright photo: © Casa real

J'aurais tant aimé être une petite souris ce jour-là ! Quel bonheur de voir sa joie à son retour ! Et cette petite phrase lorsqu'elle revint de son entrevue avec la reine Sofía: "Nous avons même parlé en grec avec la reine!"

Tout ce travail de mémoire et ce temps passé ensemble nous ont permis de mieux nous connaître, de nous rapprocher et de partager des moments extraordinaires. C'est de tout cela qu'est née notre relation qui peu à peu se renforçait (...)

Annette n'est plus sur notre terre, mais elle restera toujours dans nos cœurs. Oui, elle va me manquer ! Elle va nous manquer. Bon voyage, Annette ! (...) 

À ses obsèques, nous étions tous là et l'avons accompagnée avec nos messages, nos pensées et nos chansons en grec, en judéo-espagnol, et en hébreu. 

Annette est partie avec Adyo Kerida, cette chanson qu'elle aimait tant et que nous entonnions souvent  ensemble à la fin de ses témoignages. Nous pouvions voir alors l'expression de son visage changer et tout le poids de son histoire s'alléger... 

Elle adressait alors à tous le merveilleux sourire que l'on surnommait à juste titre : "La Sonrisa Linda". 

Pour écouter Adyo Kerida, cliquez sur ce lien.


L'hommage de Jacqueline Parienté


Jacqueline Parienté a envoyé un message très émouvant aux membres de Passerelles pour annoncer la disparition d'Annette :

Elle nous quitte en ce début d'année et nous laisse si tristes et désolés avec un profond regret d'avoir été empêchés de la revoir.

Ce terrible virus qui l'a emportée l'avait confinée tous ces derniers mois dans un terrible isolement qu'elle ne supportait plus.

Elle a éclairé nos rencontres, ateliers, conférences ... de son regard rieur, aiguisé, malicieux, auquel rien n'échappait. 

Elle a été la voix à l'accent de Salonique irremplaçable, qui n'a cessé de témoigner avec détermination, auprès des jeunes surtout, en France mais en Espagne, jusqu'à il y a très peu de temps.

Fatiguée, affaiblie, elle a trouvé la force d'aller vers les autres pour parler, échanger ; dressée, tenue, portée par la nécessité, le devoir de transmettre, de faire savoir encore et encore, jusqu'au bout, l'horreur dont elle était la survivante bien vivante.

Elle nous a nourris de souvenirs, d'anecdotes, d'histoires et de chants en judéo-espagnol que nous n'oublierons pas.

Elle nous manque déjà, Annette.

Ce soir, nous nous sentons orphelins. 


Hommage en musique


Pour écouter Esther Lamandier chanter La Rosa enflorececliquez sur ce lien.

Vous pouvez également écouter Savína Yannátou en cliquant sur ce lien.



Annette, Nice, le 21 juin 2020 ©  Michèle Merowka




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Texte de ce billet :

Michèle Merowka

avec la participation de :

Linda Sixou & Jacqueline Parienté

Mise en page : Jacques Lefebvre-Linetzky

























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