Hans-Jürgen Schönhage
© Jacques Lefebvre-Linetzky
Le 9 mai dernier, j'ai reçu Hans Jürgen Schönhage à l'antenne de RCN 89.3 dans le cadre de l'émission de l'AMEJDAM, Au nom des enfants. Nous avions convenu avec Hans de parler de son enfance et de son adolescence dans l'Allemagne de l'après-guerre.
Hans est un personnage chaleureux et attachant qui vit à Nice depuis quelques années et qui apprend le yiddish. Il s'exprime très bien en français avec juste une pointe d'accent qui me rappelle les intonations de ce formidable acteur qu'était Curd Jürgens.
Voici l'essentiel de notre conversation:
Présentation liminaire
Bielefeld
Image empruntée ici
"Je suis né le 3 avril 1941. J’ai grandi dans une ville
industrielle, Bielefeld, c’est entre la Ruhr et Hanovre dans le Nord-Est de
l’Allemagne et, au sortir du lycée, à l'âge de 19 ans, j’ai choisi la profession de professeur
d’histoire et de français. J’ai étudié le français au lycée pendant 6 ans et
j’ai continué après l’obtention de mon baccalauréat en 1961 – Au lycée, j’ai fait 6 ans de français, 7 ans
d’anglais et 9 ans de latin, une formation assez classique. J’avais dans ma
classe le fils de notre proviseur et nous avions donc les meilleurs
professeurs.
Premiers souvenirs d’enfance
Je suis un pur produit de la Deuxième Guerre mondiale.
Malheureusement, mes premiers souvenirs remontent aux bombardements. J’ai vu
autour de nous les maisons trembler. Une fois nous étions dans la cave de la
maison de mes grands-parents et ça tremblait. Ma grand-mère qui était grande
s’est allongée sur moi pour me protéger et sauver ma vie. (…) Plus tard, une
fois la guerre terminée, j’ai vu des soldats anglais, américains et même des
soldats de couleur qui nous ont distribué leurs chewing-gums – ça aussi c’est
un souvenir inoubliable.
La fin de la guerre
Bielefeld 1946
Image empruntée ici
Mon père est mort sur le front russe en 1944. Il n’y avait
donc que ma mère et ce qui est remarquable, c’est que dès le lendemain de la
guerre, elle a travaillé. C'était sûrement en rapport avec son éducation calviniste – il faut
absolument travailler, de jour comme de nuit. Je n’ai pas senti vraiment une tristesse,
un deuil après la perte de mon père. La maison où j’habitais avec ma mère
n’avait pas été touchée par les bombardements. C’était une maison de trois
étages qui appartenait à mon grand-père. Il était contremaître dans le
bâtiment, c’était, lui aussi, un travailleur acharné dans la pure tradition
calviniste. Ce n’était pas le grand deuil, on se plongeait dans le travail
quotidien.
Dans ma ville, il n’y avait pas trop de ruines. La guerre
pour moi, à l’âge de 6 ans, c’était une situation assez normale.
Il y a eu
beaucoup de chômage tout de suite après la guerre. Il n’y avait pas
suffisamment de travail pour tous les soldats qui rentraient une fois la guerre
terminée. Il y avait à côté de nous un vieux communiste qui a survécu, je ne
sais pas comment, il disait bien sûr, c’est la faute du capitalisme. J’ai
retenu cette phrase sans vraiment la comprendre car je n’avais que 6 ans.
Les troupes d’occupation
Image empruntée ici
Chez moi c’étaient des Anglais, mais au début, c’étaient des Américains. J’ai appris quelques mots en anglais de cette façon en demandant du
chewing-gum et du chocolat. Ils étaient très généreux et leur sourire était
éclatant. La compassion qu'ils éprouvait pour nous était impressionnante.
J’étais fils unique, gâté par ma mère qui me protégeait.
Le poids du passé
Image empruntée ici
On s’est plongé dans le travail et la reconstruction pour
étouffer le souvenir du passé. Ma famille n’avait pas appartenu au parti
nazi et n’éprouvait pas de sentiment de culpabilité, mais on refoulait en se
noyant dans le travail.
À l’école, c’était pareil, sauf que l’on avait deux heures
d’enseignement religieux chaque semaine. C’était bien sûr la religion
protestante – jusqu’à l’âge de 10 ans, je ne savais pas ce que c’était qu’un catholique.
J’adorais l’école, les copains ; j’étais très ouvert, très curieux. La
guerre n’existait presque pas, c’était refoulé – c’est ce que j’ai ressenti.
Le choix de l'illustration musicale,
La veuve joyeuse de Franz Lehar
Version 1963
Image empruntée ici
C’est une musique « kitsch », un mot allemand à l’origine, passé dans le français. C'est une partie de mon adolescence. On cherchait en fait une forme d’harmonie qui n’existait pas suffisamment.
Un monde sirupeux
On parlait très rarement des atrocités commises pendant la
guerre. Je devais avoir 17 ans lorsque j’ai vu le film d’Alain Resnais, Nuit et
Brouillard. C’était à peu près tout, je sentais le vide. C’est aussi ce qui m’a
poussé à entreprendre des études d’histoire pour dévoiler ce qui avait été
dissimulé. Il régnait une chape de plomb que je n’ai jamais remise en question
parce que je n’étais pas un élève génial. J'étais fort en histoire, mais d’une curiosité
ingénue, naïve. Je sentais jour et nuit cette chape de silence.
Image empruntée ici
Vivre en France
J’étais professeur de français et d’italien et vivre à Nice
me semblait aller de soi.
Le yiddish
Image empruntée ici
Je ne peux pas vraiment expliquer pourquoi j’apprends le yiddish. Ce n’est pas vraiment explicable, c’est viscéral. En tant que
professeur d’histoire je vois un millénaire de culture juive allemande. C’est
une langue tellement expressive, tellement créative.
La montée des populismes
Image empruntée ici
Pour moi le terme n’est pas approprié, c’est la
radicalisation des réactionnaires. Ce sont les défaillances de la droite
démocratique qui ne parvient pas à nous protéger de ces tendances
réactionnaires. C’est vrai en France, en Autriche, en Pologne et en Allemagne.
Cette situation plus ou moins générale en Europe est inquiétante. La porosité
entre la droite conservatrice et la droite réactionnaire m’inquiète. Il faut
que les conservateurs bloquent cette tendance réactionnaire."
"Si l'origine du mot est connue (apparu en Bavière vers 1870, il est entré dans la langue française près d'un siècle plus tard au début des années 1960), il est moins aisé de dater la naissance du phénomène lui-même.
Source: Encyclopedia Universalis, Jean-Pierre Keller.
Documents annexes
Kitsch:
"Si l'origine du mot est connue (apparu en Bavière vers 1870, il est entré dans la langue française près d'un siècle plus tard au début des années 1960), il est moins aisé de dater la naissance du phénomène lui-même.
Certains n'hésitent pas à le faire remonter à l'Antiquité. D'autres, plus prudents, le voient apparaître après la Renaissance, avec le maniérisme et le baroque. Cependant, la plupart des auteurs (dont Moles, ou l'écrivain autrichien Hermann Broch) s'accordent pour situer son essor au XIXe siècle, avec le romantisme, les peintres nazaréens puis les pompiers, et surtout la production d'objets en série, qui annonce le développement de la société de consommation."
Source: Encyclopedia Universalis, Jean-Pierre Keller.
L'Allemagne occupée en 1946, Corine Defrance et Ulrich Pfeil, cliquez ici
L'heure zéro: un mythe fondateur de l'Allemagne de l'après-guerre, Niall Bond, cliquez ici
L'expression Stunde Null ou "heure zéro" dénote l'aube d'un nouvel âge politique, économique et moral, un renouveau venant de l'anéantissement du Troisième Reich.
Entretien et mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky
Entretien et mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky
Hello, je viens de tomber sur cet article par un pur hasard et il s'avère que M Schönhage était mon prof d'italien au lycée en Allemagne donc là je lance un peu une bouteille à la mer : auriez-vous ses coordonnées ? Serait-il éventuellement possible de prendre contact avec lui ?
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