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mardi 2 décembre 2014

PHOTOGRAPHIER LE GHETTO



Si vous l'avez manquée en direct, vous trouverez cette semaine sur notre blog une suite à la présentation de la l'émission consacrée à la photo de l'enfant du ghetto de Varsovie. Nous sommes heureux de voir que vous êtes à présent si nombreux à suivre ce blog. Merci à vous tous et toutes de participer ainsi à ce travail de mémoire.  


L'ACTE PHOTOGRAPHIQUE

J’aimerais tout d’abord revenir sur la photo de l’enfant du ghetto de Varsovie qui me hante depuis tant d’années. Grâce au travail de Richard Raskin, j’ai pu en retracer l’histoire, identifier le tortionnaire et replacer cet instant photographique dans le chaos de l’Histoire.

 Que se passait-il dans la tête des photographes qui couvraient les arrestations et les massacres ? Ils étaient conscients de l’importance de leur travail aux yeux de leurs supérieurs et ils savaient que leurs clichés seraient utilisés à des fins de propagande. Les nazis avaient compris depuis bien longtemps que les images et les films avaient un pouvoir magnétique qui pouvait servir leur idéologie toxique.

La plupart des photographies qui figurent dans le Rapport Stroop sont des plans d’ensemble; rares sont les plans rapprochés et encore moins les gros plans, réservés aux clichés représentant les bunkers de fortune dans lesquels se terraient les résistants du ghetto. Il fallait garder une distance « sanitaire » par rapport aux sujets afin de ne pas les transformer en héros et surtout ne pas susciter la compassion. Le gros plan porte en lui une puissance émotionnelle qu’il est difficile d’évaluer. Enfin, et c’est peut-être, l’explication la plus évidente, les appareils utilisés n’étaient pas équipés de téléobjectifs. Les photographes des Propaganda Kompanien utilisaient essentiellement des appareils photos de marque Leica réputés pour leur robustesse, leur maniabilité  et la qualité de leurs optiques.



Leica II (1932) Photo prise ici

Une Propaganda Kompanie était une unité dotée d’un matériel lourd : véhicules en tous genres, laboratoires photos mobiles, imprimeries et tout une logistique destinée à assurer une propagande efficace. Dans chaque unité on trouvait des cameramen, des photographes, une équipe de presse, une équipe radio, des techniciens et des conducteurs de véhicules. Les photographies figuraient essentiellement dans des revues de propagande telles que Signal et Der Adler.


La  photo n°14 de l’enfant aux mains levées, est celle qui sort du lot en raison d’une charge émotionnelle qui semble avoir échappé aussi bien au photographe qu’à Jürgen Stroop lui-même. Anesthésiés par la folie de leur idéologie, ils n’en ont pas saisi la force. Le photographe, qui était de toute évidence un professionnel,  s’est placé au bon moment, au bon endroit. C’est ce qu’on appelle le regard ou l’œil photographique.

La photographie n°14 a eu ensuite un destin unique: choisie dans un ensemble destiné à servir de preuve visuelle de la destruction du ghetto, elle est devenue pièce à conviction lors des procès de l’après-guerre. Depuis, elle continue à peser sur notre imaginaire. En effet, elle est empreinte de l’horreur d’un « après » dont nous connaissons les images atroces.
Comment le photographe, encore inconnu à ce jour,  a-t-il vécu avec le souvenir de ces clichés ?

Les photographes des Propaganda Kompanien ne furent pas les seuls à photographier les ghettos. Du 13 novembre 2013 au 28 septembre 2014, Le Mémorial de la Shoah a présenté une exposition intitulée : Regards sur les ghettos.

Photo prise ici 


L’exposition présentait près de 500 photographies prises dans les ghettos. Des photographes juifs ont couvert clandestinement la vie dans les ghettos. Ainsi, Mendel Grossman et Henryk Ross, ont accumulé des clichés sur la vie quotidienne dans le ghetto de Lodz.




Mendel Grossman (1913-1945), ghetto de Lodz (1940)
Photo prise ici 




Henryk Ross (1910-1991), ghetto de Lodz (1940-1944)
Photo prise ici  

George Kadish (1910-1997), photographe amateur, a bravé les interdictions et a photographié la vie quotidienne et les déportations dans le ghetto de Kaunas en Lituanie.




George Kadish, ghetto de Kaunas (1941)
Photo prise ici


Plus surprenant encore, de 1940 à 1943, dans le ghetto de Varsovie, l’historien, Emmanuel Ringelblum (1900-1944), à réuni une petite équipe qui a stocké des documents et quelques photographies prises dans le ghetto par des photographes inconnus à ce jour. Ces archives, conservées dans dix boîtes métalliques, ont été miraculeusement retrouvées après-guerre dans les ruines du ghetto. Les archives de Ringelblum font désormais partie du registre international Mémoire du monde de l’UNESCO.



Photo prise ici 

L’exposition a également fait figurer les clichés pris par la Propaganda Kompanie 689. Ont été rassemblées les photographies prises par Ludwig Knobloch, Albert Cussian et Zermin.






Albert Cusian, ghetto de Varsovie (1941)
Photo prise ici 


Enfin, des soldats allemands ont pris des photos, parfois  sans y être autorisés. Celui qui a su photographier le ghetto de Varsovie avec le plus d’humanité est Willy Georg :

« Basé à Varsovie, il pénètre avec l’autorisation de son supérieur dans le ghetto de la ville au mois de juin 1941 et y photographie avec une réelle empathie de nombreuses scènes de rue. Appréhendé par la police allemande qui lui confisque son Leica et la pellicule qu’il renferme – photographier les ghettos sans supervision est alors une pratique interdite aux soldats allemands – Georg parvient néanmoins en les dissimulant à conserver quatre pellicules. Ce n’est qu’au début des années 1990 que son fils fait don de ces précieux clichés à Rafael F. Scharf qui en publie une sélection dans In the Warsaw Ghetto paru en 1995. Ces photographies sont aujourd’hui conservées au London Jewish Cultural Centre (LJCC). »
Source : Dossier de presse – Regards sur les ghettos.

Willy Georg, ghetto de Varsovie (1941)
Photo prise ici 





Daniel Blatman, commissaire scientifique, présente l’exposition en ces termes :

« En confrontant ces images aux photographies de propagande ou aux clichés pris par des photographes amateurs allemands, une autre histoire de la vie des ghettos s’écrit. Les images ne sont jamais neutres. Elles racontent quelque chose. Or, les récits contenus dans les photographies d’un Mendel Grossman, d’un George Kadish, d’un Henryk Ross, sont fondamentaux. Que disent-ils, que montrent-ils ? Ils montrent les dernières heures de la vie d’un peuple. Outre les témoignages de souffrance et de destruction, les objectifs saisissent des scènes de vie familiale, des activités professionnelles et culturelles, des engagements politiques. De mon point de vue, l’importance historique de ces images réside dans leur propension à montrer le peuple juif comme un peuple vivant, c’est-à-dire comme des êtres de chair et de sang qui ont réellement existé ». 
Voir site ici

Plus que des films d’archives, ces photographies nous permettent de nous approcher de la réalité. Elles nous invitent à faire des arrêts sur image, à retenir notre souffle et à recueillir ces instantanés de vies qui ne sont plus.

Jacques Lefebvre-Linetzky

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DERNIÈRE MINUTE : Notre présidente, Michèle Merowka, a été l'invitée du 19-20 de France 3, ce jour (2 décembre) pour évoquer la mort d'Aloïs Brunner, la tragique situation des Juifs de Nice sous son occupation, et également expliquer au grand public le rôle de notre association. Vous pourrez revoir cette interview sur Pluzz pendant une semaine. 






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