Si vous l'avez manquée en direct, vous trouverez cette semaine sur notre blog une suite à la présentation de la l'émission consacrée à la photo de l'enfant du ghetto de Varsovie. Nous sommes heureux de voir que vous êtes à présent si nombreux à suivre ce blog. Merci à vous tous et toutes de participer ainsi à ce travail de mémoire.
L'ACTE PHOTOGRAPHIQUE
J’aimerais tout d’abord revenir sur la photo de
l’enfant du ghetto de Varsovie qui me hante depuis tant d’années. Grâce au
travail de Richard Raskin, j’ai pu en retracer l’histoire, identifier le
tortionnaire et replacer cet instant photographique dans le chaos de
l’Histoire.
Que se
passait-il dans la tête des photographes qui couvraient les arrestations et les
massacres ? Ils étaient conscients de l’importance de leur travail aux
yeux de leurs supérieurs et ils savaient que leurs clichés seraient utilisés à
des fins de propagande. Les nazis avaient compris depuis bien longtemps que les
images et les films avaient un pouvoir magnétique qui pouvait servir leur
idéologie toxique.
La plupart des photographies qui figurent dans le
Rapport Stroop sont des plans d’ensemble; rares sont les plans rapprochés et
encore moins les gros plans, réservés aux clichés représentant les bunkers de
fortune dans lesquels se terraient les résistants du ghetto. Il fallait garder
une distance « sanitaire » par rapport aux sujets afin de ne pas les
transformer en héros et surtout ne pas susciter la compassion.
Le gros plan porte en lui une puissance émotionnelle qu’il est difficile
d’évaluer. Enfin, et c’est peut-être, l’explication la plus évidente, les
appareils utilisés n’étaient pas équipés de téléobjectifs. Les photographes des Propaganda Kompanien utilisaient
essentiellement des appareils photos de marque Leica réputés pour leur robustesse, leur maniabilité et la qualité de leurs
optiques.
Leica II (1932) Photo prise ici
Une
Propaganda Kompanie était une unité dotée d’un matériel lourd : véhicules
en tous genres, laboratoires photos mobiles, imprimeries et tout une logistique
destinée à assurer une propagande efficace. Dans chaque unité on trouvait des
cameramen, des photographes, une équipe de presse, une équipe radio, des techniciens
et des conducteurs de véhicules. Les photographies figuraient essentiellement
dans des revues de propagande telles que Signal et Der Adler.
La photo n°14
de l’enfant aux mains levées, est celle qui sort du lot en raison d’une charge
émotionnelle qui semble avoir échappé aussi bien au photographe qu’à Jürgen
Stroop lui-même. Anesthésiés par la folie de leur idéologie, ils n’en ont pas
saisi la force. Le photographe, qui était de toute évidence un professionnel, s’est placé au bon moment, au bon endroit.
C’est ce qu’on appelle le regard ou l’œil photographique.
La photographie n°14 a eu ensuite un destin unique:
choisie dans un ensemble destiné à servir de preuve visuelle de la destruction du ghetto, elle est devenue pièce à conviction
lors des procès de l’après-guerre. Depuis, elle continue à peser sur notre
imaginaire. En effet, elle est empreinte de l’horreur d’un « après » dont
nous connaissons les images atroces.
Comment le photographe, encore inconnu à ce
jour, a-t-il vécu avec le souvenir de ces
clichés ?
Les photographes des Propaganda Kompanien ne furent pas les seuls à photographier les
ghettos. Du 13 novembre 2013 au 28 septembre 2014, Le Mémorial de la Shoah a présenté une exposition intitulée : Regards sur les ghettos.
Photo prise ici
L’exposition présentait près de 500 photographies
prises dans les ghettos. Des photographes juifs ont couvert clandestinement la
vie dans les ghettos. Ainsi, Mendel Grossman et Henryk Ross, ont accumulé des
clichés sur la vie quotidienne dans le ghetto de Lodz.
Mendel Grossman (1913-1945), ghetto de Lodz (1940)
Photo prise ici
Henryk Ross (1910-1991), ghetto de Lodz (1940-1944)
Photo prise ici
George Kadish (1910-1997), photographe amateur, a
bravé les interdictions et a photographié la vie quotidienne et les
déportations dans le ghetto de Kaunas en Lituanie.
George Kadish, ghetto de Kaunas (1941)
Photo prise ici
Plus surprenant encore, de 1940 à 1943, dans le
ghetto de Varsovie, l’historien, Emmanuel Ringelblum (1900-1944), à réuni une
petite équipe qui a stocké des documents et quelques photographies prises dans
le ghetto par des photographes inconnus à ce jour. Ces archives, conservées
dans dix boîtes métalliques, ont été miraculeusement retrouvées après-guerre
dans les ruines du ghetto. Les archives de Ringelblum font désormais partie du
registre international Mémoire du monde
de l’UNESCO.
Photo prise ici
L’exposition a également fait figurer les clichés
pris par la Propaganda Kompanie 689. Ont été rassemblées les photographies prises par Ludwig Knobloch, Albert
Cussian et Zermin.
Albert Cusian, ghetto de Varsovie (1941)
Photo prise ici
Enfin, des soldats allemands ont pris des photos,
parfois sans y être autorisés. Celui qui
a su photographier le ghetto de Varsovie avec le plus d’humanité est Willy
Georg :
« Basé à Varsovie, il pénètre avec
l’autorisation de son supérieur dans le ghetto de la ville au mois de juin 1941
et y photographie avec une réelle empathie de nombreuses scènes de rue. Appréhendé
par la police allemande qui lui confisque son Leica et la pellicule qu’il
renferme – photographier les ghettos sans supervision est alors une pratique
interdite aux soldats allemands – Georg parvient néanmoins en les dissimulant à
conserver quatre pellicules. Ce n’est qu’au début des années 1990 que son fils
fait don de ces précieux clichés à Rafael F. Scharf qui en publie une sélection
dans In the Warsaw Ghetto paru en
1995. Ces photographies sont aujourd’hui conservées au London Jewish Cultural
Centre (LJCC). »
Source : Dossier de presse – Regards
sur les ghettos.
Willy Georg, ghetto de Varsovie (1941)
Photo prise ici
Daniel Blatman, commissaire scientifique, présente
l’exposition en ces termes :
« En confrontant ces images aux
photographies de propagande ou aux clichés pris par des photographes amateurs
allemands, une autre histoire de la vie des ghettos s’écrit. Les images ne sont
jamais neutres. Elles racontent quelque chose. Or, les récits contenus dans les
photographies d’un Mendel Grossman, d’un George Kadish, d’un Henryk Ross, sont
fondamentaux. Que disent-ils, que montrent-ils ? Ils montrent les dernières
heures de la vie d’un peuple. Outre les témoignages de souffrance et de
destruction, les objectifs saisissent des scènes de vie familiale, des
activités professionnelles et culturelles, des engagements politiques. De mon
point de vue, l’importance historique de ces images réside dans leur propension
à montrer le peuple juif comme un peuple vivant, c’est-à-dire comme des êtres
de chair et de sang qui ont réellement existé ».
Voir site ici
Plus que des films d’archives, ces
photographies nous permettent de nous approcher de la réalité. Elles nous
invitent à faire des arrêts sur image, à retenir notre souffle et à recueillir
ces instantanés de vies qui ne sont plus.
Jacques Lefebvre-Linetzky
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DERNIÈRE MINUTE : Notre présidente, Michèle Merowka, a été l'invitée du 19-20 de France 3, ce jour (2 décembre) pour évoquer la mort d'Aloïs Brunner, la tragique situation des Juifs de Nice sous son occupation, et également expliquer au grand public le rôle de notre association. Vous pourrez revoir cette interview sur Pluzz pendant une semaine.
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