Quelques chiffres à
retenir :
En 1933, on compte environ
9,5 millions de Juifs en Europe, soit 1,7% de l’ensemble de la population en
Europe. Le nombre de Juifs dans le monde était alors estimé à 15, 3 millions.
Les Juifs d’Europe constituaient 60% de la population juive dans le monde.
500 000 Juifs vivaient en
Allemagne à cette époque, soit 0,75% de la population totale du pays. On
comptait 300 000 Juifs en Grande Bretagne (0,65% de la population totale) et en
France, ils étaient 250 000, soit 0,6% de la population de l’ensemble du pays.
Source : United
States Holocaust Memorial Museum
En France, en 1940, il y
avait environ 70 000 Juifs de moins de 18 ans.
11 400 ont été arrêtés, la
plupart par la police de Vichy, déportés à Auschwitz et assassinés, à
l’exception d’environ 200 d’entre eux.
Source : Serge
Klarsfeld
Les
nazis ont tué environ 1,5 million d’enfants et parmi eux, plus d’un million
d’enfants juifs. Entre 5000 et 7000 enfants tsiganes ont été exécutés.
L’action des Justes
L’action de l’organisation appelée Yad Vashem est bien connue dans le monde
entier. Elle a pour but d’honorer, en leur remettant la médaille de JUSTE, ceux
et celles qui, au péril de leur vie, ont sauvé des Juifs pendant la Seconde
Guerre mondiale.
Certes, le danger était grand de protéger ceux qui
étaient traqués et recherchés par la police (en France), et la Gestapo (dans
tous les pays occupés).
Aujourd’hui, les Justes, tout comme leurs
descendants, rappellent avec humilité qu’ils n’ont fait « que leur
devoir ».
En France, 3800 personnes ont été ainsi honorées par
le Comité Yad Vashem. Et un village tout entier : Le Chambon sur Lignon.
Toutefois, en observant la liste des Justes du monde
entier, et celle des pays concernés, on est surpris de ne pas y voir figurer la
Grande Bretagne.
La raison avancée en est que, cette île n’ayant pas
été envahie par l’ennemi, le sauvetage des Juifs n’avait pas de raison d’être
dangereux pour quiconque l’eût entrepris.
Cette distinction est toutefois regrettable.
En effet, au moment même où toutes les portes se
fermaient au nez des persécutés d’Allemagne et d’Autriche, ne laissant, en 1939
comme ultime issue de secours la Chine – et Shanghai en particulier – un seul
pays européen a agi en faveur des plus innocents : les enfants, c’est l’Angleterre.
Quand l’Angleterre sauve des enfants juifs.
Des enfants viennois arrivent à Londres (source: Bibliothèque Nationale d'Autriche)
Photographie prise ici
Photographie prise ici
En 1938, juste après la Nuit de Cristal, certains esprits éclairés ont commencé
à se rendre compte que le danger était grand pour les Juifs d’Allemagne,
d’Autriche et de Tchécoslovaquie. Mais aucun pays ne prit la généreuse décision
d’accueillir ces persécutés. Bien au contraire. Une à une les frontières se
fermèrent. La conférence d’Évian ne déboucha sur rien d’autre que des refus
gênés.
Toutefois, après les
violences antisémites organisées par les autorités nazies pendant la "Nuit de cristal", (voir site ici) en novembre 1938,
le gouvernement britannique rendit moins contraignantes les restrictions en
matière d'immigration pour certaines catégories de réfugiés juifs. Sous la
pression de l'opinion publique britannique et des comités d'aide aux réfugiés,
et plus particulièrement du British Committee for the Jews of Germany et
du Movement for the Care of Children from Germany, les autorités
britanniques acceptèrent d'autoriser un nombre indéterminé d'enfants de moins
de 17 ans en provenance d'Allemagne et des territoires occupés par l'Allemagne
(c'est-à-dire d'Autriche et des territoires tchèques) à entrer en
Grande-Bretagne.
Des citoyens privés ou des
organisations devaient s'engager à subvenir aux besoins et à l'éducation de
chaque enfant, ainsi qu'à prendre en charge le moment venu son émigration hors
de Grande-Bretagne. En contrepartie de cet engagement, le gouvernement
britannique acceptait de permettre à des enfants réfugiés non accompagnés
d'entrer dans le pays munis de simples visas de tourisme. Il était entendu à
l'époque que lorsque la « crise serait passée », les enfants retourneraient dans
leur famille. Les parents ou les tuteurs n'étaient pas autorisés à accompagner
les enfants. Les quelques enfants en bas âge inclus dans le programme furent
ainsi placés, pendant la durée du transport, sous la responsabilité d'autres
enfants.
L’opération qui débuta ensuite prit le nom de Kindertransport. Et les nombreux enfants survivants furent toute
leur vie accompagné du nom de kinder.
Le premier train partit de Berlin avec 200 orphelins le 1er décembre
1938, et il fut suivi d’un autre transport, de 500 petits Autrichiens, cette
fois. Plus tard, des trains partirent aussi de Tchécoslovaquie.
Partout, les parents accompagnèrent leurs petits à la gare, d’où ceux-ci
partirent presque non-accompagnés, les plus grands s’occupant des plus jeunes.
Ironiquement, les nazis avaient accepté ce départ, et le premier nombre annoncé
de 600 enfants, en se disant que les parents ne les laisseraient pas partir
seuls, et que jamais cela ne pourrait s’organiser aussi rapidement pour un
aussi grand nombre d’enfants. Ils eurent heureusement tort.
Ce qui est frappant, c’est de se rendre compte que des centaines de
familles anglaises, – pour la plupart non-juives –, répondirent immédiatement
présentes, sans se soucier des difficultés qu’allait présenter l’accueil
d’enfants traumatisés, ne parlant pas leur langue, séparés de leur famille, et
qui ne savaient ni s’ils reverraient un jour leurs parents, ni ce qu’ils
adviendrait d’eux.
Ces enfants entreprirent un long voyage, en passant par la Hollande, avec
l’appréhension que l’on devine. Il y en avait de tous les âges, des petits, des
plus grands avec, pour seul bagage une très petite valise – une étiquette en carton autour du cou…
Dès le 2 décembre 1938, soit à peine trois semaines après la Nuit de
Cristal, les Anglais, étaient prêts à les accueillir.
Après leur arrivée à
Harwich dans le comté de l’Essex, les enfants qui étaient parrainés étaient
envoyés à Londres (ou ailleurs) pour faire la connaissance de leur famille
d'accueil. Les autres étaient hébergés dans une colonie de vacances de
Dovercourt Bay ou dans d'autres centres jusqu'à ce que des familles acceptent
de les prendre en charge ou que des structures d'accueil en mesure de recevoir
des groupes d'enfants soient mises en place. Environ la moitié des enfants
furent placés dans des familles d'accueil, l'autre moitié séjournant dans des
auberges de jeunesse et des fermes sur l'ensemble du territoire britannique.
Bien sûr, il y eût des cas douloureux d’enfants mal accueillis (y compris
hélas, dans des familles juives orthodoxes, qui leur disaient que le manque de
religiosité des Juifs allemands était la cause de leur persécution), ou
exploités, ou maltraités,
Et en 1940, les autorités
britanniques firent interner, en tant qu'étrangers ennemis environ 1000 enfants
du Kindertransport sur l'Île de Man et dans d'autres camps d'internement
au Canada et en Australie. Malgré cette qualification d'étrangers ennemis, enemy aliens, certains des jeunes
garçons s'enrôlèrent plus tard dans l'armée britannique et combattirent contre
l'Allemagne.
Mais in fine ce qu’il faut
retenir de cette entreprise, c’est le nombre d’enfants qui furent ainsi sauvés
d’une mort certaine : DIX MILLE.
Photographie prise ici
L’un des enfants anglais dont les parents accueillirent ainsi deux jeunes
réfugiées juives, est le célèbre réalisateur du film Gandhi, Lord Richard Attenborough, qui nous a quittés récemment. Il
a témoigné de cette expérience humainement enrichissante dans un film
documentaire américain intitulé « Into
the Arms of Strangers » (traduit par Les chemins de la liberté) et également dans un excellent
documentaire britannique : The
Children who cheated the Nazis (Enfants
sauvés au nez et à la barbe des nazis).
Photo prise ici
Certains de ces enfants parvinrent à faire venir leurs parents, en leur
dénichant un emploi, de domestique par exemple. Ils firent souvent preuve d’une
maturité remarquable.
Après la guerre, de
nombreux enfants du programme de transport d'enfants devinrent citoyens
britanniques ou émigrèrent en Israël, aux Etats-Unis, au Canada ou en
Australie. 40% ces enfants ne revirent jamais un de leurs parents, exterminés
pendant la Shoah.
Récompense ultérieure non négligeable pour le monde, de ce sauvetage
miraculeux : Trois d’entre ces kinder
reçurent un Prix Nobel…
Photographie prise ici
1945. La guerre est finie, les camps sont libérés. Les
survivants sont regroupés, parmi eux il y a, et c’est étonnant, de jeunes
enfants. Ils sont orphelins, ils ont souvent perdu toute leur famille, nul ne
sait où les envoyer.
À nouveau l’Angleterre se mobilise.
De jeunes survivants quittent Prague pour Londres en 1945
Photographie prise ici
En 1945, donc, le droit fut donné à 1000 enfants
(tous orphelins, leurs parents ayant disparu dans la nuit des camps
d’extermination) d’immigrer en Grande-Bretagne. Certains avaient survécu à
Buchenwald et à une marche de la mort de plus de 200 kms. Ils n’avaient plus
aucun endroit où aller vivre, plus de famille – et, comme lors de l’épisode du Kindertransport,
la communauté juive anglaise, à l’initiative de Leonard Montefiore, se mobilisa
pour obtenir le droit d’accueillir et d’insérer ces enfants et adolescents si
mal en point et si perturbés par l’horreur à laquelle ils venaient de survivre.
Finalement, seuls 782 enfants, dont 80 filles, purent faire le voyage,
dont 300 furent envoyés à Windermere, une région choisie en raison de son
calme, et de sa sérénité.
Des convois de la RAF transportèrent donc ces
petits survivants vers le Lake District, la région natale de William
Wordsworth, où ils passèrent quelques mois – le temps de se refaire une santé
physique –, avant d’être placés auprès de familles d’accueil dans le reste du
pays, et en particulier dans la région de Manchester.
Cet endroit de rêve est demeuré dans leur mémoire
avec autant d’acuité qu’un poème appris à treize ans. Windermere les a sauvés
avec, naturellement la complicité de tous les êtres de bonne volonté (de fait,
des volontaires) qui les ont nourris (abondamment, malgré les restrictions de l'époque),
choyés et entourés. Dormir seul dans un vrai lit, enroulé dans des draps
propres, manger à satiété, respirer le bon air… et jouer : pour eux
c’était le paradis. Ils n’y croyaient pas : certains cachaient le soir du
pain sous leur matelas, de peur que le petit déjeuner ne revienne pas…
En effet, la seule ombre au tableau – mais de
taille – était la marque horrible des souffrances physiques et morales subies,
et la perte de leur famille. L’un d’entre eux avait perdu 81 membres de sa
famille ! Parfois des retrouvailles inattendues se produisaient, mais
elles étaient rares, trop rares.
Ces survivants témoignent encore chaque fois
qu’on le leur demande. Ils sont également des exemples de résilience :
l’un d’entre eux, Ben Helfgott, devint champion de poids et haltères. Leurs
enfants, devenus comme eux britanniques, se sont insérés avec succès dans la
société qui les a jadis sauvés.
Alors oui, remercions les Justes parmi les Nations,
mais dans ce cas, n’oublions pas non plus de continuer à témoigner une immense
gratitude à tout un pays qui, du jour au lendemain, sut prendre la décision
capitale qui sauva une dizaine de milliers d’innocents, pour ensuite en
intégrer des centaines d’autres à la fin de la guerre, afin qu’ils deviennent
des hommes et des femmes libres.
Ces notes ont été initialement publiées dans le blog de Cathie Fidler
Mise en page et recherche iconographique: JL+L
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