La rencontre avec le public
de Passerelles à Nice
Jacqueline Parienté accueille Beate et Serge Klarsfeld à Passerelles.
©Michèle Merowka
À Nice, ce 30 septembre
2015, la salle de réunion du FSJU est bondée. Jacqueline Parienté,
responsable locale de Passerelles* a œuvré pour faire venir Beate et Serge
Klarsfeld. Chacun sait que cette rencontre sera riche d’enseignements et
d’émotions. Cette date n’a pas été choisie au hasard, c’est la date
anniversaire de l’arrestation du père de Serge Klarsfeld, Arno, le 30 septembre
1943 à Nice. Il est mort le 28 octobre 1943 à
Auschwitz après avoir assommé le Kapo qui l’avait frappé. Une plaque figure au-dessus de la porte d’entrée du 15 de la rue d’Italie où habitait
la famille Klarsfeld. Beate, Serge et sa sœur, Tania, se rendent à Nice chaque
année pour honorer la mémoire d’Arno.
©JL+L
Depuis le 9 octobre 2009, et en grande partie grâce aux Klarsfeld, une stèle rappelle le rôle de l'hôtel Excelsior durant l'occupation allemande. Il était le siège du commissariat à la question juive et servait de camp d'internement pour les Juifs avant leur départ pour Drancy et Auschwitz.
©JL +L
Beate et Serge arrivent et
s’installent pour répondre aux questions de Jacqueline Parienté à propos de
leurs « Mémoires» à quatre mains, Mémoires,
publiés cette année par Fayard Flammarion. Il est prévu de donner la parole au
public à la fin de l’entretien.
Leur arrivée est saluée par
des applaudissements. C’est un couple de légende, on connaît leur parcours, ils
font partie de notre histoire. À les voir, si proches, à portée d’une poignée
de main, on est d’emblée sous le coup d’un sentiment proche de la vénération.
Ils sont ensemble, leurs deux voix se conjuguent, se font écho. La voix de
Serge est claire, forte et mélodieuse ; celle de Beate, où l’on reconnaît quelques
traces d’accent allemand, est vibrante d’une énergie intacte. Il sait tout, il
se souvient de tout ; elle l’écoute, intervient à point nommé. Ils sont
d’une complicité touchante, souvent teintée d’humour.
©JL+L
Ils parlent de leurs
combats, des risques qu’ils ont pris, des menaces qu’ils ont subies, de la peur
qu’ils ont éprouvée dans leur chair et pour leur famille. Ils évoquent les
moments phares de leur action. L’assistance prend conscience de l’immense
travail accompli par ces deux être farouchement déterminés à ce que justice
soit faite au nom de la mémoire des disparus. Ils parlent de leur isolement au
début de leur action, ils insistent sur l’importance du discours de Jacques
Chirac en 1995. Ils appellent à la vigilance en ces temps si douloureux où le
discours des démagogues trouve un écho si inquiétant.
Quelques questions sont
venues clore cet entretien. Ont été évoquées la frilosité des organisations
juives au lendemain de la guerre, la
croyance en Dieu, la prochaine inauguration du mémorial du camp de Rivesaltes,
la traque de Mengele, l’inquiétude des Juifs de France et l’utilité du tourisme
mémoriel.
Le 30 au soir, Beate, Tania et Serge Klarsfeld étaient invités sous la Souccah pour un repas organisé par le B'nai B'rith Albert Einstein. De gauche à droite: Maurice Niddam, Beate Klarsfeld, Tania Klarsfeld, Serge Klarsfeld et Gérald Levy.
© Féodor Merowka
Les Mémoires de Beate et Serge Klarsfeld
Le titre est évocateur. Il
s’agit bien du récit de leurs actions respectives, un récit inscrit dans l’Histoire
où se glissent quelques considérations d’ordre personnel. Par ailleurs, leur
combat, c’est celui de la sauvegarde de la mémoire, subtil jeu sémantique…
C’est un épais volume de 687
pages, la somme d’une vie à deux. Au fil des chapitres, les voix se répondent, éclairent
tel ou tel aspect de leur action, expliquent leurs motivations. Ils ne jouent
pas aux héros et pourtant ils sont héroïques. Jamais ils ne baissent les bras
en dépit des difficultés et des menaces. Ils parcourent le monde, ils brandissent
des banderoles, ils connaissent la prison, ils se heurtent à l’indifférence, à
la mauvaise foi, ils traquent sans relâche les anciens criminels, ils
accumulent les preuves et constituent des dossiers qu’ils communiquent à la
presse. Vengeance et justice guident leur bras, mais ils ont toujours le souci de
faire émerger la vérité. Travailleur acharné, Serge se fait historien, devient
avocat et soutient une thèse de doctorat d‘État ; Beate sillonne le monde,
prend des risques incroyables et lorsqu’elle revient auprès des siens, elle
s’occupe de sa maison et de sa famille comme si de rien n’était. On ne peut pas
lire ce livre par petits bouts, on y plonge et on ne le lâche plus. C’est une
lecture exaltante, une leçon de vie, un modèle de courage. Lire ce livre, en
absorber l’immense richesse, c’est un impérieux devoir.
Chronologie :
1935 : Naissance de
Serge Klarsfeld à Bucarest, Roumanie.
1939 : Naissance de Beate
Klarsfeld, née Beate Auguste Künzel à Berlin, Allemagne.
1943 : Arrestation
d’Arno Klarsfeld, le père de Serge, à
Nice. Arno meurt à Auschwitz. Son épouse, Raïssa, Serge et sa sœur, Tania,
échappent à la Gestapo.
1960 : Beate rencontre
Serge.
1963 : Serge et Beate
se marient.
1965 : Naissance
d’Arno.
1968 : Beate gifle le
chancelier de l’Allemagne fédérale, Kurt Georg Kiesinger.
1971 : Beate retrouve
la trace de Kurt Lischka.
1971 : Reprise de
l’instruction ouverte en 1960 à l’encontre de Klaus Barbie.
1973 : Naissance de
Lida-Myriam.
1978 : Publication du Mémorial de la déportation des Juifs de
France.
1979 : Serge crée
l’association Les fils et filles des
déportés juifs de France.
1980 : Lischka est
condamné à 10 ans de prison au procès de Cologne. Herbert Hagen et Ernst
Heinrichsohn sont également condamnés.
1983 : Expulsion de
Barbie vers la France.
1983 : Maurice Papon
est inculpé de crimes contre l’humanité.
1986 : Le New York Times révèle le passé nazi de
Kurt Waldheim, secrétaire général de l’ONU.
1987 : Début du procès
de Barbie. Barbie est condamné à la prison à perpétuité.
1991 : Mort de Klaus
Barbie.
1991 : René Bousquet
est inculpé de crimes contre l’humanité. Il meurt assassiné.
1994 : Paul Touvier est
condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
1995 : Discours de
Jacques Chirac, Président de la République, sur la responsabilité de la France
dans le sort des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale.
1998 : Maurice Papon
est condamné à 10 ans de réclusion criminelle.
2014 : Serge est promu Grand-Officier
de la Légion d’honneur, Beate est promue Commandeur de la Légion d’honneur.
2015 : Beate et Serge
sont décorés de l’Ordre du Mérite de la République Fédérale d’Allemagne.
2015 : Publication de Mémoires.
Citations
La rencontre entre Serge et
Beate
Un jour de mai, comme à
l’accoutumée, j’attends le métro à 13h 15 à la station Porte-de-Saint-Cloud,
placée là où s’arrête la tête de rame en prévision de la correspondance à
Michel-Ange-Molitor. Je sens sur moi un regard insistant. Je lève les
yeux : un jeune homme aux cheveux noirs en complet prince-de-galles, un
porte-documents à la main, me demande : « Êtes-vous
Anglaise ? »
Beate
La gifle
Au moment d’arriver vers
Kiesinger, il sent une présence et se retourne légèrement. Soudainement, mes
nerfs se détendent. J’ai gagné. Criant de toutes mes forces « Nazi !
Nazi ! », je le gifle à la volée sans même voir l’expression de son
visage.
Beate
Le couple
Je quitte Serge à Orly.
Tandis que je m’éloigne, nous nous regardons intensément. Je crois que les
couples qui vivent délibérément avec un idéal et dans un climat de danger ont
beaucoup plus de chances que les autres de voir leur amour croître avec le
temps. Ce n’est pas se laisser vivre, c’est vivre vraiment ensemble.
Beate
Le Mémorial de la déportation des Juifs de France
Le Mémorial de Serge Klarsfeld fait sortir de la nuit et de la nuée,
en les appelant par leur nom, les innombrables fantômes anonymes annihilés par
leurs bourreaux. Nommer ces ombres pâles, c’est déjà les convoquer à la lumière
du jour…
Vladimir Jankélévitch à
propos du Mémorial de la déportation des
Juifs de France publié en 1978
Barbie
De 1983 à 1987, les quatre
années qui nous séparent du procès Barbie sont en partie consacrées à la
préparation de ce procès : Barbie est coupable de beaucoup de massacres et
d’exécutions sommaires pour lesquels il ne pourra être jugé parce qu’il l’a
déjà été par contumace en 1954. Il ne sera jugé en principe que sur trois faits
qui relèvent du sort des Juifs : la rafle de la rue Sainte-Catherine le 9
février 1943, le rapt des enfants d’Izieu le 6 avril 1944 et le convoi du 11
août 1944.
Serge
Les ressacs de la mémoire
nationale
À chaque fois, l’historien a
enquêté, fouillé les archives, constitué des dossiers. À chaque fois, l’avocat
s’est porté partie civile. À chaque
fois, son action est révélation d’un passé caché et inédit pour l’opinion.
Serge Klarsfeld agit au nom de la mission qu’il s’est donnée, selon la
stratégie qu’il s’est fixée. Il voulait que soient tout d’abord punis les
responsables allemands, dont l’intention criminelle était patente. Ensuite,
seulement, il s’attaqua aux responsabilités françaises par souci de cohérence
et de pédagogie. Le travail d’un seul, parfois, peut éveiller ou réveiller la
mémoire de tous.
Laurent Greilsamer dans Le Monde du 9 février 1997.
Une victime, plus une
victime…
La Shoah ne doit pas
représenter seulement des millions de victimes, mais une victime, plus une
victime, plus une victime, afin que soient restitués à chacune d’entre elles
son état civil, son itinéraire, sa dignité ; qu’elles soient extraites de
l’oubli et de l’anonymat pour que, d’objets de l’histoire, ces noms
redeviennent des sujet de l’histoire.
Serge
* PASSERELLES est le service d'écoute et d'aide aux survivants de la Shoah et à leurs descendants, ainsi qu'aux "enfants cachés".
~~~~~
Texte et mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire