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mercredi 14 octobre 2015

BEATE ET SERGE KLARSFELD, UNE LEÇON DE VIE, UN MODÈLE DE COURAGE




La rencontre avec le public de Passerelles à Nice

Jacqueline Parienté accueille Beate et Serge Klarsfeld à Passerelles.
©Michèle Merowka


À Nice, ce 30 septembre 2015, la salle de réunion du FSJU est bondée. Jacqueline Parienté, responsable locale de Passerelles* a œuvré pour faire venir Beate et Serge Klarsfeld. Chacun sait que cette rencontre sera riche d’enseignements et d’émotions. Cette date n’a pas été choisie au hasard, c’est la date anniversaire de l’arrestation du père de Serge Klarsfeld, Arno, le 30 septembre 1943 à Nice. Il est mort  le 28 octobre 1943 à Auschwitz après avoir assommé le Kapo qui l’avait frappé. Une plaque figure au-dessus de la porte d’entrée du 15 de la rue d’Italie où habitait la famille Klarsfeld. Beate, Serge et sa sœur, Tania, se rendent à Nice chaque année pour honorer la mémoire d’Arno.

©JL+L

Depuis le 9 octobre 2009, et en grande partie grâce aux Klarsfeld, une stèle rappelle le rôle de l'hôtel Excelsior durant l'occupation allemande. Il était le siège du commissariat à la question juive et servait de camp d'internement pour les Juifs avant leur départ pour Drancy et Auschwitz. 


©JL +L


Beate et Serge arrivent et s’installent pour répondre aux questions de Jacqueline Parienté à propos de leurs « Mémoires» à quatre mains, Mémoires, publiés cette année par Fayard Flammarion. Il est prévu de donner la parole au public à la fin de l’entretien.
Leur arrivée est saluée par des applaudissements. C’est un couple de légende, on connaît leur parcours, ils font partie de notre histoire. À les voir, si proches, à portée d’une poignée de main, on est d’emblée sous le coup d’un sentiment proche de la vénération. Ils sont ensemble, leurs deux voix se conjuguent, se font écho. La voix de Serge est claire, forte et mélodieuse ; celle de Beate, où l’on reconnaît quelques traces d’accent allemand, est vibrante d’une énergie intacte. Il sait tout, il se souvient de tout ; elle l’écoute, intervient à point nommé. Ils sont d’une complicité touchante, souvent teintée d’humour.

©JL+L

Ils parlent de leurs combats, des risques qu’ils ont pris, des menaces qu’ils ont subies, de la peur qu’ils ont éprouvée dans leur chair et pour leur famille. Ils évoquent les moments phares de leur action. L’assistance prend conscience de l’immense travail accompli par ces deux être farouchement déterminés à ce que justice soit faite au nom de la mémoire des disparus. Ils parlent de leur isolement au début de leur action, ils insistent sur l’importance du discours de Jacques Chirac en 1995. Ils appellent à la vigilance en ces temps si douloureux où le discours des démagogues trouve un écho si inquiétant.
Quelques questions sont venues clore cet entretien. Ont été évoquées la frilosité des organisations juives au lendemain de la guerre, la croyance en Dieu, la prochaine inauguration du mémorial du camp de Rivesaltes, la traque de Mengele, l’inquiétude des Juifs de France et l’utilité du tourisme mémoriel.


Le 30 au soir, Beate, Tania et Serge Klarsfeld étaient invités sous la Souccah pour un repas organisé par le B'nai B'rith Albert Einstein. De gauche à droite: Maurice Niddam, Beate Klarsfeld, Tania Klarsfeld, Serge Klarsfeld et Gérald Levy. 
© Féodor Merowka


Les Mémoires de Beate et Serge Klarsfeld



Le titre est évocateur. Il s’agit bien du récit de leurs actions respectives, un récit inscrit dans l’Histoire où se glissent quelques considérations d’ordre personnel. Par ailleurs, leur combat, c’est celui de la sauvegarde de la mémoire, subtil jeu sémantique…

C’est un épais volume de 687 pages, la somme d’une vie à deux. Au fil des chapitres, les voix se répondent, éclairent tel ou tel aspect de leur action, expliquent leurs motivations. Ils ne jouent pas aux héros et pourtant ils sont héroïques. Jamais ils ne baissent les bras en dépit des difficultés et des menaces. Ils parcourent le monde, ils brandissent des banderoles, ils connaissent la prison, ils se heurtent à l’indifférence, à la mauvaise foi, ils traquent sans relâche les anciens criminels, ils accumulent les preuves et constituent des dossiers qu’ils communiquent à la presse. Vengeance et justice guident leur bras, mais ils ont toujours le souci de faire émerger la vérité. Travailleur acharné, Serge se fait historien, devient avocat et soutient une thèse de doctorat d‘État ; Beate sillonne le monde, prend des risques incroyables et lorsqu’elle revient auprès des siens, elle s’occupe de sa maison et de sa famille comme si de rien n’était. On ne peut pas lire ce livre par petits bouts, on y plonge et on ne le lâche plus. C’est une lecture exaltante, une leçon de vie, un modèle de courage. Lire ce livre, en absorber l’immense richesse, c’est un impérieux devoir.

Chronologie :

1935 : Naissance de Serge Klarsfeld à Bucarest, Roumanie.
1939 : Naissance de Beate Klarsfeld, née Beate Auguste Künzel à Berlin, Allemagne.
1943 : Arrestation d’Arno Klarsfeld, le père de Serge,  à Nice. Arno meurt à Auschwitz. Son épouse, Raïssa, Serge et sa sœur, Tania, échappent à la Gestapo.
1960 : Beate rencontre Serge.
1963 : Serge et Beate se marient.
1965 : Naissance d’Arno.
1968 : Beate gifle le chancelier de l’Allemagne fédérale, Kurt Georg Kiesinger.
1971 : Beate retrouve la trace de Kurt Lischka.
1971 : Reprise de l’instruction ouverte en 1960 à l’encontre de Klaus Barbie.
1973 : Naissance de Lida-Myriam.
1978 : Publication du Mémorial de la déportation des Juifs de France.
1979 : Serge crée l’association Les fils et filles des déportés juifs de France.
1980 : Lischka est condamné à 10 ans de prison au procès de Cologne. Herbert Hagen et Ernst Heinrichsohn sont également condamnés.
1983 : Expulsion de Barbie vers la France.
1983 : Maurice Papon est inculpé de crimes contre l’humanité.
1986 : Le New York Times révèle le passé nazi de Kurt Waldheim, secrétaire général de l’ONU.
1987 : Début du procès de Barbie. Barbie est condamné à la prison à perpétuité.
1991 : Mort de Klaus Barbie.
1991 : René Bousquet est inculpé de crimes contre l’humanité. Il meurt assassiné.
1994 : Paul Touvier est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité.
1995 : Discours de Jacques Chirac, Président de la République, sur la responsabilité de la France dans le sort des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale.
1998 : Maurice Papon est condamné à 10 ans de réclusion criminelle.
2014 : Serge est promu Grand-Officier de la Légion d’honneur, Beate est promue Commandeur de la Légion d’honneur.
2015 : Beate et Serge sont décorés de l’Ordre du Mérite de la République Fédérale d’Allemagne.
2015 : Publication de Mémoires.


Citations

La rencontre entre Serge et Beate

Un jour de mai, comme à l’accoutumée, j’attends le métro à 13h 15 à la station Porte-de-Saint-Cloud, placée là où s’arrête la tête de rame en prévision de la correspondance à Michel-Ange-Molitor. Je sens sur moi un regard insistant. Je lève les yeux : un jeune homme aux cheveux noirs en complet prince-de-galles, un porte-documents à la main, me demande : « Êtes-vous Anglaise ? »
Beate

La gifle

Au moment d’arriver vers Kiesinger, il sent une présence et se retourne légèrement. Soudainement, mes nerfs se détendent. J’ai gagné. Criant de toutes mes forces « Nazi ! Nazi ! », je le gifle à la volée sans même voir l’expression de son visage.
Beate

Le couple

Je quitte Serge à Orly. Tandis que je m’éloigne, nous nous regardons intensément. Je crois que les couples qui vivent délibérément avec un idéal et dans un climat de danger ont beaucoup plus de chances que les autres de voir leur amour croître avec le temps. Ce n’est pas se laisser vivre, c’est vivre vraiment ensemble.
Beate

Le Mémorial de la déportation des Juifs de France

Le Mémorial de Serge Klarsfeld fait sortir de la nuit et de la nuée, en les appelant par leur nom, les innombrables fantômes anonymes annihilés par leurs bourreaux. Nommer ces ombres pâles, c’est déjà les convoquer à la lumière du jour…
Vladimir Jankélévitch à propos du Mémorial de la déportation des Juifs de France publié en 1978

Barbie

De 1983 à 1987, les quatre années qui nous séparent du procès Barbie sont en partie consacrées à la préparation de ce procès : Barbie est coupable de beaucoup de massacres et d’exécutions sommaires pour lesquels il ne pourra être jugé parce qu’il l’a déjà été par contumace en 1954. Il ne sera jugé en principe que sur trois faits qui relèvent du sort des Juifs : la rafle de la rue Sainte-Catherine le 9 février 1943, le rapt des enfants d’Izieu le 6 avril 1944 et le convoi du 11 août 1944.
Serge

Les ressacs de la mémoire nationale

À chaque fois, l’historien a enquêté, fouillé les archives, constitué des dossiers. À chaque fois, l’avocat s’est porté  partie civile. À chaque fois, son action est révélation d’un passé caché et inédit pour l’opinion. Serge Klarsfeld agit au nom de la mission qu’il s’est donnée, selon la stratégie qu’il s’est fixée. Il voulait que soient tout d’abord punis les responsables allemands, dont l’intention criminelle était patente. Ensuite, seulement, il s’attaqua aux responsabilités françaises par souci de cohérence et de pédagogie. Le travail d’un seul, parfois, peut éveiller ou réveiller la mémoire de tous.
Laurent Greilsamer dans Le Monde du 9 février 1997.

Une victime, plus une victime…

La Shoah ne doit pas représenter seulement des millions de victimes, mais une victime, plus une victime, plus une victime, afin que soient restitués à chacune d’entre elles son état civil, son itinéraire, sa dignité ; qu’elles soient extraites de l’oubli et de l’anonymat pour que, d’objets de l’histoire, ces noms redeviennent des sujet de l’histoire.
Serge



PASSERELLES est le service d'écoute et d'aide aux survivants de la Shoah et à leurs descendants, ainsi qu'aux "enfants cachés". 


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Texte et mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky











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