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© M. Hédelin/ région Languedoc-Roussillon/ février 2015
Ce billet de blog est consacré au camp de Rivesaltes
et évoque également le camp de Gurs. Lors de notre émission, les invités du
jour étaient, Daniel Wancier, président de Yad Vashem, Nice-Côte d’Azur et
Cathie Fidler, écrivain.
Daniel Wancier est l’un des rares témoins de ce que
fut le camp de Rivesaltes puisqu’il y fut interné avec sa mère et sa sœur.
Rivesaltes se situe dans le département des
Pyrénées-Orientales en région Languedoc-Roussillon. C’est un lieu surtout connu
pour son vignoble. Il couvre d’ailleurs la plus grande partie du Roussillon
viticole et s’étend jusqu’aux corbières dans l’Aude.
Mais Rivesaltes, ce n’est pas qu’une histoire de vin
doux, c’est là que fut construit le camp Joffre, communément appelé le camp de
Rivesaltes. Ce camp a un lourd passé, longtemps occulté, effacé de la mémoire
collective.
700 hectares, une dizaine d’îlots, 150 baraques…
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© Olivier Amsellem
Ce devait être à l’origine un camp militaire. Sa vocation évolua au fil des aléas de
l’Histoire. Dès 1939, il servit de centre d’hébergement pour les Républicains
espagnols et puis on y « accueillit » les Juifs étrangers et les
Tsiganes. Le 21 août 1942, le camp devint le « Centre inter-régional de
rassemblement des Israélites ». Entre août et octobre 1942, 2313 hommes,
femmes et enfants furent déportés de Rivesaltes en direction d’Auschwitz via
Drancy. En novembre 1942, le centre d’internement fut fermé et le camp fut
occupé par l’armée allemande. Après la libération du camp en août 1944, le camp
servit de lieu d’internement pour des collaborateurs et autres profiteurs. De
1945 à 1948, le camp devint un centre d’internement pour les combattants
ennemis (allemands, autrichiens et italiens). Le dépôt fut dissout en 1948. Il
devint à nouveau opérationnel à partir de 1954 et servit de centre de formation
militaire. De janvier à mai 1962, il fut à nouveau utilisé comme centre
pénitentiaire et on y envoya en majorité des combattants du FNL (Front de
Libération Nationale). À partir de septembre 1962, le camp de Rivesaltes hébergea
les « Harkis » et leurs familles dans des conditions extrêmement
difficiles en raison de la précarité des installations. Le camp de transit de
Rivesaltes fut fermé officiellement en décembre 1964.
Mon père a été arrêté le 14 mai 1941 par ce qu’on
appelait le « billet vert ». La plupart des Juifs étrangers se sont
engagés comme volontaires pour la durée de la guerre. D’abord par conviction et
ensuite parce qu’ils voulaient absolument devenir Français. Après l’Armistice,
ils ont été libérés. Quelques mois après, mon père reçoit, comme d’autres, un
billet vert qui lui indique qu’il lui faut se présenter au commissariat de
police pour affaire le concernant. Presque tous étaient persuadés que c’était
pour avoir des papiers français en vue de leur naturalisation. Ils s’y rendent
et immédiatement ils sont arrêtés et conduits à Beaune-la-Rolande et à
Pithiviers. Ils resteront là 10 mois et le 17 juillet 1942, ils partent pour
Auschwitz. (…) Nous, pendant ce temps-là, ma mère, ma sœur et moi, on est
arrêtés le 16 juillet 1942 à la rafle du Vel’ d’Hiv’. À 6 heures du matin, on
nous met dans des autobus. Ma mère comprend que ce n’est pas « très bon
pour la santé » quand on commence à arrêter les enfants. Il n’y avait que
des gendarmes et des policiers – aucun Allemand. Donc, on est arrêtés, on est
dans l’autobus, ma mère dit au policier qui nous gardait : « j’ai
encore des paquets à prendre ». Le policier l’autorise à les chercher. Et
elle y va accompagnée de ses enfants. On
ne revient pas, on reste cachés dans une cave. On attend quelques heures que le
bus parte. Ensuite on va dans le métro parce que la nuit il n’y avait pas de
rafles dans le métro. On reste une dizaine de jours. Ma mère rencontre
quelqu’un qu’elle connaît qui lui dit qu’il peut la faire passer en zone libre.
Elle donne une bague à un passeur qui doit nous faire franchir la Saône. Manque
de chance, le passeur nous avait vendus et la milice nous attendait de l’autre
côté. Et de là, on est conduits à Rivesaltes.
Souvenirs de Rivesaltes
On y arrive le 1er août 1942. Là, les
enfants sont dans une baraque séparée des parents. Ma mère, on lui fait faire
la cuisine, peler les pommes de terre, préparer quelque chose. On a très peu à
manger. Les conditions sont très difficiles. Il y a beaucoup de monde, on est
gardés par des chiens et par des gendarmes. Moi, j’ai la chance d’être avec ma
sœur qui me donne un peu à manger. Et ma mère, qui a survécu aussi, nous a
toujours dit : « souffrir soi-même, c’est dur, mais voir souffrir ses
enfants devant soi, c’est ce qu’il y a de plus dur au monde. » On avait
faim, on avait des maladies, de l’impétigo, des poux, etc. Une sœur de mon père
habitait dans la région de Toulouse. Elle a su qu’on était là. Elle a soudoyé
un paysan qui livrait des pommes de terre dans le camp pour nous faire partir
ma sœur et moi. Ma mère a dit à ma sœur : « tu t’occuperas de ton
petit frère. » J’avais 4 ans, ma sœur, 8 ans. Malheureusement, dès notre
sortie du camp, on a été séparés et pris en charge par l’O.S.E.
Ce qui me reste de Rivesaltes, jusqu’à un âge très
avancé, j’ai eu peur des chiens et j’ai eu peur des uniformes (…) après la
guerre, j’ai été malade pendant longtemps.
Retours à Rivesaltes
J’y étais déjà allé avec ma sœur et nos enfants en
1993 parce que Serge Klarsfeld y avait fait apposer une stèle. Cette stèle a
été vandalisée par la suite. À cette époque, on parlait d’un mémorial, mais
cela ne venait pas.
Je suis très content que ce mémorial existe
désormais. Il y a encore des baraques du camp. On peut montrer à nos enfants,
nos petits enfants où on est passés et ce qui s’est passé. Le bâtiment est à
moitié enfoncé et presque enfoncé complètement. On peut dire que c’est une
immense tombe. Mais il faut faire très attention à ne pas tout mélanger.
Certes, des Espagnols ont été arrêtés, des Harkis ont été arrêtés, des
Tziganes, des Gitans, mais seuls les Juifs ont été déportés vers Auschwitz. Les
trains qui sont partis étaient composés à 99% uniquement de Juifs.
Donc, c’est un outil pédagogique et c’est ce qui est
important puisqu’il y aura des collégiens et des lycéens qui viendront.
Un moment fort
Nous étions 6 juifs à être passés par là dont deux
femmes qui sont venues d’Israël avec qui on a pu parler en yiddish et on s’est
étreints comme du bon pain. Il y avait Manuel Valls, Premier ministre, Najat
Vallaud-Belkacem, Ministre de l’Éducation nationale, Jean-Marc Todeschini,
Secrétaire d’État chargé des Anciens Combattants et de la Mémoire et Ségolène
Neuville, Secrétaire d’État chargée des Personnes handicapées et de la Lutte
contre l’exclusion. Les quatre ministres, dont le Premier ministre, ont tenu à
passer une heure uniquement avec les témoins. Cela s’est passé dans un petit
auditorium et ils ont demandé à tous les journalistes de sortir et cela été,
pour nous, le moment le plus fort. On a pu converser, dire les choses. Et
ensuite, il y a eu la cérémonie officielle. Les discours ont été très, très
intéressants, mais pour nous, ce qui nous a marqués, c’est ce moment où nous
avons pu avoir des contacts directs et sans les médias. Les quatre ministres
ont pris le temps de parler et ils ont insisté sur l’importance de la
pédagogie. On a expliqué au Premier ministre, ce que l’on faisait et moi j’ai
dit que je me rendais souvent dans les collèges et dans les lycées et il m’a
encouragé à continuer. La présence de la ministre de l’Éducation Nationale
était également essentielle.
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Les Juifs de Bade, Cathie Fidler raconte…
Le lien avec Rivesaltes, c’est que à Rivesaltes il y
a des traces des baraques, mais à Gurs il n’y a plus rien et pendant longtemps,
ce n’était qu’une forêt, des bois laissés à l’abandon. Un mémorial national y a
été construit en 1994. Deux grandes dalles portent des inscriptions
commémoratives. Je voudrais parler aujourd’hui de ce camp de Gurs qui a vu
arriver d’abord l’internement des femmes allemandes en France, juives et non
juives, qui heureusement n’y sont passées qu’un printemps et qui ont été relâchées
à partir de juin 1940.* Mais du 22 au 25
octobre 1940, 6538 Juifs déportés de Bade y ont été acheminés et c’est la seule
déportation qui eut lieu vers l’ouest, chapeautée par Eichmann qui était à l'origine de l'idée et qui s’est appelée, l’opération Bürckel, du nom du "Gauleiter" de Lorraine-Sarre-Palatinat.
Ils sont arrivés à Gurs dans des conditions qu’on imagine. Lors d’un voyage
récent à Mannheim, j’ai vu devant la gare un panneau mémoriel qui indiquait la
distance entre Mannheim et Gurs (1349 km). Gurs est près d’Oloron-Sainte-Marie
et j’en parle aujourd’hui parce que j’ai cité les dates entre le 22 et le 25
octobre 1940, nous sommes donc dans une période d'anniversaire, et aussi pour évoquer mon histoire personnelle. Mon
arrière-grand-mère a été déportée à Gurs avec ces plus de six mille Juifs et ensuite elle a été transférée de Gurs à Rivesaltes en mars 1941 – elle y est décédée en juin 1941, à l’âge de 83 ans. Donc, évidemment, ces
deux camps étaient liés et de nombreux Juifs ont été transférés d’un camp à
l’autre, l’autre étant, comme l’a dit, Daniel, l’antichambre de Drancy. C’est un fait qui n’est pas très connu du grand public, et c’est la raison pour
laquelle je souhaite que ces mémoriaux servent de point de départ à des
recherches encore plus poussées par les familles, et qu’ils permettent un
travail pédagogique approfondi à partir
de maintenant, grâce à celui de Rivesaltes.
* Les
archives du Camp de Gurs, concernant la période de mars à juillet 1940 ont
toutes été détruites lors de la signature de l’Armistice par le directeur du
camp, le commandant Davergne (futur résistant) qui craignait qu’elles ne
nuisent gravement aux internées si les informations qu’elles contenaient
tombaient entre les mains des nouveaux occupants. Pour plus de détails sur le
Camp de Gurs, cliquer ici. Ce site rénové est extrêmement détaillé.
Le Mémorial de Rivesaltes
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© M. Hédelin/ région Languedoc-Roussillon/ février 2015
En 1978, Serge Klarsfeld publie la liste des déportés
juifs et des Juifs décédés du camp de Rivesaltes.
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Le projet du mémorial a été initié dès 1998 par le
Conseil Général des Pyrénées-Orientales. Il a été repris par la Région
Languedoc-Roussillon à partir de janvier 2012. Cette région est la première
région de France à porter un projet mémoriel. Ce lieu a une dimension
régionale, nationale et internationale.
Une vocation éducative et culturelle
Espace d’histoire et de
mémoire à vocation éducative et culturelle, le Mémorial a pour missions :
- la recherche historique,
la restitution et le partage de cette connaissance avec les publics, sous forme
d’expositions temporaires, de publications, de colloques, de conférences, etc.
- un travail pédagogique
et éducatif afin de diffuser la connaissance et de susciter un questionnement
sur les thématiques présentées et la relation entre histoire et mémoire :
visites guidées, ateliers, documents pédagogiques, etc.
- une approche sensible et
différente grâce à l’art et à la culture qui permettent d’interroger l’histoire
et la mémoire : expositions, résidences d’artistes, concerts, projections
de films, etc.
Deux parcours de visite
sont proposés : l’un à l’intérieur du Mémorial, l’autre en plein air, au
milieu des baraques reconstituées telle qu’elles étaient en 1940 et des
vestiges du camp laissés en l’état.
En liant histoire et
mémoire, témoignages et archives historiques, l’objectif du parcours de visite
est de reconstituer l’histoire du lieu et des populations qui y ont été
internées, d’expliquer les causes et les mécanismes de leur enfermement et de
témoigner de leurs conditions de vie et de leurs destins.
Source, Fondation pour la
Mémoire de la Shoah, cliquez ici
Comment
maintenir la mémoire des drames du passé ? Comment sauver les vestiges,
les marques, les traces, les empreintes visibles de ce passé que le temps ne
cesser d’éroder ? Comment rendre visible ce qui est devenu
invisible ? Le défi est immense pour l’architecte qui se fait bâtisseur de
la Mémoire. Il n’est pas question pour lui (ou elle) de restaurer, rénover,
réhabiliter. Il lui faut construire un édifice qui suscite la méditation, le
recueillement. Mais pour nourrir cette méditation, il convient d’informer, de
révéler, d’inscrire le passé dans le présent afin que le visiteur puisse s’imprégner
de cette expérience. L’esthétique du lieu joue un rôle essentiel et complexe.
L’édifice impose sa monumentale présence et pourtant il doit s’effacer car sa
fonction première est de convoquer les ombres du passé.
L’architecte,
Rudy Ricciotti, s’exprime à propos du mémorial qu’il a conçu :
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© AFP Boris Horvat
C’est un
lieu désertique, battu par les vents. Un lieu qui n’existe pas à quelques
centaines de mètres et que l’on découvre au dernier moment. J’ai été frappé par
sa solitude, bien qu’il y ait quelques tracés de voiries quand on arrive sur
place, et notamment dans l’îlot F (où est implanté le mémorial). Je l’ai
survolé en avion, et l’on voit très bien tout le carré du camp Joffre. On voit
les îlots, on voit que c’est à l’autre bout d’un pays. Et pourtant, quand on le
parcourt, c’est une terre invisible, qui disparaît dans le paysage. C’est
gigantesque. C’est ce qui m’a frappé. Il s’est passé des choses là, sourdes,
des choses muettes.
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© M. Hédelin/ région Languedoc-Roussillon/ février 2015
À cette
époque-là, l’armée allemande n’occupait pas encore la région sud. Rivesaltes
est le fruit de la collaboration exemplaire entre la préfecture, la gendarmerie
et la SNCF, trois grands services de l’État. C’est bouleversant. La dimension
que j’évoque à propos de Rivesaltes, c’est l’isolement et la surdité appliqués
à un système. De la même manière que le site disparaît dans le paysage, la
mémoire administrative française a effacé ses propres responsabilités exercées
à 100 % dans « l’excellence ».
Image empruntée ici
© AFP Éric Cabanis
…
J’ai choisi d’affronter la violence cachée de ce lieu. Le bâtiment est un monolithe
de béton de 210 mètres de long, construit sur le seul endroit où rien
n’avait été construit : la place d’armes, là où était le pouvoir.
Rivesaltes était un camp militaire avant d’être un camp d’internement. Le point
le plus haut du bâtiment correspond au point le plus haut des baraquements. (…)
Le
bâtiment est la rencontre, l’incarnation de la rencontre que les Français,
aujourd’hui, n’ont pu faire avec la réalité de l’histoire de ce lieu, celle des
Français avec l’histoire du camp.
Ce
monolithe est enfoui dans le sol, comme une mémoire enfouie. Il émerge à peine.
C’est une expérience lorsqu’on entre dedans. Ça n’est pas comme quand on entre
dans un bâtiment du XIXe siècle. On y entre par un parcours souterrain.
Derrière sa violence apparente, le lieu en réalité, dégage une tendresse. Il suscite
énormément d’empathie.
Source : Le Monde en date du 25
septembre 2015, propos recueillis par Jean-Jacques Larrochelle.
Vous
pouvez découvrir le récit de la déportation du père de Daniel, Berek Wancier,
dans l’ouvrage suivant : Convoi n°6,
Le cherche midi, 2005, pp 268-282.
Textes, entretiens et mise en page : Jacques Lefebvre-Linetzky
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