Enseigner
la Shoah est une tâche complexe. C’est une nécessité morale qui relève du
devoir de mémoire, mais en enfermer l’enseignement uniquement dans ce cadre,
expose l’enseignant à des difficultés auxquelles il n’est peut-être pas
préparé. Il y a bien sûr un socle de connaissances et de faits à transmettre
qui impose au professeur une distance, non pas critique, mais historique afin
de restituer l’ampleur et l’unicité de cette catastrophe. Le professeur a
quantité de documents à sa disposition – témoignages, romans, films
documentaires et films de fiction, photographies, dessins et peintures. Il lui
faut faire des choix, faire le tri dans cette abondance qui peut submerger de
jeunes esprits. Le professeur peut faire appel à des rescapés dont la parole ne
peut être mise en doute. Nous savons tous que, malheureusement, le nombre de
survivants s’amenuise chaque année. Et
c’est pour cette raison qu’il nous faut nous poser la question de la
transmission et de l’enseignement de la Shoah avec une acuité renouvelée.
Dachau
Que nous disent les textes
officiels ?
L’extermination des Juifs
d’Europe est inscrite dans les programmes de l’école primaire. Les nouveaux
programmes applicables à la rentrée 2008 confirment l’enseignement obligatoire
au cours moyen de l’extermination des Juifs et des Tziganes par les nazis, un
crime contre l’humanité.
Soucieux de la
transmission de la mémoire de ces événements tragiques et uniques de l’histoire
de notre continent, ainsi que du nécessaire ajustement des enseignements à l’âge
des élèves, le Président de la République a récemment demandé que la mémoire
des enfants victimes de la Shoah soit privilégiée à l’école.
Les recommandations
suivantes sont formulées à partir des travaux de groupe de travail placé sous
la direction de Mme Hélène Waysbord-Loing, inspectrice générale honoraire, à
qui le ministre de l’éducation nationale a confié la mission de réfléchir à la
mise en œuvre pédagogique de la demande du Président de la République.
Inscrit dans sa dimension
historique, l’enseignement de la Shoah a une finalité civique et répond à une
obligation morale. Il ne s’agit pas seulement de transmettre une mémoire et des
connaissances : il faut donner à tous les élèves les éléments de culture
et de réflexion leur permettant de refuser toutes les formes de racisme et de
discrimination et de comprendre que, contraires à la Déclaration des droits de
l’Homme et du citoyen, elles rendent impossible la démocratie.
L’étude de l’extermination
des Juifs et des Tziganes par les nazis a pour objectif de faire acquérir
progressivement une connaissance précise de ce crime historique majeur perpétré
en Europe, de le restituer dans le contexte d’une idéologie raciste et d’un système
politique totalitaire. Cette étude intègre la prise de conscience mondiale qui,
au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, a conduit les instances
internationales à adopter la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et
à créer la notion de crime contre l’humanité dont le caractère imprescriptible
a été intégré au droit national des démocraties.
Cet enseignement est
inscrit à trois reprises dans les programmes scolaires : à l’école au
cycle des approfondissements (CM2), au collège en 3ème, en première
et en terminale au lycée. À chaque niveau, les approches et les démarches,
ainsi que la documentation utilisée, doivent être adaptées à l’âge et à la
maturité des élèves.
Note
de service N° 2008-085 du 3-7-2008
Image empruntée ici
Hélène Waysbord-Loing, inspectrice générale honoraire, est agrégée de Lettres Classiques. Elle a été Conseiller à l'Elysée pour des grands projets dont La Villette, Le Grand Louvre, le Musée d'Orsay, et l'Opéra Bastille. Elle préside aujourd'hui l'association de la Maison d'Izieu.
Déclaration
des Droits de l’Homme et du citoyen
cliquez ici
Article premier
Tous
les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont
doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans
un esprit de fraternité.
Les sites pédagogiques
De nombreux sites pédagogiques sont à la disposition des professeurs sur la "Toile". Les musées et les sites mémoriaux offrent des outils variés et adaptés aux différents niveaux des classes. Toutefois, rares sont les sites qui sensibilisent les professeurs à la problématique de l'enseignement de la Shoah. Le réseau Canopé a mis au point un webdocumentaire d'une qualité remarquable.
Un webdocumentaire au
service des enseignants :
Mémoires européennes des
camps nazis
Le webdocumentaire
« Mémoires européennes des camps nazis » propose d’offrir aux
enseignants une réflexion théorique sur les problématiques liées à
l’enseignement de la déportation dans les camps et les centres de mise à mort
et à leur actualité en matière d’éducation à la citoyenneté.
Réalisation :
Bernard Obermosser et Jean-Louis Roussel
Réseau
Canopé, 2015
Le réseau Canopé
Placé sous
tutelle du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et
de la recherche, le réseau Canopé édite des ressources pédagogiques transmédias
(imprimées, numériques, mobiles, TV), répondant aux besoins de la communauté
éducative. Acteur majeur de la refondation de l’école, il conjugue innovation
et pédagogie pour faire entrer l’École dans l’ère du numérique.
Pour accéder au site, cliquez ici
Une présentation en
arborescence
Ce webdocumentaire se présente sous la forme d'une arborescence. Quatre grands chapitres sont abordés :
1. Poser les enjeux
2. Découvrir les sites
3. Commémorer
4. Aborder le témoignage
Chaque chapitre est ensuite subdivisé en sous-chapitres. Ainsi, la rubrique "Poser les enjeux" examine les aspects suivants:
1.Interpellations contemporaines
2. Les déportations
3. Histoire et mémoires
4. À l’échelle du continent
Si on explore les "interpellations contemporaines", on a accès aux modules ci-dessous:
1. Une histoire d’un autre siècle
2. Les enjeux éducatifs de cet enseignement
3. Une approche nécessairement pluridisciplinaire
4. Une approche complexe et distanciée
5. Un enseignement privilégiant l’éthique
6. La spécificité de la Shoah
7. « Plus jamais ça » ?
Chaque module, dont la
durée n’excède pas 4 minutes environ, est présenté et analysé par plusieurs intervenants
dont les regards croisés sont sources d’information et de réflexion.
Module n° 1 : Une
histoire d’un autre siècle
Ce module est éclairé par
Andreas Baumgartner, Secrétaire Général du Comité International de Mauthausen
et par Olivier Lalieu, historien au Mémorial de la Shoah.
Andreas Baumgartner
s’exprime en allemand et ses propos sont sous-titrés en français : « Nous
sommes aujourd’hui confrontés au fait que des événements de l’époque nazie sont
pour des jeunes d’aujourd’hui très, très éloignés. Cela signifie que pour des
gens qui ont aujourd’hui 16, 17 ans, ou moins encore, l’époque nazie telle que
nous-mêmes nous l’avons encore connue par nos parents ou nos grands-parents,
est pour eux, aussi lointaine que celle de Charlemagne ou de
Napoléon. »
Olivier Lalieu souligne
également cet éloignement par rapport au passé : « Le regard que nous
portons 70 ans après les faits et que portent les élèves qui abordent ce sujet
aujourd’hui, n’est pas le même que celui de ceux qui avaient dans leur histoire
familiale une connexion directe, dont l’histoire était celle des parents ou des
frères et sœurs si on parle des générations d’après-guerre. Les élèves qui
aujourd’hui sont à l’école, sont nés au 21e siècle dans un monde où les nouvelles technologies,
où les réseaux sociaux forment un environnement quotidien immédiat, qui est
tout autre, évidemment que celui du siècle passé. Comment aujourd’hui faire
entendre à nos générations d’élèves qu’un monde où Twitter ou Facebook
n’existait pas a été possible. »
Module n°4 : Une
approche complexe et distanciée
Olivier Lalieu, Joëlle
Dusseau, IGEN (Inspecteur Général de l'EN) honoraire d’histoire-géographie – présidente du CNDR (Concours
National de la Résistance et de la Déportation), Gaël Reuzé, IA.IPR (Inspecteur d'Académie, Inspecteur Pédagogique Régional) d’histoire-géographie, Académie de Nantes et Raphaël Esrail, Président de
l’Union des Déportés d’Auschwitz, s’interrogent sur la complexité de la
démarche et sur la nécessité d’aller au-delà des faits.
Olivier Lalieu :
« C’est un enseignement qui ne peut se résumer à une chronologie, qui doit
être réinscrit à la fois dans ses idéologies qui sont à la base, à la genèse, à
la fois du phénomène concentrationnaire et du génocide des Juifs, voire des
pratiques génocidaires au cours la Seconde Guerre mondiale, mais c’est aussi
une histoire humaine dont à la fois les bourreaux et les victimes doivent être incarnés. »
Joëlle
Dusseau:
« Je trouve qu’un
regard historique sur les mémoires est important et pour le professeur et pour les élèves
parce que précisément cela les amène à
avoir un regard critique y compris sur les idées qui se développent
aujourd’hui. Il est évident que
l’histoire même du génocide, le regard des sociétés, de la société
française, de l’histoire française sur le génocide, a évolué au fil du temps, c’est évident. Et
c’est ça qui permet au professeur
justement, c’est important pour moi, qu’il
ne colle pas de manière
extraordinairement émotionnelle à
l’événement, qu’il y ait au contraire, cette distance et je trouve que l’étude
de la mémoire qui le resitue en
intellectuel interrogeant l’histoire présente et le présent, lui donne justement
cette capacité à avoir une distance. Et
cette distance là me paraît importante. Je suis assez réservée sur l'obsession émotionnelle de notre époque. »
Gaël Reuzé :
« On a une visée objective en lien avec la recherche historique, subjective et à la fois affective en lien avec la mémoire et morale enfin, en lien avec la barbarie nazie. »
« On a une visée objective en lien avec la recherche historique, subjective et à la fois affective en lien avec la mémoire et morale enfin, en lien avec la barbarie nazie. »
Joëlle Dusseau :
« Notre travail est compliqué parce que à la fois nous devons dire des choses fortes et essentielles et en même temps montrer la complexité. Alors si on ne montre que la complexité, les élèves ont du mal à s’en sortir ; Il faut donc cette articulation qui est très difficile pour un professeur entre « on dit les choses », « on apprend les éléments ou les événements ou les concepts essentiels » et en même temps, on leur montre la complexité des raisons, la complexité des situations. (…) Nous voyons bien aujourd’hui à quel point la situation du monde est complexe. »
« Notre travail est compliqué parce que à la fois nous devons dire des choses fortes et essentielles et en même temps montrer la complexité. Alors si on ne montre que la complexité, les élèves ont du mal à s’en sortir ; Il faut donc cette articulation qui est très difficile pour un professeur entre « on dit les choses », « on apprend les éléments ou les événements ou les concepts essentiels » et en même temps, on leur montre la complexité des raisons, la complexité des situations. (…) Nous voyons bien aujourd’hui à quel point la situation du monde est complexe.
Raphaël Esrail, Président
de l’Union des Déportés d’Auschwitz :
« J’ai vu des professeurs
qui parlaient de la mémoire, de ce qui s’était passé dans les camps en ramenant ça toujours à des problèmes de faits. Non, c’est pas ça,
ça marche pas ; Pour moi, on se
trompe d’une façon fondamentale. Le fait illustre quelque chose, mais il faut
d’abord savoir comment il est arrivé, pourquoi ça a été comme ça et en tirer
les conséquences qui sont les leçons. »
Joëlle Dusseau :
« Si on en reste aux faits, je crois qu’on manque notre objectif, notre fonction, on est à côté de notre
fonction. »
Module n°5 : Un
enseignement privilégiant l’éthique
Olivier Lalieu :
« Il y a une dimension morale, il y a une dimension éthique de cet enseignement
tout particulier parce que le phénomène concentrationnaire de caractère
industriel du génocide des Juifs par les nazis
est porteur là encore de ressorts
qui induisent, au-delà d’un enseignement historique, une dimension morale et d’édification de
l’individu qui est forte. Cela n’est pas le but premier de l’enseignement de l’histoire, mais par la
transmission d’un certain nombre de valeurs,
d’une certaine maturation de l’esprit, cet aspect de l’enseignement de
l’histoire est porteur effectivement de
leçons pour aujourd’hui, même si,
effectivement, l’historien, par
définition, n’est ni un juge, ni un moralisateur. »
Joëlle Dusseau :
« C’est pour cela que j’insiste sur cette dimension de la
citoyenneté, on n’est pas là pour faire
de la morale, mais on peut être là pour
avoir une réflexion morale.»
Rémi
Dalisson, professeur d’histoire contemporaine, Université de Rouen :
« On a toujours cette
tendance à faire de la morale parce que l’Histoire peut être utilisée comme
argument moral (…) L’historien est là pour expliquer, mais pas pour dire,
pensez ça… (…) On n’est pas là pour dire le bien et le mal. (…) Quelques fois,
on est face à des élèves qui tiennent
des propos, qui ont des comportements tellement
durs, tellement insupportables qu’on a envie de se transformer en professeur de morale. »
Ce webdocumentaire est un
outil particulièrement efficace et bien construit qui permet aux professeurs de
se poser de vraies questions afin de trouver des solutions adéquates pour mener
à bien leur tâche dans un contexte particulièrement compliqué et douloureux à
maints égards.
Dachau
Documents annexes
Pédagogie, formation, conseils pour enseigner l'histoire de la Shoah,Mémorial de la Shoah, cliquez ici
Le grenier de Sarah, site
d’introduction à l’histoire de la Shoah, est conçu spécifiquement pour les enfants
de l’école primaire, et plus particulièrement pour les 8-12 ans, cliquez ici
Bibliographie
Bibliographie (non exhaustive) sur l'enseignement de la Shoah à l'école : |
Benoît
Falaize "Le discours des anciens déportés et sa réception dans les
écoles aujourd'hui" - in "Les enfants de la Shoah"
(Ed. Max Chaleil, 2006)
B. Falaize "Esquisse d'une histoire de l'enseignement
des génocides à l'école" (Agone, Marseille, 2009)
B. Falaize & Dominique Borne "L'enseignement de la
Shoah à l'école : 15 ans de débats" et "Transmettre la Shoah
dans la famille, à l'école et dans la cité" (Ed. Max Chaleil, 2009)
Sophie Ernst "Quand les mémoires déstabilisent
l'école" (INRP, Lyon, 2008)
Photos de Dachau : © Jacques Lefebvre-Linetzky.
Indispensable. A transmettre au plus grand nombre de gens, qu'ils soient concernés ou non
RépondreSupprimerBravo.www.terreneffacepasleursvisages.com
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