Il y quinze jours, nous recevions à l’antenne de RCN, Tamar
Jacobs-Loinger qui a rendu hommage à sa maman, Fanny Loinger. Tamar nous a
confié que son deuxième prénom était Huguette, en souvenir d’une amie de Fanny,
avec qui elle avait travaillé pendant la guerre.
Cette semaine nous allons donc prolonger notre propos en évoquant Huguette
Wahl et Nicole Weil-Salon, qui ont œuvré à l’O.S.E. pour sauver des enfants, et
qui ont toutes deux péri dans les chambres à gaz d’Auschwitz en refusant de
quitter les petits dont elle avaient la charge.
Marseille au printemps
1940
Image empruntée ici
Les principaux centres de résidence assignée
étaient l’Hôtel du Levant, l’Hôtel Bompard et le Terminus du Port. Ils étaient sous
contrôle policier, et ce, dès la fin du printemps 1940. Les internés femmes et
enfants étaient dans l’attente d’un visa en vue d’émigrer outre-mer. Les hommes,
quant à eux, étaient internés au camp des
Milles. C'est à Marseille qu'ils devaient entreprendre les démarches
nécessaires qui leur permettraient de s’embarquer et de quitter la France.
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À l'Hôtel
du Levant, l'O.S.E. (Œuvre de secours
aux enfants) avait établi un centre d'hébergement. Une centaine d’enfants
partageaient l'espace avec 80 femmes, alors que l’hôtel n’avait qu’une capacité
de 50 personnes.
Initialement, le statut de toutes les femmes
logées au Levant était celui
d’ «étrangère libre ». Mais en septembre 1941, les hôtels Bompard et Terminus du Port étant
saturés, 50 places au Levant
furent réquisitionnées pour y loger des « transitaires » qui venaient
d’un camp d’internement, généralement Gurs, Rieucros ou Le Récébédou. La vie
dans les hôtels était difficile, mais n’avait rien à voir avec les conditions
imposées aux réfugiés emprisonnés dans des camps d'internement.
Georges Garel dans le livre le
sauvetage des Enfants par l’O.S.E., s’exprime en ces termes : « les
journées dramatiques les longues nuits de criblage, les départs au petit jour
en wagons à bestiaux, et toujours et encore, ces cris déchirants » p. 113
Cette équipe s’employait à faire sortir les enfants du camp des Milles où étaient internés les
Juifs étrangers, surtout après les rafles d’août 1942, en zone libre.
Le camp fut fermé fin 42, mais Huguette Wahl et Nicole Weil-Salon poursuivirent
leur travail de sauvetage.
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Le destin d’Huguette
© Fonds O.S.E.
Huguette Wahl est née à Paris, le 23 février 1914. Au début de la guerre, elle est
assistante sociale au centre médico-social de l’O.S.E. à Marseille. Après les
arrestations massives de fin août 1942 par le gouvernement de Vichy, elle s’engage dans la Résistance Juive. Le travail clandestin
se structure peu à peu avec, pour couverture, le Dispensaire de l’O.S.E. : fabrications des faux papiers, recherche de
caches pour les enfants et constitution de convois vers la Suisse.
Le 11 novembre 1942, les Allemands
occupent Marseille. Fin janvier 1943, après les rafles massives dites « du
Vieux Port », tous les organismes juifs quittent Marseille. L’O.S.E. se
replie à Limoges. Huguette est envoyée à Nice pour aider le Réseau Marcel.
Le 8 septembre 1943, les Italiens signent
un armistice séparé, les Allemands occupent toute la zone italienne, et tout
d’abord Nice où sont réfugiés près de 30 000 Juifs. Le piège se referme sur eux,
irrémédiablement.
Huguette Wahl qui, sous le nom d’Odile
Varlet, travaille depuis des mois dans le Circuit
Garel, organise et accompagne inlassablement des convois d’enfants pour la
Suisse. L’O.S.E. envoie Nicole Weil-Salon à Nice pour épauler Huguette. Toutes
les deux sont mises à la disposition du Service clandestin de Moussa Abadi.
Arrêtée fin octobre 1943, Huguette est envoyée
à Drancy.
© Fonds O.S.E.
Nicole Weil est née le 15 août 1915 à Lisieux,
dans une famille juive d’origine alsacienne. Après la Première Guerre mondiale,
sa famille s’installe à Paris. Nicole passe son baccalauréat et obtient un
diplôme d’assistante sociale. Au début de la guerre, elle est chargée d’assurer
le repli d’une maison d’enfants en zone libre.
Au mois de juin 1941, Nicole rejoint le
dispensaire médico-social ouvert par l’Œuvre de Secours aux Enfants, à
Marseille. Elle aide les familles et surtout les enfants détenus dans les centres
de résidence assignée. Elle visite également régulièrement le camp
d’internement des Milles, près d’Aix-en-Provence. Elle parvient à faire sortir
des femmes des hôtels Bompard, du Levant et du Terminus, où elles étaient internées et elle leur trouve un
emploi.
Elle déploie une énergie de tous les instants
et se consacre à l’amélioration des conditions de vie dans les centres
d’accueil. Elle s’occupe des malades, veille à
ce que les enfants apprennent des rudiments de français et trouve le moyen de
les placer en préventorium ou en colonies de vacances. Elle sauve de la
déportation une centaine d’enfants et d’adolescents internés au camp des Milles.
Les parents de Nicole la rejoignent à Marseille
où la population juive ne cesse de croître en raison de l’afflux de réfugiés et
d’internés. Nicole mène en parallèle une action clandestine et met en place une
filière de faux papiers. Elle organise même des évasions.
Au début de l’année 1943, tous les organismes juifs quittent Marseille.
L’O.S.E. se replie à Limoges où Nicole est
mutée.
Au mois de juillet 1943, Nicole Weil épouse
Jacques Salon, un Marseillais, à l’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse.)
© Fonds O.S.E.
Jacques Salon, son mari, est issu de l'une des
plus anciennes familles juives de Bagdad. Arrivé à Marseille en 1921, naturalisé
français en 1937, il est mobilisé en 1939 et participe aux combats dans la
trouée de Sedan. Démobilisé en 1940, il habite quelque temps à
Clermont-Ferrand.
C’est à Marseille, au centre médico-social,
qu’il rencontre Nicole – c’est un coup de foudre mutuel. À Chambéry, ils créent
une filière de sauvetage d’enfants et organisent de nombreux convois pour la Suisse.
© Fonds O.S.E.
Lorsque, le 8 septembre 1943, les Italiens se
retirent après avoir signé un armistice, les Allemands occupent toute la zone
italienne, dont Nice où sont réfugiés près de 30000 Juifs. Le piège se
referme. Nicole est envoyée par l’O.S.E. à
Nice pour apporter son aide au réseau
Abadi. Elle est arrêtée le 24 octobre 1943 alors qu’elle accompagne un
groupe d’enfants vers la Suisse. Elle est ensuite transférée à Drancy où elle
continue à aider les enfants sans relâche. C’est là qu’elle retrouve Huguette.
Huguette
et Nicole réunies dans l’enfer d’Auschwitz
Nicole écrit le 19 novembre 1943: "Nous sommes prêts, moralement du moins. C’est demain
le grand jour. Nous sommes quinze intimes, ce qui rend le voyage moins
désagréable. Nous avons tous beaucoup d’espoir et de courage... Nous avons
adopté quatre gosses qui sont seuls. Il faut bien continuer jusqu’au bout…".
Son dernier message est daté du 20 novembre
1943, Nicole Weil-Salon part pour Auschwitz par le convoi n° 62 : "Nous voici tous réunis. Le wagon est complet et notre
moral est superbe... Nous tiendrons" …
À l’arrivée à Auschwitz le 23 novembre, Nicole
et Huguette, bien que sélectionnées pour un groupe de travail, refusent de se
séparer des enfants qu’elles ont adoptés. Le jour même de leur arrivée, elles pénètrent
avec eux dans la chambre à gaz.
Source : Juifs à Marseille et en Provence.
Article publié ici
Jacques
Salon n’abandonne pas
Jacques Salon, qui avait pris le relais pour
organiser des convois, est à son tour arrêté par la Milice à Lyon le 8 mai 1944.
Il est en possession d'une liste d'enfants passés la veille en Suisse. Affreusement
torturé à la prison du Fort Montluc, il ne parle pas. Malgré ses blessures – dont
il gardera des séquelles toute sa vie –, il saute du train qui l'emmène à
Drancy à la fin du mois d'août 1944. Une fois remis, il travaille à l’O.S.E. où il est chargé en juin 1945 de l'accueil
des jeunes de Buchenwald à Écouis (Eure).
Dans
son livre autobiographique, Trois mois
dura notre bonheur, il raconte :
« Contre l’énorme engrenage des nazis, un
réseau frêle s’exténuait sans répit dans un combat désespéré. Nicole était une
cheville ouvrière de ces équipes qui comprenaient principalement assistante
sociale et médecins. Très vite elle prend des initiatives clandestines,
procurant de faux papiers, francisant les Juifs cachés ou les évadés.
Résistance ?
Jusque-là, j’hésitais : où était l’intérêt de la France ? La façon
dont nos réfugiés étaient entassés derrière les barbelés français fit jaillir
la réponse : accepter cela ? Jamais ! »
Pour consulter le site de l'O.S.E., cliquez ici
Bibliographie sélective
Organisation juive de combat,
Résistance sauvetage,
France 1940-1945, éditions Autrement, 2008.
Renée Dray-Bensoussan, Nicole Weil-Salon, une
assistante sociale engagée.
Georges
Garel (avec la participation de Katy Hazan), Le sauvetage des enfants Juifs par
l’OSE, Collection "Témoignages de la Shoah", Fondation pour la Mémoire de la Shoah-OSE/ Éditions Le Manuscrit, 2012, 352p., 49 ill.
Gabriel
Grandjacques, La Montagne refuge, les
Juifs au pays du Mont Blanc, 2007.
Katy Hazan, Le
sauvetage des enfants juifs pendant l'Occupation dans les maisons de l'OSE
1938-1945, Editions Samogy, 2009.
Georges
Loinger et Katy Hazan, Aux frontières de
l’Espoir, Préface de Serge Klarsfeld, Collection "Témoignages de la Shoah", Fondation pour la Mémoire de la Shoah-OSE/ Éditions Le Manuscrit, 2006, 280 p., 53 ill.
Jacques
Salon, 3 mois dura notre bonheur, Collection "Témoignages de la Shoah", Fondation pour la Mémoire de la Shoah-OSE/ Éditions Le Manuscrit, 2005, 292p., 30 ill.
Sabine
Zeitoun, Ces enfants qu’il fallait sauver,
Editions Albin Michel, 1989.
Actualité
Le dimanche
24 avril est la journée du souvenir des victimes de la déportation. Cette date a été retenue
en raison de sa proximité avec la date
anniversaire de la libération de la plupart des camps, et parce qu'elle
ne se confondait avec aucune autre célébration nationale ou religieuse
existante.
De nombreuses cérémonies ont lieu dans toutes
les villes. L’AMEJDAM est invitée à participer activement dans plusieurs villes
et nous vous invitons à y venir : à Cannes et au Cannet ou des membres de
notre association déposeront une gerbe, et à Grasse où, depuis plusieurs
années, le maire nous fait l’honneur de déposer une gerbe à ses côtés. Il y
aura également une cérémonie à Nice au Cimetière de Caucade.
Horaires
Au Cannet à 9h45, jardin du Tivoli, dépôt d’une gerbe commune Yad Vashem
et l' AMEJDAM.
À Cannes à 16h au Monument des Arméniens, sur la Croisette ; à
17h30 à l’hôtel de ville pour les déportés, dépôt d’une gerbe commune Yad
Vashem et l'AMEJDAM.
À Grasse, à 11h, dépôt de gerbe avec Monsieur le Maire.
À Nice, à
11h, cérémonie au Cimetière de Caucade.
Par ailleurs, rappelons l’action du Lycée Thierry Maulnier qui organise la Semaine de la Mémoire et
de la citoyenneté du 25 au 29 avril 2016. Action à laquelle nous participons
activement avec les interventions auprès des élèves, grâce aux enseignants très
engagés dans la transmission de la mémoire des trois génocides du XXème
siècle : Arménien, Rwandais et Juif.
Communiqué de Serge et Beate Klarsfeld
Ambassadeurs
honoraires et Envoyés spéciaux de l'UNESCO pour l'enseignement de l'histoire de
l'Holocauste, nous condamnons la résolution du 14 avril 2016 du Conseil
Exécutif de l'UNESCO qui a décidé d'ignorer le lien historique évident existant
entre le Judaïsme et le Mont du Temple. Cette résolution proposée par plusieurs États musulmans a été adoptée par 33 voix dont regrettablement celle de la
France contre 6 et 17 abstentions. Dans combien d'Etats musulmans du
Moyen-Orient nous accorde-t-on, à nous ambassadeurs de l'Unesco, le droit
d'aller enseigner l'histoire de l'holocauste?
Un film à voir
Fritz Bauer,
un héros allemand, Lars Kraume. En 1957, le procureur général Fritz Bauer apprend
qu’Adolf Eichmann se cache à Buenos Aires. Il veut le faire juger
en Allemagne, mais le corps des magistrats s’y oppose. Bauer alerte les
services secrets israéliens, au risque de passer pour un traitre dans son pays.
La suite est connue…
Pour lire la chronique d'Alain Granat sur Jewpop, cliquez ici
Texte: Michèle Merowka
Mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky
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