Manfred Bockelmann est né
le 1er juillet 1943 à Klagenfurt en Autriche.
(C’est
intéressant de le noter, car Klagenfurt, dans la partie sud de l’Autriche,
était la petite ville où les Alliés, et notamment la 8ème Armée britannique, s’étaient installés à la fin la guerre. Ils y questionnaient
les déportés libérés des camps, et recueillaient leur témoignage).
C’est un peintre, un
photographe et un sculpteur de renommée internationale. Son frère, Udo Jürgens
(1934-2014), est un chanteur très populaire qui a remporté le Concours de
l’Eurovision en 1966.
Il est né d’une famille
plutôt aisée de propriétaires terriens et, pendant la guerre, son père, maire
du petit village d’Ottmanach, s’est accommodé au mieux de la situation sans
pourtant être un fervent nazi.
Plus tard, à
l’adolescence, Manfred Bockelmann cherchera à savoir quel rôle ses parents
avaient joué pendant la guerre et il ne sera pas satisfait de leurs réponses
évasives.
De 1962 à 1966, il étudie le graphisme et la photographie à Graz, Autriche. En 1966, il décide de s’établir à Munich où il se fait un nom dans le domaine de la photographie et de la publicité. Dès le début des années 1970, il est reconnu en tant que peintre et photographe. De nombreuses expositions lui sont consacrées ainsi que des ouvrages portant sur son travail. C’est après un voyage en Afrique, au milieu des années 1970, qu’il invente le concept de « peinture du silence » qui sera sa marque de fabrique. Cela consiste en une synthèse entre des paysages peints et des paysages photographiés en de très grands formats proches de l’abstraction. Au fil des années, Bockelmann impose des images d’une beauté épurée.
Image empruntée ici
Son travail épouse l’air du temps dont il capte les vibrations et les soubresauts. Après les attaques du 11 septembre 2001, il abandonne la couleur et travaille le noir en monochrome.
DESSINER CONTRE L'OUBLI
Depuis 2010, Manfred
Bockelmann se consacre à un projet qu’il compte mener à bien jusqu’à sa mort.
Ce travail de longue haleine s’intitule, « Dessiner contre l’oubli ».
« Qu’est-il arrivé à ces enfants qui dormaient dans le mauvais
berceau » ? se demande-t-il ? Il s’agit pour l’artiste d’un
véritable travail où la compassion, le chagrin et la honte nourrissent la
nécessité de perpétuer le souvenir des petits disparus.
Erdmann Schmidt, assassiné à l'âge de 7 ans le 12 juin1943
Image empruntée ici
À partir de photos
d’identité, l’artiste dessine au fusain les visages des enfants en grand format
(150 x 110 cm) sur de rugueuses toiles de jute. Le fusain suit des lignes
parallèles sur la surface des toiles. Ces œuvres sont destinées à être vues
d’une certaine distance – leur monumentalité submerge le spectateur qui ne peut
se soustraire au regard des enfants. La simplicité du support et de l’outil est
délibérée. L’œuvre est belle, mais ce n’est pas l’intention première de
l’artiste que de « faire beau ». Il s’agit plutôt d’être dans le
« vrai » de ce moment capté avant l’horreur ultime.
Image empruntée ici
Le fusain permet au geste
de se libérer ; il porte en lui sa propre fragilité, sa trace éphémère. De
surcroît, il est fait de bois calciné, parfois de bois de bouleau et c’est
comme si le fusain portait en lui la mémoire des forêts de bouleaux
d’Auschwitz-Birkenau. Le noir et blanc sied à cette entreprise de sauvegarde de
la mémoire.
Les visages sont dessinés
de face, systématiquement. Il s’agit d’établir un face à face entre le modèle
et le spectateur, entre le passé et le présent, entre l’avant et l’après.
Chaque visage est unique et pourtant, il renvoie au multiple, à l’infinie cohorte
de ces enfants effacés. Il nous faut lever les yeux vers ces victimes, ce terme
que les Nazis avaient effacé de leur vocabulaire – ils parlaient de figuren, de marionnettes, de poupées de
chiffon. Formidable défi pour l’artiste que de lutter contre l’effacement avec
un bout de fusain dont on sait qu’il peut s’effacer du revers de la main.
Une magnifique exposition
a eu lieu au Leopold Museum de Vienne
en 2013. Manfred Bockelmann y a
accueilli régulièrement des enfants pour qu’ils apprennent et qu’ils se
souviennent.
Berlin, janvier 2015
Image empruntée ici
UN FILM
Max Bockelmann au travail
Image empruntée ici
En 2014, un film, réalisé
par Bärbel Jacks, est consacré au projet de Manfred Bockelmann. Il s’intitule, Zeichnen gegen das Vergessen (Dessiner contre l’oubli). Des survivants
sont confrontés à ces images. Ils reconnaissent une amie, un membre de leur
famille et ce sont des moments d’intense émotion. Dans le regard de ces
personnes désormais âgées, on peut lire le chagrin, la tendresse, et une forme
de bonheur apaisé d’avoir pu ainsi renouer avec le bonheur perdu de leur
enfance. Le film s’adresse aux jeunes générations et se veut être un message de
tolérance et de vigilance.
LA BANDE ANNONCE
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Zeichnen gegen das Vergessen a reçu de nombreuses récompenses, notamment au New
York Festival 2015 (Meilleur documentaire, Meilleure photographie et Meilleure
musique). Il n’est malheureusement pas encore disponible à la vente en DVD ou
VOD, mais soyez vigilant, cela ne saurait tarder.
Comme vous le savez, l'AMEJDAM œuvre pour que des plaques soient apposées à la mémoire des enfants juifs déportés des Alpes Maritimes. C'est un travail long et minutieux - il faut plonger dans les archives, consulter des listes, recouper les informations, vérifier les noms, les dates de naissance, traquer les numéros des convois, reconstituer des bribes de vies.
C’est une quête indispensable et douloureuse. Ces plaques sont destinées à faire en sorte que ces disparus ne soient plus effacés. Elles figurent le plus souvent dans les écoles et les lycées de la région, une plaque à l’extérieur, une autre à l’intérieur de l’établissement. Les enfants sont là, on peut lire leur nom, leur prénom et se recueillir.
RAPPEL : LE RÔLE DE L'AMEJDAM
Plaque apposée à l'extérieur du Lycée Masséna
© JL+L
Dorine Hirtz (14 ans), Éliane Hirtz(11 ans),
Paulette Hirtz (8 ans), photographie exposée lors de l'inauguration des plaques au Collège Fersen, Antibes, en mai 2015.
C’est une quête indispensable et douloureuse. Ces plaques sont destinées à faire en sorte que ces disparus ne soient plus effacés. Elles figurent le plus souvent dans les écoles et les lycées de la région, une plaque à l’extérieur, une autre à l’intérieur de l’établissement. Les enfants sont là, on peut lire leur nom, leur prénom et se recueillir.
Les visages sont souvent absents, mais parfois, nous retrouvons des photographies qui figurent en bonne place lors des inaugurations de plaques. Ces photographies ont été collectées, identifiées et sauvées de l'oubli grâce au travail inlassable de Serge Klarsfeld.
Ce sont des visages d’enfants qui sourient à la vie, des visages qui ne savent pas ce qui les attend. Ils nous regardent et nous les regardons tandis que les discours se succèdent et puis vient la minute de silence et c’est alors que leur présence pèse de tout son poids et que l’émotion devient un cri muet.
Yom Hashoah, au Cimetière du Château, Nice, avril 2015
©JL+L
Les visages des enfants sont aussi présents lors des cérémonies qui ponctuent les années. Combien de fois ces regards se sont-ils attachés aux nôtres tandis que résonnait la voix ample et puissante du Rabbin Marciano ?
La Shoah est le premier génocide qui ne dit pas son nom. Poser des plaques, donner à voir les visages, c’est conjurer l’effacement voulu par les Nazis.
TEXTES EN MARGE
Jamais nous n’oublierons
les visages de ces enfants : sans cesse ils défilent devant mes yeux. Ils
sont graves, profonds et ceci est extraordinaire, dans ces petites figures,
l’horreur des jours qu’ils traversent est stigmatisée en eux. Ils ont tout
compris, comme des grands. Certains ont des petits frères ou sœurs et s’en
occupent admirablement. Ils ont compris leurs responsabilités.
Ils nous montrent ce
qu’ils ont de plus précieux : la photo de leur père et de leur maman que
celle-ci leur a donnée au moment de la séparation. À la hâte, les mères ont
écrit une tendre dédicace…
Odette Daltroff-Baticle,
Drancy, août 1942.
Les tout-petits ne
connaissaient souvent pas leur nom, alors on interrogeait les camarades, qui
donnaient quelques renseignements. Les noms et prénoms, ainsi établis, étaient
inscrits sur un petit médaillon de bois, qu’on accrochait au cou de l’enfant.
Parfois, quelques heures après, on voyait un petit garçon avec un médaillon
portant le nom de Jacqueline ou de Monique : les enfants jouaient avec les
médaillons et les échangeaient entre eux.
Un Juif sous Vichy, Georges Wellers.
La détresse du visage est
un appel pour moi et sa parole m’assigne avant que je le désigne. En d’autres
termes, avant que j’aperçoive le visage, je l’entends. À vrai dire, le visage
d’Autrui me parle toujours même s’il ne dit rien, il me parle sans mots avec sa
seule présence. La proximité de mon prochain est déjà une parole. La pauvreté
du visage, sa nudité, est déjà comblée de sens, elle m’en parle. Avant qu’Autrui
ne m’adresse un mot, avant qu’il ne veuille me communiquer un message, il
m’offre déjà sa parole : il me regarde.
Le face-à-face, Edvard Kovak.
S’il fallait définir
l’inhumanité absolue du système concentrationnaire, il suffirait de rappeler
que le Lager était le lieu où les
hommes n’avaient plus de visage ni de nom. Dès leur arrivée au camp, les
sévices, les brutalités, les coups, non seulement les défiguraient, mais
surtout une procédure précise d’humiliations était mise en œuvre, destinée à
leur faire oublier qu’ils avaient un
visage.
Éloge du visible, Jean Clair.
Texte et mise en page : Jacques Lefebvre-Linetzky
Texte et mise en page : Jacques Lefebvre-Linetzky
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