Sur notre blog cette semaine, la transcription illustrée de notre émission de mardi dernier, que vous pouvez réécouter sur le site de Radio Chalom Nitsan, comme d'habitude. La voici :
J’ai choisi de décrire, de raconter et d’analyser une image à la radio à l’instar de Yoann Sfar qui, sur France Inter a su nous faire voir des images en écoutant son émission : Vous voyez le tableau. Voir ce site pour le découvrir.
J’ai choisi de décrire, de raconter et d’analyser une image à la radio à l’instar de Yoann Sfar qui, sur France Inter a su nous faire voir des images en écoutant son émission : Vous voyez le tableau. Voir ce site pour le découvrir.
Photo prise ici
Le
ghetto de Varsovie
Le
16 septembre 1939, les troupes allemandes entament le siège de Varsovie. La
capitale de la Pologne capitule le 27 septembre 1939.
Les
Allemands entrent dans la ville le 1er
octobre. À partir du 12 octobre, les nazis construisent un ghetto de 403
hectares clos de murs et de barbelés. Le 16 novembre, ils enferment plus de 360
000 Juifs. D’autres y seront envoyés et la population du ghetto augmentera
jusqu’à un demi-million. 100 000 personnes vont périr de faim ou seront
victimes d’épidémies. Le port d’un brassard blanc et d’une étoile bleue est
imposé au Juifs de Varsovie. La gestion du ghetto est confiée au Judenrat
(Conseil Juif). Entre juillet et octobre 1942, plus de 300 000 Juifs sont
déportés prioritairement en direction du camp d’extermination de Treblinka. En
mars 1943, Himmler charge le Gruppenfürher SS, Jürgen Stroop, d’anéantir ce
qu’il reste de la population juive de Varsovie. Le 19 avril 1943 débute
l’insurrection du ghetto de Varsovie. Pendant plus d’un mois, les insurgés
tiennent tête aux troupes allemandes. Le 16 mai 1943, la révolte est écrasée et
le ghetto est rasé. Le 1er août 1944, la résistance polonaise entre
en action pour libérer Varsovie. En janvier 1945, les troupes soviétiques
libèrent Varsovie en ruines.
Pour
en savoir plus, cliquez sur ce site.
Une
photographie emblématique
Cette
photo fait partie d’un album où figure un ensemble de documents écrits et de
photos connu sous le nom de Rapport Stroop du nom du général chargé par
Hitler d’éliminer les 56 000 Juifs survivants du ghetto de Varsovie. Environ
115 photos ont été prises. Stroop en a sélectionné entre 48 et 53 comme preuves
de la destruction totale du ghetto de Varsovie. Il s’agit de la photographie
n°14 de l’album de Jürgen Stroop.
Le
photographe a placé son appareil à un endroit stratégique. Une foule composée
d’hommes, de femmes et d’enfants, est expulsée d’un immeuble. Des soldats nazis
lourdement armés veillent au bon déroulement de l’opération. Pratiquement au
centre de l’image, légèrement en avant, un petit garçon, les mains levées, est
paralysé par la peur. Le cadrage est d’une grande efficacité car la photo est à
la fois statique et dynamique. La circulation des regards génère une tension
perceptible d’emblée. Cela donne à cette image un statut unique. Destinée à
prouver l’efficacité de la machine hitlérienne, elle a désormais un statut « iconique »
et elle résume à elle seule, la barbarie nazie. Conçue comme un constat froid,
elle génère depuis des années, horreur et compassion.
Selon
certaines sources, les photographies rassemblées dans le Rapport Stroop
ont été prises par les photographes d’une unité chargée de la propagande (Propaganda
Kompanie). Il est donc difficile de déterminer qui est le photographe de
cette image désormais emblématique. Il pourrait s’agir d’Albert Cussian,
d’Erhard Josef Knobloch ou d’Arthur Grimm.
Selon
d’autres sources, ces photos auraient été prises par Franz Konrad qui était en
charge du service de la confiscation des biens juifs dans le ghetto de
Varsovie. C’est la version que retient le Musée de l’Histoire juive à
Varsovie et qui figure aussi dans le roman de Dan Porat, intitulé, The Boy,
a Holocaust Story, paru en 2010.
Le
SS à la droite de l’image, c’est Josef Blösche (1912-1969). Chargé de garder la
passerelle de bois qui reliait le petit ghetto au grand ghetto, il circulait à
bicyclette et tuait qui bon lui semblait au gré de sa fantaisie. À la fin de la
guerre, iI trouva refuge en Allemagne de l’Est et ce n’est qu’en 1969 qu’il fut
arrêté. Déclaré coupable de la déportation de 300 000 Juifs et de l’exécution
de 2000 Juifs de ses propres mains, il fut exécuté le 29 juillet 1969 d’une
balle dans le cou. À plusieurs reprises, il a admis qu’il était bien le SS présent
sur la photo – cela est confirmé par des témoignages signés de sa main.
Image prise ici
L’identité
de l’enfant n’a pas été établie avec certitude
En 1977, une femme appelée Jadwiga Piesecka, a
déclaré qu’il s’agissait d’Artur Siematek né à Lowicz en 1935. Ce témoignage a
été corroboré par son mari en 1978.
L’année suivante, un homme d’affaires londonien a
contacté le Jewish Chronicle et a
soutenu qu’il était bien l’enfant figurant sur la photo. Il a demandé à rester anonyme. Le témoignage de cet
inconnu n’a jamais été considéré comme recevable. En effet, il situe la scène
en 1941, bien avant le soulèvement du ghetto de Varsovie et il affirme ne pas
avoir porté de chaussettes le jour où la photographie a été prise. Or, l’enfant
porte des chaussettes…
En 1982, un oto-rhino laryngologiste de l’état de
New York, Tsvi Nussbaum, âgé de 47 ans a déclaré avoir été arrêté lorsqu’il
avait 7 ans à Varsovie. Il ne se souvenait pas avoir été pris en photo, mais
pensait qu’il y avait de grandes chances qu’il fût l’enfant de la photo. Des doutes subsistent quant au lieu :
s’agit-il de l’Hôtel Polski ou d'une photo prise dans le ghetto ?
À l'époque, les médias se sont emparés du témoignage de Tsvi Nussbaum, mais un doute a toujours subsisté, même dans l’esprit du médecin.
À l'époque, les médias se sont emparés du témoignage de Tsvi Nussbaum, mais un doute a toujours subsisté, même dans l’esprit du médecin.
En 1999, Avrahim Zelinwarger, âgé de 95 ans a
contacté le Musée des Combattants du
Ghetto en Israël et a déclaré qu’il s’agissait de son fils Levi né en 1932.
Selon Avrahim Zelinwarger, la jeune femme au premier plan est la propre mère de
l’enfant, Chana Zelingwarger. Il confirme également la mort dans les camps de son
épouse, Chana, de son fils de 11 ans,
Levi et de sa fille de 9 ans, Irina.
Un statut d’icône
En France, la photo du petit garçon de Varsovie
apparaît dans Nuit et Brouillard
d’Alain Resnais (1956) et dans Le Temps
du Ghetto de Frédéric Rossif (1961). En fait, c’est en 1960 que la
photographie de l’enfant prend une dimension « iconique ». On la
trouve, parmi d’autres, dans l’ouvrage de Gerhard Schoeneberger, L’Étoile jaune (Der gelbe Stern). Elle figure également en regard des extraits des Mémoires d’Eichmann parus dans Life Magazine en novembre 1960. Ingmar
Bergman l’inscrit dans « la dramaturgie du silence » en un montage
fragmentaire dans Persona (1966),
voir extrait ici.
C’est à partir de la fin des années 1970 qu’elle est
utilisée de manière récurrente en référence à la Shoah. Parfois, l’image est
même rognée afin de ne retenir que la silhouette de l’enfant, les mains levées.
On a parfois rajouté une étoile jaune sur le vêtement de l’enfant alors qu’elle
n’existe pas sur le document original.
À partir de la moitié des années 1990, le peintre,
Samuel Bak (né en 1933), a mis en scène le petit garçon dans des toiles d’une
force exemplaire.
Plus
d’informations sur Samuel Bak (en anglais), ici
Plus d’images peintes par Samuel Bak, ici
Le travail pionnier de Richard Raskin
A Child at Gunpoint (Aarhus University Press, 2004)
Photo prise ici
Photo prise ici
Richard Raskin enseigne le cinéma et les médias à
l’université d’Aarrhus au Danemark. Il coordonne une revue consacrée au court
métrage : Short Film Studies,
Intellect Journals. Il est également scénariste et a écrit le scénario de Seven Minutes in the Warsaw Ghetto réalisé
par Johan Oettinger, film qui a obtenu une mention spéciale lors du festival
d’Annecy 2012.
JL+L
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