Ceci est notre logo

Ceci est notre logo

mercredi 11 novembre 2015

BERNARD HEJBLUM : HORS DE LA CAGE.

Annonce 
Un festival à ne pas manquer

La 18e édition du Festival International du Film sur la Résistance aura lieu du 13 au 23 novembre 2015. « Compte tenu du 70e anniversaire de la fin des combats en Europe et dans le Pacifique comme de la libération des camps de concentration nazis, la programmation du 18e FIFR est essentiellement consacrée à l’évocation des derniers mois du second conflit mondial en Allemagne, en Italie et dans l’archipel nippon ainsi qu’à la mémoire de la Déportation".

Consultez le programme ici

Tel : 04 93 81 15 96
Site : musee-resistance azureenne.com

L'invité du jour: Bernard Hejblum



©JL+L

Bernard Hejblum est un homme fascinant et attachant. Sa vie est riche de mille expériences, de mille traversées et autres aventures. D’une voix grave et mélodieuse, il se livre avec juste ce qu’il faut de pudeur retenue. Lorsqu’on le côtoie, on songe immédiatement à un arbre. Il en a la force, la fragilité, la rugosité, la tendresse. Les pieds fermement arrimés à la terre, il se souvient, il crée, il s’indigne, il vit au gré des bourrasques, son cœur palpite sous l’écorce…

Il a accepté de venir témoigner dans le cadre de l’émission de l’Amejdam, « Au nom des enfants ». 
Il a parlé de ses quatre années passées dans une ferme perdue dans la forêt des Landes et il a expliqué sa démarche de « sculpteur de cages ».

La ligne de démarcation 


Image empruntée ici


La traque

La traque a commencé le 14 mai 1941, mon père  a été arrêté et il s’en est suivi tout un chamboulement dans mon existence. Tout a été changé ce jour-là. J’étais en pension, j’étais en vacances lorsque mon père s’est présenté au commissariat de police. Il n’est pas revenu. À la pension, quelque temps après, ma nourrice n’a pas pu me garder. Les voisins, les miliciens ont demandé à ce qu’elle se sépare de moi. Donc, on m’a mis dans un train comme un paquet. Je suis arrivé à la gare de l’Est et je me suis rendu à notre domicile. Là, ma mère avait été arrêtée et je me suis retrouvé seul. J’avais 10 ans et demi. Donc, à partir de cet âge-là, j’étais absolument seul. Les voisins m’ont recueilli et m’ont fait passer la ligne de démarcation. Donc je suis arrivé dans cette ferme et on m’a demandé : « mais où vas-tu de l’autre côté ? » de la ligne de démarcation. J’ai dit, « mais je n’ai personne » et on m’a dit : « Et bien, reste ». Je suis resté pendant quatre ans dans cette ferme. Cette ferme se trouvait dans les Landes, juste à cheval sur la ligne de démarcation tout près d’un village qui s’appelle Hagetmau.





Pour d’avantage d’information, cliquez ici


Un autre monde

J’ai changé d’état et j’ai appris à vivre une vie à laquelle je n’étais pas du tout préparé. J’ai fait la connaissance d’un autre monde, d’une autre planète. J’ai appris une autre langue. Je suis allé deux mois à l’école communale où j’ai passé mon certificat d’études et où l’instituteur faisait les cours en patois et en français ; certains ne parlaient pas encore le français. Ce ne fut pas un changement traumatisant. Pour moi ce fut une aventure et je me disais toujours, « ça va s’arranger » et j’ai appris à vivre le jour le jour et tous les événements qui arrivaient étaient provisoires ou transitoires. Ce n’était pas un traumatisme, c’était une aventure.
Les arbres

Pour moi les arbres sont des éléments protecteurs. Je me cachais dans la forêt pour échapper aux hommes, un petit peu comme le cerf ou le loup et, lorsque je gardais le bétail, la nuit,  je me souviens de n’être pas très rassuré au début et surtout lorsqu’il y avait du vent. Une fois il m’est arrivé de prendre un arbre à bras le corps et de coller mon oreille contre l’écorce et j’ai entendu le bois craquer et j’ai pensé alors, « Tiens, c’est son cœur qui bat ». Et depuis, j’ai considéré les arbres  comme des êtres protecteurs  et je pourrais dire, presque vivants puisqu’ils avaient un cœur.



©JL+L

Faire quelque chose

Il me semble qu’à l’époque, j’avais conscience de faire quelque chose. Nous étions à cheval sur la ligne de démarcation. Il fallait faire passer des groupes qui se réfugiaient dans cette ferme, en pleine forêt. Il y avait toute une filière et nous passions de groupes de dix, quinze personnes, des enfants,  des aviateurs anglais abattus, des militaires, des réfractaires au STO, beaucoup de Juifs, bien sûr, qui venaient à vélo ou à pied …

La peur

La peur, elle ne vient jamais dans l’action. Elle vient après, lorsque l’action est terminée. Nous avions chacun un rôle. Comme enfant, j’avais un rôle majeur parce que les Allemands  s’intéressaient moins aux enfants qu’aux adultes et donc j’étais en première ligne pour avertir. Il m’est arrivé  effectivement d’avoir peur un jour quand les Allemands m’ont mis en joue et j’ai bien cru que ma dernière heure était arrivée.


©JL+L

Des retrouvailles difficiles

J’ai retrouvé ma famille que j’avais complètement oubliée. Pour moi, je ne pensais jamais retrouver ma famille. Moi, ma famille, c’était la ferme, et puis ma vie était tracée là-bas. Un jour mon père a débarqué et j’ai appelé mon père, « monsieur ». J’avais totalement oublié mon père et lorsque ma mère est venue, ce fut pareil. Pour eux, sans doute, ce fut une grande déception, Je n’ai pas pris la mesure de la séparation, les liens n’avaient pas été tissés. Ce sont les retrouvailles  qui ont été difficiles. Je me voyais quitter une vie où j’avais trouvé un certain équilibre et la perspective d’un changement était traumatisante pour moi.

Écrire…




« Écrire est une façon de déployer enfin mon histoire au lieu de l’écraser dans le silence et mettre un terme au toujours provisoire pendant lequel je cherchais à mettre de l’ordre – depuis le début.
Les souvenirs ont été transformés par les ans. Mais la douleur reste lourde à porter, l’écriture tente de s’en débarrasser. Rien n’oblige celui qui lit à être malheureux avec celui qui écrit, pourtant, cela peut faire écho.
Ceux qui sont cassés rendent malheureux leur entourage. Je ne veux entraîner personne dans ma détresse, pourtant il est temps de témoigner. J’entends par témoignage, non pas une photo parfaite, mais le désir de conserver une trace sensible, d’approfondir l’ornière laissée par d’autres. Un croquis où l’on aurait ôté les détails superflus. »

Bernard Hejblum, L’Île dans la forêt.

Si vous désirez vous procurer le récit de Bernard Hejblum, contactez l’Amejdam via ce blog, rubrique commentaires, en y laissant vos coordonnées, qui ne seront pas publiées.


Le sculpteur de cages



©JL+L

Bernard est aussi un artiste, un sculpteur de cages, un écraseur de grilles, un broyeur de mailles, un ciseleur de rêves de liberté…



©JL+L

Mon travail consiste à écraser des cages, c’est une façon pour moi de soigner ma névrose de l’enfermement. C’est un travail que j’ai commencé il y a bien longtemps, ce n’était pas pour moi un travail. Je me souviens de la première cage que j’ai fracassée… je l’avais ramassée dans une maison abandonnée et puis d’autres ont suivi jusqu’au moment où j’en ai eu une grande quantité que j’accrochais sur un mur de ma propriété comme des trophées. Un jour Frédéric Altmann et France Delville m’ont conseillé d’exposer mes œuvres. Pendant longtemps, j’ai refusé d’exposer. Mon père m’avait dit tout de suite après son retour d’Auschwitz, « surtout mon fils, ne te fais pas remarquer » et quelque part, exposer, c’est également s’exposer.
Je me suis finalement laissé convaincre. Mes amis m’ont préparé une première exposition et puis d’autres ont suivi et je continue toujours à soigner ma névrose en écrasant des cages.



©JL+L

J’écrase des cages pour dire combien la liberté est précieuse. Se battre pour la liberté des autres, c’est aussi se battre pour sa propre liberté. Pour moi, l’essence de l’individu, c’est de vivre libre. Pour moi, c’est une révolte, un combat, c’est une résistance. La liberté est un bien précieux qu’il faut nourrir. Écraser des cages pour moi, c’est une façon de dire quelque chose et non pas de montrer.

Regard critique



© brochure fournie par l'artiste 

« Ce nouvel usage de la cage est ludique et heureux, tout en ne cessant d’évoquer ce qu’il peut y avoir de douloureux et mortifère dans la privation de liberté. Cet aplatissement qui fait de l’ancienne prison (pour oiseaux, mais c’est une métaphore) une page d’écriture, un réseau de hiéroglyphes et autres incunables, à la fois opère un rituel de désamorçage, et un acte de mémoire, qui évoque un avertissement : la cage est en toi-même, celle où tu t’enfermes, celle où tu enfermes autrui, dans l’arbitraire de tes représentations, de tes pulsions, infantiles pour longtemps. »

France Delville

Les cages de Bernard Hejblum sont exposées jusqu'à la fin novembre à la Librairie Niçoise, 2, rue Defly, 06000 Nice.



©JL+L



Texte, mise en page et entretien : Jacques Lefebvre-Linetzky. 







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire