Annonce
Un festival à ne pas manquer
La 18e édition du Festival International
du Film sur la Résistance aura lieu du 13 au 23 novembre 2015. « Compte
tenu du 70e anniversaire de la fin des combats en Europe et dans le
Pacifique comme de la libération des camps de concentration nazis, la
programmation du 18e FIFR est essentiellement consacrée à
l’évocation des derniers mois du second conflit mondial en Allemagne, en Italie
et dans l’archipel nippon ainsi qu’à la mémoire de la Déportation".
Consultez le programme ici
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Tel : 04 93 81 15 96
Site : musee-resistance azureenne.com
Bernard Hejblum est un homme fascinant et attachant.
Sa vie est riche de mille expériences, de mille traversées et autres aventures.
D’une voix grave et mélodieuse, il se livre avec juste ce qu’il faut de pudeur
retenue. Lorsqu’on le côtoie, on songe immédiatement à un arbre. Il en a la
force, la fragilité, la rugosité, la tendresse. Les pieds fermement arrimés à
la terre, il se souvient, il crée, il s’indigne, il vit au gré des bourrasques,
son cœur palpite sous l’écorce…
Il a accepté de venir témoigner dans le cadre de l’émission de l’Amejdam, « Au nom des enfants ».
Il a parlé de ses quatre années passées dans une ferme perdue dans la forêt des Landes et il a expliqué sa démarche de « sculpteur de cages ».
Il a accepté de venir témoigner dans le cadre de l’émission de l’Amejdam, « Au nom des enfants ».
Il a parlé de ses quatre années passées dans une ferme perdue dans la forêt des Landes et il a expliqué sa démarche de « sculpteur de cages ».
La traque
La traque a commencé le 14 mai 1941, mon père a été arrêté et il s’en est suivi tout un
chamboulement dans mon existence. Tout a été changé ce jour-là. J’étais en
pension, j’étais en vacances lorsque mon père s’est présenté au commissariat de
police. Il n’est pas revenu. À la pension, quelque temps après, ma nourrice n’a
pas pu me garder. Les voisins, les miliciens ont demandé à ce qu’elle se sépare
de moi. Donc, on m’a mis dans un train comme un paquet. Je suis arrivé à la
gare de l’Est et je me suis rendu à notre domicile. Là, ma mère avait été arrêtée
et je me suis retrouvé seul. J’avais 10 ans et demi. Donc, à partir de cet
âge-là, j’étais absolument seul. Les voisins m’ont recueilli et m’ont fait
passer la ligne de démarcation. Donc je suis arrivé dans cette ferme et on m’a
demandé : « mais où vas-tu de l’autre côté ? » de la ligne
de démarcation. J’ai dit, « mais je n’ai personne » et on m’a
dit : « Et bien, reste ». Je suis resté pendant quatre ans dans
cette ferme. Cette ferme se trouvait dans les Landes, juste à cheval sur la
ligne de démarcation tout près d’un village qui s’appelle Hagetmau.
Pour d’avantage d’information, cliquez ici
Un autre monde
J’ai changé d’état et j’ai appris à vivre une vie à
laquelle je n’étais pas du tout préparé. J’ai fait la connaissance d’un autre
monde, d’une autre planète. J’ai appris une autre langue. Je suis allé deux
mois à l’école communale où j’ai passé mon certificat d’études et où l’instituteur
faisait les cours en patois et en français ; certains ne parlaient pas
encore le français. Ce ne fut pas un changement traumatisant. Pour moi ce fut
une aventure et je me disais toujours, « ça va s’arranger » et j’ai
appris à vivre le jour le jour et tous les événements qui arrivaient étaient
provisoires ou transitoires. Ce n’était pas un traumatisme, c’était une
aventure.
Les arbres
Pour moi les arbres sont des éléments protecteurs. Je
me cachais dans la forêt pour échapper aux hommes, un petit peu comme le cerf
ou le loup et, lorsque je gardais le bétail, la nuit, je me souviens de n’être pas très rassuré au
début et surtout lorsqu’il y avait du vent. Une fois il m’est arrivé de
prendre un arbre à bras le corps et de coller mon oreille contre l’écorce et
j’ai entendu le bois craquer et j’ai pensé alors, « Tiens, c’est son cœur
qui bat ». Et depuis, j’ai considéré les arbres comme des êtres protecteurs et je pourrais dire, presque vivants
puisqu’ils avaient un cœur.
Faire quelque chose
Il me semble qu’à l’époque, j’avais conscience de
faire quelque chose. Nous étions à cheval sur la ligne de démarcation. Il
fallait faire passer des groupes qui se réfugiaient dans cette ferme, en
pleine forêt. Il y avait toute une filière et nous passions de groupes de dix,
quinze personnes, des enfants, des aviateurs
anglais abattus, des militaires, des réfractaires au STO, beaucoup de Juifs,
bien sûr, qui venaient à vélo ou à pied …
La peur
La peur, elle ne vient jamais dans l’action. Elle
vient après, lorsque l’action est terminée. Nous avions chacun un rôle. Comme
enfant, j’avais un rôle majeur parce que les Allemands s’intéressaient moins aux enfants qu’aux
adultes et donc j’étais en première ligne pour avertir. Il m’est arrivé effectivement d’avoir peur un jour quand les
Allemands m’ont mis en joue et j’ai bien cru que ma dernière heure était
arrivée.
Des retrouvailles difficiles
J’ai retrouvé ma famille que j’avais complètement
oubliée. Pour moi, je ne pensais jamais retrouver ma famille. Moi, ma famille,
c’était la ferme, et puis ma vie était tracée là-bas. Un jour mon père a
débarqué et j’ai appelé mon père, « monsieur ». J’avais totalement
oublié mon père et lorsque ma mère est venue, ce fut pareil. Pour eux, sans
doute, ce fut une grande déception, Je n’ai pas pris la mesure de la
séparation, les liens n’avaient pas été tissés. Ce sont les retrouvailles qui ont été difficiles. Je me voyais quitter
une vie où j’avais trouvé un certain équilibre et la perspective d’un
changement était traumatisante pour moi.
« Écrire est une façon de déployer enfin mon
histoire au lieu de l’écraser dans le silence et mettre un terme au toujours
provisoire pendant lequel je cherchais à mettre de l’ordre – depuis le début.
Les souvenirs ont été transformés par les ans. Mais
la douleur reste lourde à porter, l’écriture tente de s’en débarrasser. Rien
n’oblige celui qui lit à être malheureux avec celui qui écrit, pourtant, cela
peut faire écho.
Ceux qui sont cassés rendent malheureux leur
entourage. Je ne veux entraîner personne dans ma détresse, pourtant il est
temps de témoigner. J’entends par témoignage, non pas une photo parfaite, mais
le désir de conserver une trace sensible, d’approfondir l’ornière laissée par
d’autres. Un croquis où l’on aurait ôté les détails superflus. »
Bernard Hejblum, L’Île dans la forêt.
Si vous désirez vous procurer le récit de Bernard
Hejblum, contactez l’Amejdam via ce blog, rubrique commentaires, en y laissant vos coordonnées, qui ne seront pas publiées.
Bernard est aussi un artiste, un sculpteur de cages,
un écraseur de grilles, un broyeur de mailles, un ciseleur de rêves de liberté…
©JL+L
Mon travail consiste à écraser des cages, c’est une
façon pour moi de soigner ma névrose de l’enfermement. C’est un travail que
j’ai commencé il y a bien longtemps, ce n’était pas pour moi un travail. Je me
souviens de la première cage que j’ai fracassée… je l’avais ramassée dans une
maison abandonnée et puis d’autres ont suivi jusqu’au moment où j’en ai eu une
grande quantité que j’accrochais sur un mur de ma propriété comme des trophées.
Un jour Frédéric Altmann et France Delville m’ont conseillé d’exposer mes
œuvres. Pendant longtemps, j’ai refusé d’exposer. Mon père m’avait dit tout de
suite après son retour d’Auschwitz, « surtout mon fils, ne te fais pas
remarquer » et quelque part, exposer, c’est également s’exposer.
Je me suis finalement laissé convaincre. Mes amis
m’ont préparé une première exposition et puis d’autres ont suivi et je continue
toujours à soigner ma névrose en écrasant des cages.
©JL+L
J’écrase des cages pour dire combien la liberté est
précieuse. Se battre pour la liberté des autres, c’est aussi se battre pour sa
propre liberté. Pour moi, l’essence de l’individu, c’est de vivre libre. Pour
moi, c’est une révolte, un combat, c’est une résistance. La liberté est un bien
précieux qu’il faut nourrir. Écraser des cages pour moi, c’est une façon de
dire quelque chose et non pas de montrer.
« Ce nouvel usage de la cage est ludique et
heureux, tout en ne cessant d’évoquer ce qu’il peut y avoir de douloureux et
mortifère dans la privation de liberté. Cet aplatissement qui fait de
l’ancienne prison (pour oiseaux, mais c’est une métaphore) une page d’écriture,
un réseau de hiéroglyphes et autres incunables, à la fois opère un rituel de
désamorçage, et un acte de mémoire, qui évoque un avertissement : la cage
est en toi-même, celle où tu t’enfermes, celle où tu enfermes autrui, dans
l’arbitraire de tes représentations, de tes pulsions, infantiles pour
longtemps. »
France Delville
Les cages de Bernard Hejblum sont exposées jusqu'à la fin novembre à la Librairie Niçoise, 2, rue Defly, 06000 Nice.
Les cages de Bernard Hejblum sont exposées jusqu'à la fin novembre à la Librairie Niçoise, 2, rue Defly, 06000 Nice.
©JL+L
Texte, mise en page et entretien : Jacques Lefebvre-Linetzky.
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