La 18e édition du Festival International
du Film sur la Résistance vient de s’achever. Ce festival nous a permis de voir
ou de revoir des films passionnants, tant la programmation a été riche et bien
construite. Jean-Louis Panicacci,
président de l’Association Azuréenne des Amis du Musée de la Résistance et son
équipe, ont fait un travail remarquable et proposé de nombreux films
directement liés avec la Shoah, aussi bien des films de fiction que des
documentaires. Les membres de l’AMEJDAM se sont personnellement impliqués et
sont intervenus de nombreuses fois auprès du grand public et des scolaires, comme à Roquefort-les-Pins.
Serge Binstock, membre du bureau de l'Amejdam, témoigne auprès des élèves du collège César à Roquefort-les-Pins. ©Michèle Merowka
Les élèves ont pu découvrir des films désormais classiques et d’autres, plus rares, plus exigeants, notamment, La petite prairie aux bouleaux de Marceline Loridan-Ivens, film que nous avons présenté (entre autres) au lycée Honoré d’Estiennes d’Orves à Nice, le 23 novembre dernier, avec la participation de Daniel Wancier.
Marceline Loridan-Ivens :
Qui est-elle ?
Marceline Loridan-Ivens
(Image empruntée ici)
Marceline Rozenberg est née à Épinal le 19 mai 1928.
Ses parents ont quitté la Pologne en 1919. Elle a 15 ans lorsqu’elle est
capturée avec son père par la Gestapo en zone sud. Elle est déportée à
Auschwitz par le convoi 71 du 13 avril 1944 dans lequel se trouvait également
Simone Jacob-Veil. Elle est ensuite transférée à Bergen-Belsen, puis à Raghun
(Saxe) et enfin à Theresienstadt. Elle est finalement libérée par l’Armée
soviétique le 10 mai 1945.
Marceline a perdu son père, et une quarantaine de
membres de sa famille, dans les camps de Treblinka et d’Auschwitz-Birkenau.
Au milieu des années 50, elle adhère très brièvement
au Parti communiste français.
Dans le film coréalisé par Jean Rouch et Edgar Morin,
Chronique d’un été (1960), elle
évoque son difficile retour à la vie après les camps. Journaliste et
réalisatrice, elle tourne, Algérie, année
zéro en 1962 en collaboration avec Jean-Pierre Sergent.
En 1963, elle épouse le documentariste hollandais,
Joris Ivens. Ensemble, ils réalisent de nombreux films tels que Le 17e parallèle (1970) ou
encore, Comment Yukong déplaça les
montagnes (de 1972 à 1976). Joris Ivens meurt en 1989, un an après avoir
tourné, Une histoire de vent,
toujours en collaboration avec son épouse. En 2003, Marceline Loridan-Ivens réalise son premier long métrage de fiction, La petite prairie aux bouleaux. Anouk
Aimée y incarne Myriam, une ancienne déportée qui revient sur les lieux de sa
déportation. Elle porte sur le bras le matricule 78750, c’est aussi celui de
Marceline.
En 2008, Marceline Loridan-Ivens, publie ses
mémoires, Ma vie Balagan. Plus
récemment, en janvier 2015, elle s’adresse à son père qui a péri dans les
camps. Et tu n’es pas revenu, est une
lettre poignante dans laquelle Marceline dit sa souffrance. Elle y raconte sa
captivité, son difficile retour en France, son incapacité à se reconstruire
vraiment, le suicide de son petit frère, puis celui de sa sœur…
La petite prairie aux bouleaux
Image empruntée ici
Synopsis
Myriam est cinéaste et grand reporter, établie aux
Etats-Unis. Elle se rend à Paris à l’occasion d’une rencontre annuelle des
déportés qui a lieu chaque année le 27 janvier. Elle y retrouve quelques
anciennes compagnes de déportation. Une tombola est organisée ; Myriam se
voit adjuger le gros lot, une splendide bicyclette. L’une de ses camarades
gagne un voyage à Cracovie, en Pologne, mais refuse de s’y rendre. Myriam finit
par se décider à se rendre à Cracovie, tout près d’Auschwitz-Birkenau et entreprend
ainsi un douloureux voyage à rebours.
Image empruntée ici
Les contraintes du tournage
Marceline Loridan-Ivens tourné son film sur les lieux
mêmes de sa captivité et elle a dû tenir compte des contraintes imposées par le
musée d’Auschwitz. En règle générale, les autorisations de filmer dans
l’enceinte du camp ne sont données qu’aux documentaires. Même Steven Spielberg
n’a pas obtenu l’autorisation de filmer sur place. Pour La petite prairie aux bouleaux, le comité international d’Auschwitz
a fait exception à la règle en raison du sujet du film et de l’histoire
personnelle de Marceline Loridan-Ivens.
La réalisatrice a également soumis le scénario de son film au musée.
Certaines scènes ont été coupées parce qu’elles n’étaient pas conformes à la
vision du musée. Ainsi Marceline voulait que Myriam découvre un amoncellement
de valises à Birkenau alors qu’elles sont exposées à Auschwitz 1.
Le cahier des charges a été très strict. L’équipe de
tournage, réduite au minimum, a filmé les scènes avec un matériel léger et il
était interdit d’ajouter quelque décor que ce fût. L’équipe s’est également
engagée à respecter les règles imposées à tous les visiteurs :
interdiction de manger, de boire, de fumer ou d’utiliser des téléphones
portables. Le tournage devait se faire en toute discrétion.
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Le choix de l’actrice
Marceline Loridan-Ivens avait d’abord pensé à Sandra
Milo ou Jeanne Moreau, mais comme cela s’avéra impossible, Anouk Aimée s’imposa
tout naturellement. Magnifique, d’une élégance douloureuse, elle apporte
justesse et sensibilité au rôle de Myriam dont nous savons qu’elle est le
double de Marceline. L’actrice nous fait voyager au cœur de sa mémoire meurtrie
à jamais. Dans ses yeux pèse le fardeau d’une rage à peine contenue et puis
soudain, le regard se fait presque tendre avant qu’une sorte d’indifférence
glacée ne l’envahisse. Sublime actrice qui nous fait comprendre que les camps
ont étouffé la douceur du personnage qu’elle incarne. On sait qu’elle fut Lola,
qu’elle fut la Jeanne de Gérard Philipe dans Montparnasse 19 et qu’elle regarda amoureusement Jean-Louis
Trintignant dans Un homme et une femme.
On sait tout cela et elle n’en est que plus précieuse dans ce rôle âpre et
exigeant.
« Ce que j’ai voulu
faire passer dans Myriam, c’est le courage et la détermination de cette femme
qui, 50 ans après, revient sur les lieux où elle a vécu l’enfer. C’est un acte
délibéré et elle sait que la confrontation sera violente. Mais elle ne peut pas
continuer à vivre si elle ne vient pas se frotter, se heurter à ses souvenirs.
Cette force m’a fascinée. J’ai aussi aimé qu’on ne montre pas ce qu’a été le
camp. L’histoire se passe au présent. »
Anouk Aimée, source :
Comme au cinéma.com, notes de production.
Le titre
Image empruntée ici
© Christopher Furlong/ Getty images
La petite prairie aux bouleaux est la traduction littérale de Birkenau. En français, ce titre suggère
un lieu bucolique, bien éloigné de l’horreur attachée à Birkenau qui, la plupart du temps est accolé à Auschwitz. La traduction en français est d’une ironie brûlante au
regard de l’Histoire. C’est aussi un constat sur ce que sont devenus les lieux envahis
par les herbes, une interrogation sur la présence de ce passé enfoui. C’est le
lieu de l’histoire du film. Le désigner, c’est se rendre au cœur de la mémoire.
C’est le lieu de la quête de Myriam, c’est là que convergent toutes les
interrogations et les (fausses) certitudes. Myriam ne sait plus si c’est bien
là qu’elle a creusé le sol pour enterrer les morts. Elle se souvient et elle ne
se souvient pas…
« Bouleaux de
Birkenau : ce sont les arbres eux-mêmes – « bouleaux » se dit Birken, « bois de bouleaux » Birkenwald – qui ont donné leur nom au
lieu que les dirigeants du camp d’Auschwitz voulurent, on le sait, consacrer tout
particulièrement à l’extermination des populations juives d’Europe. Dans le mot
Birkenau, la terminaison au désigne exactement la prairie où
poussent les bouleaux, c’est donc un mot pour le lieu en tant que tel. »
Écorces, Georges Didi-Huberman, Les Éditions de Minuit, 2011.
Myriam et Oskar
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La rencontre entre Myriam
et Oskar (August Diehl), un jeune allemand dont le grand-père a été en charge
de l’administration du camp, contribue à enrichir le voyage de la mémoire.
Oskar se confronte au passé de sa famille, à celui de son pays. Armé de son
appareil photo, il cherche des signes qui rendent intelligibles ce passé
chaotique et douloureux. Il ne peut les déchiffrer tout seul. Après l’avoir
violemment rejeté, Myriam lui sert de guide. Le
jeune homme et la rescapée se rapprochent. Elle l’autorise à la photographier
et c’est un sublime cadeau qu’elle lui fait, un cadeau de la vie. Ce qu’ils se
disent est important, mais ce qu’ils ne se disent pas est essentiel. Dans ce
film, le non-dit est au cœur de l’humain. Comment exprimer l’indicible ?
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Un long travelling
En un long travelling de 4
minutes, Myriam traverse le camp. De la
part de la réalisatrice, c’est un choix exigeant, sans concession. Elle prend
le risque de lasser le spectateur en travaillant ainsi sur l’étirement du temps
et de l’espace. Il faut que le spectateur puisse s’approprier la géographie du
lieu. Il lui faut arpenter ce territoire de la mémoire en compagnie de Myriam
afin de s’approcher d’une « réalité » qui, de toute façon, est hors
de sa portée.
Entre documentaire et
fiction
À bien des égards, le film
est une autofiction. Marceline Loridan-Ivens construit son film à partir de son
expérience, de ses souvenirs. Elle traque les zones d’ombres à travers le
personnage de Myriam. Elle part du matériau brut du passé et en sculpte une
fiction. C’est en adhérant à cette fiction que le spectateur peut vivre de
l’intérieur le cheminement de Myriam et celui d’Oskar. D’aucuns affirment que
seuls les témoignages ou les travaux des historiens permettent de comprendre
l’horreur. Marceline Loridan-Ivens parvient, grâce à ce va-et-vient entre
réalité et fiction, à s’approcher au plus près de cette douleur à la fois
assourdissante et muette.
Image empruntée ici
Les cheveux de Myriam
Au début du film, son
brushing est impeccable. Tout est en place, il n’y a pas une mèche rebelle. Un
peu plus tard, elle évoque la tonte des femmes à leur arrivée. C’est la première humiliation, le premier
signe de la déshumanisation de ces êtres que ne seront plus que des
« stücke », des pièces. Le tatouage du matricule sur l’avant-bras
gauche parachève cette entreprise barbare. Myriam arpente les allées du camp,
le vent souffle dans ses cheveux comme il souffle dans les herbes hautes. Ses cheveux de feu perdent leur apprêt tandis
qu’elle revit les scènes du passé. Et le spectateur ne peut s’empêcher de
convoquer les images de ces amas de cheveux récupérés sur les détenues,
vestiges encore visibles de la sauvagerie nazie. Enfin, la chevelure rousse,
c’est aussi celle de Marceline, personnage de feu, imprévisible et rebelle.
Quelques scènes au fil de
la mémoire du spectateur
Myriam retrouve sa
baraque, les châlits. Les noms de ses camarades lui reviennent en mémoire. Elles deviennent présentes par la bouche même
de l’actrice. Nommer, c’est redonner vie.
Myriam s‘accroupit pour
uriner. Oskar la surprend et la réprimande. Elle lui répond : « Je
suis ici chez moi, je fais ce que je veux ». Il s’agit de l’affirmation
d’une liberté dans un lieu où elle a été privée de liberté. C’est aussi une
transgression qui éclaire sa quête. Plus tard, Myriam, d’un geste rageur,
remplace à la craie l’indication « musée » par « camp »,
fonction originale du lieu.
À qui appartient Auschwitz ? À qui
appartiendra Auschwitz lorsque tous les survivants seront morts ?
Myriam découvre des
pupitres rouillés dans les hautes herbes et la musique retentit. Il y avait un
orchestre à Birkenau, comme dans de nombreux autres camps. La musique accompagnait
l’extermination. Ces trois pupitres sont des signes du passé. Myriam les
redresse comme pour leur redonner leur fonction première. Puis elle se met à
marcher au pas, comme un automate et reproduit ainsi dans son corps et dans sa
chair, la folie de ce monde qui l’a marquée à jamais.
Oskar et Myriam passent
une soirée dans une boîte de nuit. Une superbe jeune femme danse. Myriam
l’observe, un léger sourire se dessine sur ses lèvres, un voile de douceur
s’est posé sur ses yeux. Elle admire la jeune fille qu’elle aurait pu être et
le spectateur comprend que cette jeunesse lui a été confisquée. Une autre jeune
fille arpente les allées du camp. Elle porte une robe claire, elle est rousse, elle est également le fantôme de la jeunesse volée
de Myriam qui est, elle-même, le fantôme revendiqué de Marceline.
Myriam se rend dans
l’appartement de ses parents en compagnie du propriétaire de l’hôtel. Elle
reconnaît un vase bleu ayant appartenu à ses parents. L’échange de regards
entre Myriam et l’occupante de l’appartement est un sublime moment de cinéma.
Rien n’est dit et pourtant tout est dit sur la cupidité, l’absence de
culpabilité, le déni…
Ce que l’on entend…
Il y tout d’abord la voix
de Myriam. C’est une voix double, à la fois intérieure et extérieure ; la
voix du passé et celle du présent. On entend de l’anglais, de l’allemand, du
polonais et bien sûr, du français. Le passage d’une langue à l’autre est parfois déstabilisant, comme si la
réalisatrice voulait maintenir le spectateur en alerte et suggérer la
cacophonie linguistique qui régnait dans le camp. Dans
le bruissement des herbes, le vent semble habité de voix mystérieuses et de
vociférations étouffées. Dans les fermes alentours, les chiens jappent, échos
sinistres des aboiements des chiens de garde tandis que dans le ciel, croassent
les corbeaux.
Ce qui reste…
C’est l’un des plus beaux
films sur le sujet, sinon le plus beau. C’est ce que l’on éprouve et que l’on a
envie d’exprimer. Et pourtant, on hésite, on est tenté de se reprendre tant
l’expression paraît inadéquate et même choquante à bien des égards. S’agit-il
d’esthétique ou de vérité ? Le film est à la fois beau et vrai. C’est
parce qu’il est vrai, juste, authentique que nous en percevons sa beauté
secrète.
À propos du film…
« Pour moi, faire ce
film, c’est partir de l’intérieur, partir de l’intimité la plus profonde et
restituer sans fioritures, sans exagération, en étant très prudente, en évitant
de s’octroyer des histoires, peut-être plus dramatiques qui serviraient son
discours, qui joueraient plus encore sur le chagrin, la compassion, la douleur.
Non, c’est le fait nu, ça se suffit à lui-même, c’est mon sentiment. (…) Cette
expérience, personne ne l’a que celui qui l’a vécue. Pour moi, le plus
important, c’était de montrer ce camp dans cette vastitude. Personne n’avait
osé faire ce travelling d’un bout à l’autre du camp. Il ne fallait pas avoir
peur d’ennuyer. J’étais toujours sur le fil rouge entre documentaire et
fiction. Ce qui était important, c’était cette transmission, elle apporte
beaucoup plus profondément aux gens qui ne savent rien. (…) J’ai porté ce film
pendant 35/40 ans. Je lui ai donné 8 ans de ma vie. Surtout ne pas trahir mes
compagnes, surtout ne pas me servir de leurs histoires parce que leurs
histoires leur appartiennent. »
Marceline Loridan-Ivens,
témoignage, Mémorial de la Shoah, cliquez ici
Textes et mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky
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