© Michèle Merowka
Il a été le
premier à accepter d’être membre d’honneur de l’AMEJDAM, il vient de partir, sur la pointe des pieds; sa vie a été évoquée dans le monde entier, en
France bien sûr, mais aussi aux États-Unis, en Russie, et jusqu’au Japon
m’a-t-on relaté…
Trois dates
Son nom ? Georges LOINGER. Son âge ? 108 ans et demi. Quelques mots pour vous raconter sa vie que je vais vous résumer en deux dates ou plutôt trois :
Joseph (Georges) Loinger naît le 29 août 1910 à Strasbourg, dans le foyer de Salomon
et Mina Loinger, un couple de Juifs traditionnalistes, venus d’Europe de l’Est.
Le 29 août 2018, dans un appartement parisien, Georges
Loinger fête son 108ème anniversaire, entouré par sa famille et
quelques amis proches : Serge, Beate et Tania Klarsfeld, Haïm Korsia,
Grand rabbin de France, Jean-François, Président de l’OSE, et Patricia Sitruk,
Francis Kalifat, Président du CRIF, représentants de la Fondation pour la
Mémoire de la Shoah et du Mémorial de la Shoah.
Il y avait aussi son amie Frida
Wattenberg avec qui il a écrit le livre sur les dix réseaux de Résistance juive et
l’historienne Katy Hazan avec qui il a écrit Aux frontières de
l’Espoir et des membres de sa famille, entre autres son frère venu
d’Israël avec son fils et son petit-fils, et bien sûr, des amis tous heureux
d’entourer Georges et de lui souhaiter selon la tradition juive de vivre jusqu’à
120 ans !
Et pourtant…
Le 28 décembre 2018 : il a quitté ce monde pour rejoindre
son épouse Flore et son fils, Guy, parti avant lui, en 2012.
Une vie bien remplie
Le petit Georges est prématuré, il doit la
vie aux soins attentifs de sa jeune mère qui met son nouveau-né dans un
confortable nid de coton... c’était un temps où les couveuses n’existaient
pas.
Mina et les quatre aînés
© archives familiales, DR.
© archives familiales, DR.
Après Georges, six autres enfants sont
nés : trois filles et trois garçons. Tous sont nés à Strasbourg et les
quatre premiers, nés avant la Première Guerre mondiale, sont Allemands. Ils
sont naturalisés français quand l’Alsace est rattachée à la France.
Les trois derniers sont Français par
naissance dans une Alsace redevenue française. Strasbourg, ville frontalière
revendiquée alternativement par la France et l’Allemagne, offre l’avantage à
ses habitants d’être parfaitement bilingues. L’entre-deux guerres permet à la
fratrie de grandir paisiblement, en fréquentant assidument un mouvement de
jeunesse sioniste : la Hatikwa
(l’Espoir en hébreu).
Grâce à sa connaissance de l'allemand,
Georges est sensibilisé très tôt au danger de la montée du nazisme. Il entend
les discours d’Hitler et comprend que cet homme mettra son projet antisémite à
exécution. Il abandonne les études d’ingénieur qu’il a entreprises, pour devenir
professeur de gymnastique.
Georges se marie à 24 ans, avec Flore Rosenzweig, une jeune fille qu'il a connue à la Hatikwa. Ils s’installent
à Paris où Daniel nait en mai 1937. Il est un des fondateurs de l’École
Maïmonide ou il enseigne la gymnastique aux enfants juifs portés plutôt sur
l’étude que sur le sport. Son épouse Flore est alors économe dans le même
établissement. Il s’occupe aussi
d’accueillir des enfants juifs livrés à eux-mêmes le jeudi, jour sans école…
les enfants, toujours les enfants…
Les années de guerre
Septembre 1939. La guerre est déclarée. Georges est mobilisé
dans un régiment basé en Alsace, qui doit se rendre quand l’Armistice est signé
par Pétain. Prisonnier de guerre, il s’évade avec un de ses cousins Marcel
Vogel, interné dans le même stalag.
De retour en France, il retrouve sa famille
et Guy, leur second enfant naît en
décembre 1942. Georges intègre la Résistance française, dans le Réseau
Bourgogne. Les Résistants luttent pour gagner la guerre et le sort des juifs n’est
pas une priorité pour eux. Mais les Juifs comprennent que s’ils attendent la
défaite de l’Allemagne, il n’y aura peut-être plus de Juifs à sauver. Georges participe
alors à la création d’une Résistance issue de la communauté juive.
Joseph Weill, un médecin alsacien, dirige l’OSE (Œuvre de
secours aux enfants). Il contacte Georges et lui demande d’organiser
l’éducation physique dans les maisons d’enfants, mais le danger est grand de
regrouper de nombreux enfants dans un même lieu. Il faut fermer les maisons
d’accueil et disperser les enfants en les transférant vers des lieux sûrs.
© Archives de l'OSE, 1944, DR.
Il se consacre alors au sauvetage des
enfants, créant à Annemasse une filière de passage en Suisse qui permet de
sauver plusieurs centaines d’enfants. Repéré, il parvient à faire passer la
frontière à son épouse Flore et à ses deux enfants, Daniel et Guy.
Il n’est pas le seul de la fratrie à
s’engager dans le sauvetage des enfants juifs : ses sœurs Fanny et Emma
travaillent aussi pour l’OSE, et même la plus jeune, Yvette qui n’a que 14 ans
transporte de l’argent servant à payer les personnes qui accueillent des
enfants. Ses cousins Dora Amelan et Simon et Marcel Mangel, connu plus tard dans le monde entier comme le Mime
Marcel Marceau se sont également engagés dans la Résistance.
La paix revenue
La paix revenue en France, il participe à
l’aventure sioniste et organise des
départs clandestins de rescapés de la
Shoah vers Israël, entre autres l’Exodus, qui médiatise le problème des
survivants des "Camps de la Mort".
Sa vie
professionnelle est la suite de son engagement : directeur de la ZIM,
compagnie de navigation du jeune État d’Israël, il aide de nombreux survivants
de la Shoah à se rendre en Israël, en réservant dans chaque voyage des places
pour les candidats à l’émigration. C’est ainsi qu’il rencontre un des jeunes
survivants de Buchenwald, à qui il offre le voyage : Elie Wiesel
n’a jamais oublié ce geste et le raconte dans son livre Tous les fleuves vont à la mer.
Ensuite, il réoriente la compagnie de
navigation en organisant des croisières-pèlerinage vers la Terre Sainte, en collaboration avec le Père Riquet. Ensemble, ils participent à la création de la fraternité
d’Abraham, qui œuvre au rapprochement des trois religions monothéistes.
Une retraite active
Sa retraite est
active. Président des "Anciens de la Résistance
juive française", il se rend compte que seuls témoignent les Juifs
ayant lutté dans la Résistance française avec la FTP-MOI. (Francs-Tireurs Partisans - Main
d’œuvre Immigrée)
Il se
donne alors pour mission de faire reconnaitre le rôle de la Résistance juive
composée de différents réseaux de sauvetage et de lutte armée. Ecrit avec Jean Brauman et Frida Wattenberg,
publié en 2006, réédité et complété en 2008 le livre Organisation juive
de combat, France 1940-1945 présente ces dix réseaux de
Résistance et surtout font connaitre la Résistance juive
En 2006, Katy Hazan, historienne de
l’OSE, prête sa
plume à Georges pour écrire Aux frontières de l’Espoir,
Editions le Manuscrit, 2006.
En 2010,
l’année de ses 100 ans, il vient à Nice, au centre Jean Kling, présenter son livre lors d’une conférence
avec Katy. Leur duo a eu beaucoup de
succès, et nous avons filmé ce moment assez extraordinaire, ce dialogue entre
l’historienne et le centenaire dont l’humour et les réponses pertinentes ont
ravi le public.
Un deuxième livre sur Les
Résistances juives pendant l’occupation, est écrit avec le
concours d’une autre historienne, Sabine Zeitoun aux éditions Albin Michel.
Enfin, en
2013, l’année de ses 103 ans, j’ai eu le plaisir d’écrire pour lui et avec lui, L’odyssée
d’un Résistant, témoignage d’un centenaire, enfant d’Alsace, un quatrième livre qui résume les trois
précédents et replace les événements dans leur contexte historique. Cet ouvrage a été publié à Nice par les Éditions Ovadia.
Un homme profondément juif
Georges a toujours été
profondément juif, très attaché
à Israël où vivaient plusieurs de ses frères et sœurs, mais il était un Juif
laïc. Sa rencontre avec Haïm Korsia,
avant que celui-ci soit nommé grand rabbin de France, l’a ramené vers la
pratique du judaïsme. Une profonde amitié a rapproché les deux hommes.
Le
temps des honneurs
Georges Loinger, officier de la Légion d'honneur
et ses fils, Guy et Daniel.
Réception à l'OSE, Paris, 19 mai 2005,
© Archives familiales, DR.
et ses fils, Guy et Daniel.
Réception à l'OSE, Paris, 19 mai 2005,
© Archives familiales, DR.
De 1950 à 1970, Directeur pour la France et les pays du Bénélux de la Zim Israël Navigation Company, ses états de service sont reconnus en France et à l’étranger, ce qui lui vaut le titre de chevalier de la légion d’honneur
Commandeur
de la Légion d’honneur à titre militaire.
Vice-président
du CAR (Résistance nationale).
Président de
l’ARJF-OJC, anciens de la Résistance juive, organisation juive de combat.
Délégué pour
la Résistance du CRIF et de l’OSE.
En 1995, à Washington, il assiste à une
convention internationale de l’OSE au
cours de laquelle il a retrouvé un grand nombre d’« enfants cachés »
qu’il avait sauvés.
Le 15 décembre 2011, à Grenoble, il reçoit le Prix Louis Blum.
le 25 janvier 2012, à Barcelone, il participe à un colloque sur la Résistance juive,
En novembre 2012, à Londres,
il reçoit le Grand prix de l’observatoire international de Justice Juvénile.
En février 2013, Jean-François
Guthmann, président de l’OSE, l’invite à un voyage officiel en Israël,
véritable hommage à l’homme et à ce qu’il représente en tant que Résistant
français et Résistant juif. Il est reçu avec la délégation de l’OSE par Shimon
Pérès, Président de l’Etat d’Israël. Les deux hommes devisent en français.
Le 12 juillet 2016, l’ambassadeur d’Allemagne lui a remis les
insignes d’Officier de l’Ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne.
Ainsi, plus de 70 ans après la fin de la guerre, un soldat évadé d’un stalag,
un Résistant français qui a rejoint les rangs de la Résistance juive, un homme
qui a sauvé des enfants juifs d’une mort programmée par les nazis, un ennemi du
régime mis au pouvoir par le peuple allemand, a été honoré par les autorités du
pays contre lequel la France était en guerre de 1939 à 1945.
Lundi 13 février 2017,
au Mémorial de la Shoah, neuf personnes ayant participé à la Résistance juive
ont été honorées, parmi toutes celles qui ont sauvé des Juifs au péril de leur
vie. Sa sœur Fanny Loinger,
responsable du service social de l’OSE et son cousin Marcel Marceau ont reçu cette reconnaissance à titre posthume.
Jeudi 31 août, au Centre Moadon où officie le Grand rabbin de France, la ministre des armées Florence Parly lui remet les Palmes Académiques.
Le 27 juin
2018, Aliza Bin-Noun, Ambassadeur d’Israël, lui remet un diplôme de reconnaissance pour le sauvetage des enfants juifs
pendant la Deuxième Guerre mondiale. Le jour de l’enterrement de Georges, elle a raconté qu’elle avait dû inventer une distinction car en Israël seuls les militaires ont des
médailles et Georges était un civil.
Le 31 décembre, le monde juif était réuni
pour un dernier adieu à ce patriarche qui a su garder sa simplicité et son
humour toute sa vie.
Adieu Georges, mon cher oncle.
Bibliographie
Organisation juive de combat, France 1940-1945, Résistance/Sauvetage, Georges Loinger, Jean Brauman, Frida Wattenberg, Éditions Autrement, collection Mémoire/Histoire, 2002, réédition complétée en 2006.
Aux frontières de l'espoir, Georges Loinger, Katy Hazan, Éditions Le manuscrit, 2006.
Les Résistances juives pendant l'Occupation, Georges Loinger, Sabine Zeitoun, Préface de Simone Veil, Jean-Louis Crémieux-Brilhac, André Kaspi et Serge Klarsfeld, Éditions Albin Michel, 2010.
Une biographie de Georges Loinger est disponible dans toutes les bonnes librairies. Elle s'intitule, L'Odyssée d'un Résistant, témoignage d'un centenaire, enfant d'Alsace, aux éditions Ovadia, 2014. Biographie écrite avec le concours de Katy Hazan et de Michèle Schangler-Merowka.
Une biographie de Georges Loinger est disponible dans toutes les bonnes librairies. Elle s'intitule, L'Odyssée d'un Résistant, témoignage d'un centenaire, enfant d'Alsace, aux éditions Ovadia, 2014. Biographie écrite avec le concours de Katy Hazan et de Michèle Schangler-Merowka.
Textes et photos: Michèle Merowka
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