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mercredi 5 décembre 2018

DE LA NÉCESSITÉ DE TRADUIRE EN JUSTICE LES DERNIERS CRIMINELS NAZIS


De sinistres vieillards 


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Ils sont âgés, fragiles, voûtés, amoindris, rapetissés par les ans. Ils arrivent au tribunal en chaise roulante. Ils ont plus de 90 ans. Ils avaient donc à peu près 20 ans au moment où ils ont sévi. On a du mal à les imaginer jeunes, vigoureux, cyniques, aboyeurs, brutaux, sanguinaires et pourtant, ils étaient bien présents et actifs au sein de la machine d’extermination nazie.


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D’aucuns diront qu’ils n’étaient que des sous-fifres, des subalternes, mais sans eux, l’industrie de la mort se serait enrayée. On se demande comment ils ont pu vivre une vie « normale » pendant 70 ans et plus. En fait, on sait comment cela se passe. Il suffit de se réfugier dans le déni, il suffit de se dire que l’on obéissait aux ordres et ainsi on efface toute responsabilité. On n’est qu’un pion, on redevient banal, sans uniforme.
Rares sont ceux qui se sont effondrés lors de leur procès ; la majorité d’entre eux n’a jamais montré le moindre signe de remords. Âgés, rabougris, ils assistent à leur procès sachant qu’ils n’iront vraisemblablement pas en prison ; certains meurent peu de temps après avoir été condamnés.

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SIMON WIESENTHAL CENTER/Jim Mendenhall

La traque
Comme chacun le sait, c’est Simon Wiesenthal, mort en 2005, qui a initié la chasse aux anciens nazis de par le monde. En France nous avons Beate et Serge Klarsfeld. À propos, ne manquez pas l’exposition en leur honneur qui se tient à la Villa Masséna à Nice jusqu’au 27 janvier 2019. 


©JL+L 2018

Le Centre Simon Wiesenthal est désormais géré par Efraïm Zuroff, un historien israélien d’origine américaine, né en 1948. 
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Il a sillonné le monde entier pour traquer d’anciens nazis. Il s'est rendu en Australie, au Canada, en Grande-Bretagne, dans les pays d’Europe de l’Est, en Lituanie, en Estonie, en Lettonie. C’est lui qui a permis l’arrestation de Dinko Sakic lequel a passé plus de 50 ans de sa vie, tranquille, en Argentine. Condamné à 20 ans d’emprisonnement en 1998 à Zagreb (ex Yougoslavie), il a été le premier ancien nazi condamné dans un pays jadis membre du bloc communiste. Il est resté 10 ans en prison et il est mort en 2008 des suites de problèmes cardiaques.

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Zuroff a publié de nombreux ouvrages décrivant son travail, notamment, Chasseur de nazis, publié aux éditions Michel Lafon en 2008. En 2002, il a lancé l’opération Last Chance (Dernière chance) qui offre une récompense de 10 000 dollars à toute personne dont le témoignage permet l’arrestation d’un criminel nazi.


L’opération a tout d’abord concerné la Lituanie, l’Estonie et la Lettonie en 2002. En 2003, ce fut le tour de la Pologne, de la Roumanie et de l’Autriche. En 2004, l’opération fut lancée en Croatie et en Hongrie, puis en Allemagne en 2005.
En 2008, la récompense a été portée à 25 000 dollars. 


Jamais trop tard 

L'ancien garde du camp de Sobibor, John Demjanjuk, a été condamné en 2011 à cinq ans de prison. Il est mort un an plus tard à l'âge de 91 ans. Son cas a crée un précédent en Allemagne, car le fait d'avoir travaillé dans un camp de concentration s'est avéré alors une charge suffisante pour accuser un ancien garde de complicité de meurtres. 
Lors de son procès, Demjanjuk  a nié les faits en bloc et affirmé avoir été capturé en 1942 alors qu'il servait dans l'Armée Rouge.
Il maintenait qu’il avait passé le restant de la guerre dans des camps de prisonniers avant d'émigrer aux États-Unis où il avait travaillé dans des chaînes de montage d'automobiles à Cleveland (Ohio) et élevé trois enfants.

En 2012, Laszlo Csatary, le criminel nazi le plus recherché au monde, a été retrouvé grâce à l'opération Last Chance. Il se cachait dans son pays d'origine, la Hongrie. 
Après la défaite de l'Allemagne, Laszlo Csatary s'est enfui au Canada sous une fausse identité où il est devenu marchand d'art. En 1997, sa véritable identité a été découverte et il a quitté le Canada. Il s'est volatilisé pendant 15 ans. Cet ancien chef de la police de Kosice, petite ville de Hongrie à l'époque, a été accusé de complicité dans la déportation de 15 700 Juifs. Il est mort en 2013 sans avoir été jugé alors qu'il avait été condamné à mort par contumace en 1948. 
En 2013, Zuroff a lancé une deuxième campagne, intitulée Last Chance 2 (Dernière chance, épisode 2). Cette campagne avait pour slogan, « Spät Aber Nicht Zu Spät » (Tard, mais pas trop tard). 2000 affiches ont été placardées dans les rues de Berlin, Hambourg et Cologne. La récompense a été portée à 25 000 dollars.

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En 2016, Reinhold Hanning, 94 ans, un ancien gardien d’Auschwitz a été jugé dans la petite ville de Detmold en Allemagne pour complicité du meurtre de 170 000 personnes. Déclaré coupable, il a été condamné à 5 ans d’emprisonnement. Il est décédé une année plus tard sans jamais avoir passé un seul jour en prison car ses avocats avaient fait appel du jugement en 2016.
En septembre 2017, Hubert Zafke, un ancien infirmier SS âgé de 96 ans, accusé d’être coresponsable du meurtre de 3681 personnes, n’a pas été poursuivi en raison de son état de santé. Le tribunal de Neubrandenbourg a annoncé la fin des procédures après la présentation d’un rapport d’experts psychiatres estimant que le nonagénaire ne pouvait être jugé en raison de sa démence.

Oskar Gröning, dit "le comptable d'Auchwitz", condamné à quatre ans de prison en 2015, a multiplié les recours pour éviter d'être incarcéré. Il est mort à l'âge de 96 ans en mars 2018 sans avoir passé un jour en prison.

En août 2018, l'Allemagne a accepté de recevoir sur son sol un ancien garde SS de 95 ans expulsé des États-Unis (car il y était entré sous une fausse identité). Il s'agit de Jakiw Plalij qui vivait à New-York depuis 1949. Il avait été auxiliaire SS dans le camp de travail forcé de Trawniki (Trawniki est un village situé à une quarantaine de kilomètres à l'est de Lublin en Pologne) dans lequel plus de 6000 Juifs ont été exterminés. Dès son arrivée en Allemagne, Plajil a été admis dans une maison de retraite en raison d'un imbroglio judiciaire.
Zuroff a salué les efforts de l’Allemagne, mais a regretté le fait que plusieurs pays, notamment l’Ukraine, de même que la Norvège et la Suède, refusent d’entamer des actions en justice à l’encontre d’anciens collaborateurs des nazis.
Johann Rehbogen, un ancien gardien du camp nazi de Stutthof (camp proche de Dantzig - Gdansk, Pologne), est jugé en ce moment au tribunal de Munster, en Allemagne. Il a exprimé sa honte d’avoir été SS.  Âgé de moins de 21 ans au moment des faits, il a affirmé n’avoir rien su du sort réservé aux Juifs.


Serge Klarsfeld à la Villa Masséna, Nice, nov.2018
©JL+L 2018
Faut-il juger les derniers criminels nazis ? Le point de vue de Serge Klarsfeld (2016) recueilli par Laurent Ribadeau pour franceinfo


Extraits
De tels jugements ont-ils encore un sens plus de 70 ans après la fin de la Seconde guerre mondiale ?

Il y a 40-50 ans, la société allemande, composée de personnes qui avaient vécu le nazisme, ne voulait pas qu’on juge les criminels de cette période. Elle n’avait pas conscience des crimes commis contre les juifs. Les juges se sont donc montrés dociles vis-à-vis d’elle et des pouvoirs publics allemands. Alors qu’à cette époque vivaient encore des criminels importants pour lesquels on pouvait trouver des témoins et des documents. Aujourd’hui, la situation a changé. La société allemande a pris conscience des crimes commis pendant la période nazie, et elle les assume. Elle entretient une amitié solide avec Israël, elle paye des réparations pour les survivants de l’Holocauste. Elle l’assume aussi du point de vue des criminels. C’est ainsi que se trouvent impliqués des gens très âgés, qui avaient entre 17 et 24 ans au moment des faits et occupaient des fonctions subalternes. (…)


Précisément sur quels fondements juridiques la justice allemande se base-t-elle ?

Ils ont changé. Avant le procès Demjanjuk en 2009, les accusés étaient jugés pour leur implication personnelle dans les faits incriminés. Mais depuis ce procès, il suffit, pour les juger, qu'ils aient appartenu à une organisation criminelle. On n'a plus à prouver leur implication personnelle. Ils sont automatiquement accusés sauf s'ils réussissent à prouver leur innocence. Demjanjuk a fait appel de sa condamnation, mais il est mort (en mars 2012, avant que la Cour fédérale (Bundesgerichtshof, plus haute instance judiciaire en Allemagne) ne rende sa décision et ne donne son point de vue sur les fondements juridiques de ce type de procès. Le fait que les Allemands veuillent juger les anciens criminels nazis est positif. Le problème, c'est que cela se fait sans preuve et ne relève ps des principes d'une justice équitable. On s'intéresse ainsi à des gens qui ont occupé des fonctions subalternes, comme des gardiens de camp, pour des faits pour lesquels il existe très peu de témoins survivants.Et si l'on en trouve encore, ceux-ci ont souvent une mémoire défaillante. Il manque aussi des preuves écrites en raison de caractère subalterne des personnes incriminées. (...)


Quelle conclusion en tirez-vous?

On assiste aujourd’hui à la fin d’un processus, avec des accusés très âgés, qui ont parfois plus de 95 ans. C’est un processus maladroit qui va continuer jusqu’à la disparition des dernières personnes impliquées. Dans ce contexte, l’évolution de ces affaires ne peut pas donner une pleine satisfaction à ceux qui veulent voir des jugements aboutir. Il en restera toujours un sentiment de malaise. 

Pour lire l'intégralité de l'entretien, cliquez ici


Une série d'émissions passionnante

L'été dernier, France Culture a diffusé une série d'émissions intitulée Chasseurs de nazis, écrite par Michel Pomarède et réalisée par Jean-Philippe Navarre. (Fr., 2018, 40 × 10 min).

Pour écouter l'émission consacrée à Efraïm Zuroff, cliquez ici.

Pour découvrir la "méthode Klarsfeld", cliquez ici


Bibliographie

La traque des criminels nazis, Serge et Neate Klarsfeld, Flammarion, 2015. 

Mémoires, Serge et Beate Klarsfeld, Flammarion, 2015.

Tous les espions sont des princes: la véritable histoire des services secrets israéliens, Dan Raviv et Yossi Melman, Stock, 1991. 

Chasseur de nazi, Efraïm Zuroff, Michel Lafon, 2008. 


Un film

Apocalypse - Hitler
La traque des nazis 1, 
Isabelle Clarke & Daniel Costelle, 2011.
Pour voir le film, cliquez ici

Apocalypse - Hitler
La traque des nazis 2, 
Isabelle Clarke & Daniel Costelle, 2011.
Pour voir le film, cliquez ici



Pour écouter l'émission de l'AMEJDAM, Au nom des enfants, cliquez ici



Texte et mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky 

 

 

 

 




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