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mardi 19 novembre 2019

ALAIN ROMANS, DE CHARLES DE GAULLE À JACQUES TATI







@INA

Le 18 février 1971, Alain Decaux, lors de son émission, "Alain Decaux raconte", choisit de conter l’histoire absolument extraordinaire d’Alain Romans. Vous le connaissez peut-être, sans le connaître vraiment.
Il est le compositeur de cette musique : Les vacances de M. Hulot , Jacques Tati, 1952 – Quel temps fait-il à Paris ? Interprété au piano par Alexandre Leroi-Cortot. Cliquez ici, pour vous le remémorer. 



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Alain Romans est donc un compositeur et un pianiste de jazz. En fait, il était né Roman Abram Szlesynger à Czestochowa en Pologne, en 1905. Naturalisé français en 1930, il a étudié à Leipzig, Berlin et Paris. Il s’est fait un nom durant les années 30 en se produisant dans de nombreux cabarets, en composant des musiques de films et en intervenant à la radio. Il a accompagné des artistes de renom, tels que Joséphine Baker et Django Reinhardt.




Image empruntée ici

Lorsque la Deuxième Guerre mondiale éclate, il a déjà une belle carrière à son actif. Âgé de 35 ans, il est mobilisé en 1939 au 46e régiment d’infanterie. L’armée française est en loques et notre pianiste se retrouve dans les Landes en 1940. Il n’est pas question pour lui d’accepter la défaite. Il se fait faire un faux passeport, devient Jean Duval et parvient à passer en Espagne. Il s’embarque à bord d’un cargo britannique qui l’emmène à Liverpool d’où il rejoint Londres. Tout naturellement, il se rend au quartier général de la France Libre. Mais les services britanniques s’intéressent immédiatement à lui en raison de sa maîtrise du polonais, de l’allemand et du français. Il est intégré dans le commando de parachutistes qui plus tard s’illustra, le 6 juin 1944, sous les ordres du commandant Kieffer. 




Insigne du béret du 1er bataillon de fusiliers marins commandos. Image empruntée ici.

Il reçoit une formation de deux mois et, à la fin de l’année 1940, il est parachuté en France avec 5 autres commandos, afin de surveiller les mouvements de la Kriegsmarine depuis l’île de Batz, petite commune insulaire au large de Roscoff dans le nord Finistère. 





Image empruntée ici

Malheureusement, le pilote s’égare et les 6 hommes touchent le sol à Saint-Servan, tout près de Saint-Malo. Alain Romans s’aperçoit très vite de la méprise. Ils cachent le poste émetteur ainsi que les parachutes, bien décidés à rejoindre Nantes d’une manière ou d’une autre. Dans l’obscurité, ils voient une forme imposante qu'ils ne distinguent pas avec précision. Il s'agit, en fait, du fort d’Aleth qui sert de citadelle aux Allemands. On y trouve désormais un mémorial.



Image empruntée ici

Les membres du commando sont faits prisonniers sur le champ, ils ne sont en France que depuis 45 minutes environ. Les jours suivants, ils sont privés de nourriture et d’eau, torturés à maintes reprises. Comme ils sont armés et ne portent pas d’uniforme, ils sont considérés comme des terroristes.
En 1960, Barry Wynne, publie en anglais un récit rapportant les aventures d’Alain Romans – l’ouvrage s’intitule, Un cercueil de trop



Sur sa barbe hirsute, des plaques de sang séché. Aux flancs, sur la poitrine, des traces de brûlure. Du rouge, toutes les sortes de rouge. Reliant les plaies, comme un chemin de cendres. Ce qui restait des cigarettes qui avaient transformé ce corps en loque à peine humaine. La mort lui paraissait maintenant inévitable. Tout compte fait, il valait mieux mourir que de parler sous la torture. Alain Romans, alias Jean Duval, se laissa tomber dans un coin de sa cellule. Une fois de plus, au prix d’un effort gigantesque, il se fouilla à la recherche de sa pilule de cyanure. En vain. La pilule n’était plus là. Avant d’entrer dans la sinistre prison, on l’avait fouillé, épluché, examiné sous toutes les coutures.
Un cercueil de trop, Barry Wynne, Presses Pocket, 1964, p. 9, traduit de l’anglais par  Fred Jansen.

Le 5e jour, ils sont conduits devant un peloton d’exécution – c’est un sinistre simulacre destiné à les faire parler. Le lendemain, ils ne sont plus que 5 et ils sont à nouveau menés devant un peloton d’exécution. Cette fois, les balles sont réelles. L’officier qui dirige le peloton, leur donne le coup de grâce. Vraisemblablement distrait par le passage d’un avion de la RAF à ce moment-là, il manque de précision au moment où il s'apprête à achever Alain Romans.
Les Allemands ordonnent ensuite à des pêcheurs bretons de jeter les cadavres à la mer dans des caisses lestées de pierres. Durant le transport, l’un des 5 cadavres donne des signes de vie. Il s’agit d’Alain Romans. On le transporte discrètement à Dinan où il est soigné pendant des mois par un chirurgien. Au terme de cette longue convalescence, il décide de retourner en Angleterre grâce à un réseau de résistance basé à Nantes. C’est à Nantes qu’il est raflé dans un café. Les Allemands n’établissent aucun rapport avec son arrestation précédente car il a pris soin d’utiliser sa véritable identité. Toutefois, il est déporté à Treblinka en tant que Juif avant d’être envoyé à Kaunas en Lituanie.



Le Neuvième Fort de la forteresse de Kaunas reconstruit. 
Utilisé par les nazis  pour l'exécution des Juifs et d'autres condamnés.
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C’est à la faveur de l’offensive allemande contre l’URSS (juin 1941 – janvier, février 1942) qu’il parvient à s’évader et à rejoindre les lignes soviétiques. Il a du mal à convaincre les Soviétiques de sa bonne foi. Finalement, il s’en sort grâce à ses talents de musicien. Libéré par les troupes soviétiques, il embarque à Mourmansk à destination de Liverpool sur un cargo britannique. De Liverpool il se rend à Londres et reprend ses activités pour l’Intelligence Service en 1942. De nouvelles opérations de chirurgie plastique sont alors nécessaires afin de reconstruire un visage meurtri par les coups reçus.
Il s’engage ensuite dans la France Libre alors qu’il est à Alger. Il est affecté à l’état-major du général Monsabert, commandant de la 3e DIA (division d’infanterie algérienne) en qualité d’interprète et d’officier de liaison. Il participe à la campagne d’Italie, au débarquement de Provence à Saint-Tropez, aux combats de la Libération… 



Le château de Sigmaringen
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Son périple s’achève à Sigmaringen, ville située dans le sud de l’Allemagne dans le land du Bade-Wurtemberg. C’est là que le régime de Vichy trouva refuge de septembre 1944 à avril 1945.
Héros discret, Alain Romans a été décoré de la Légion d’Honneur et plus tard le maréchal de Lattre de Tassigny lui a remis la rosette d’officier de la Légion d’honneur.



@INA
Alain Romans n’aimait pas parler de ses exploits et c’est même avec réticence qu’il a accepté de participer à l’émission d’Alain Decaux. La discrétion était chez lui une seconde nature – formé à des missions secrètes durant la Seconde Guerre mondiale, on soupçonne qu’il a continué à œuvrer durant la guerre froide tout en se produisant en tant que musicien et compositeur.




Alain Romans présent lors de l'émission, Alain Decaux raconte, 
le 18 février 1971
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Antoine du Passage, président de la fondation des Gueules cassés, rapporte une anecdote savoureuse :



Dalida (1957)
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En 1957, au retour d’une mission professionnelle dans les champs pétrolifères d’Hassi-Messaoud, je m’installai à l’hôtel Aletti d’Alger afin de rédiger tranquillement mon rapport. Une affiche du music-hall « l’Olympic » retint mon attention : au programme, en grosses lettres, figurait la chanteuse Dalida. Au dessous, en plus petits caractères : « Alain ROMANS et sa musique douce ». Bien entendu, je m’y précipitai dès le soir. Alain fut égal à lui-même inspiré, émouvant, génial. J’étais enchanté. Las ! en rentrant â l’hôtel, je trouvai mon ami Alain en larmes. Effondré sur une banquette du bar, il sanglotait dans les bras de la gentille Dalida qui lui disait : « Mais, mon gros, tu n’as rien compris, tu es idiot. À Alger, chez les pieds-noirs, quand le public est content, il applaudit. Et quand il est très content, il siffle ! Toi, tu as été sifflé comme moi-même je ne l’ai jamais été ! Et, stupidement, tu n’as pas répondu à des rappels qui étaient pourtant enthousiastes ! »
Enfin rasséréné, et devant des boissons fortes, Alain retrouva toute sa bonne humeur naturelle. Quant à son immense talent, il nous en administra la preuve séance tenante, à minuit, grâce au piano du bar quasi désert. Ainsi Dalida et moi et quelques clients attardés eûmes droit à un sublime petit récital privé venu du fond du coeur. Comme s’il voulait, de cette rude journée, avoir le dernier mot – et le meilleur !

À la fin de sa vie, Alain Romans fut engagé par l’hôtel Hilton; au-dessus de son piano figurait une injonction digne des saloons des Westerns : "Il est interdit de tirer sur le pianiste".



Pour écouter la musique de Mon oncle, Jacques Tati (1958), cliquez ici.


Texte et mise en page, Jacques Lefebvre-Linetzky


1 commentaire:

  1. On connait trop peu l'histoire d'Alain Romans, et pourtant quel parcours! Merci beaucoup, Jacques.

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