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lundi 19 octobre 2020

LE MASSACRE DE TULLE, ENTRETIEN AVEC FABRICE GRENARD

 



Ouest-France, DR
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Le 13 octobre dernier, Fabrice Grenard nous a accordé un entretien à propos du massacre de Tulle le 9 juin 1944. 

Fabrice Grenard est diplômé de l'IEP, Paris, agrégé de l'Université et docteur en Histoire. Il a enseigné en lycée et à Sciences PO, Paris. Il dirige actuellement le département recherche et pédagogie de la Fondation de la Résistance. Il s'est spécialisé dans les aspects économiques et sociaux des années de guerre. Ses recherches ont également porté sur les maquis et la Résistance. Enfin, il s'est  intéressé à la reconstruction de la France au lendemain de la guerre.
 
Fabrice Grenard a publié de nombreux ouvrages :

La traque des résistants, Tallandier, 2019.
Tulle, enquête sur un massacre, 9 juin 1944, Tallandier, mai, 2014.
Une légende du Maquis, Georges Gingouin, du mythe à l'histoire, Vendémiaire, 2014.
Les scandales du ravitaillement. Détournements, corruption, affaires étouffées en France, de l'Occupation à la guerre froide, Paris (Éditions Payot & Rivages), 2012.

Maquis Noirs et Faux Maquis, 1943-1947, Vendémiaire, 2011.
La France du marché noir (1940-1949), Payot, 2008.

Il a participé à la rédaction d'ouvrages collectifs :

Atlas de la France dans la Seconde Guerre mondiale, Fayard, 2010.
Dictionnaire historique de la France libre, Robert Laffont, 2010.
Histoire économique de Vichy : l'État, les hommes, les entreprises, Perrin, 2017. 

Enfin, il a été conseiller historique du film documentaire d'Emmanuel Amara intitulé, Le massacre de Tulle, 9 juin 1944, 2014. 


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Les faits

Le 9 juin 1944, Les SS de la division Das Reich raflent tous les hommes âgés de seize à soixante ans sur lesquels ils ont pu mettre la main. 120 d'entre eux sont condamnés à la pendaison. Finalement, 99 seront suppliciés en présence de leurs familles et de leurs amis. Le nombre total de victimes civiles tuées par les SS, s'élève à 213. 


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L'essentiel de l'entretien avec Fabrice Grenard 



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La chronologie des événements

La première date importante, c'est le 5 juin 1944. La division Das Reich, qui est basée à Montauban, reçoit l'ordre de remonter vers le nord, vers le Limousin pour empêcher qu'une insurrection ne s'y développe alors que les Allemands sentent que les Alliés sont sur le point de débarquer. De fait, le lendemain, le 6 juin 1944, a lieu le débarquement. Les résistants sont sur le pied de guerre et le 7 juin 1944, les FTP de Corrèze décident donc d'attaquer la garnison allemande de Tulle pour libérer la préfecture alors que partout, des appels à l'insurrection et à participer  à la bataille de France  se multiplient. Les combats couvrent deux journées, les 7 et 8 juin 1944. À la fin de la journée du 8 juin, les FTP maîtrisent quasiment totalement la ville de Tulle à l'exception d'un ou deux points de résistance qui sont maintenus, notamment dans le quartier de la gare. Mais le 8 juin au soir, la division Das Reich arrive dans Tulle pour reprendre le contrôle de la ville et le lendemain, le 9 juin, la division Das Reich rafle l'ensemble de la population masculine de la ville et va procéder aux exécutions.

La division Das Reich


La bataille de Koursk
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C'est une division SS, une division d'élite qui a combattu en 1942/43 sur le front de l'Est, qui a donc été engagée dans la guerre contre les partisans. À la fin de l'année 1943, cette division a été lourdement touchée sur le front de l'Est, notamment lors de la bataille de Koursk, la grande bataille de chars.  

Hitler a décidé de transférer cette division en France à la fois pour la reconstituer et aussi pour qu'elle puisse agir en France en cas de débarquement allié. Elle va être reconstituée avec de jeunes combattants, y compris des Malgré Nous, des Alsaciens qui ont été enrôlés de force. 

La division est basée à Montauban, simplement parce on ne sait pas si les Alliés vont débarquer sur la côte méditerranéenne  ou sur la côte atlantique. Montauban est à égale distance des deux littoraux. Cette division va importer en France les méthodes qu'elle avait utilisées sur le front de l'Est en 1942/43. Son chef est le général Lammerding. 

Le mode opératoire


Cette photographie n'a pas été prise à Tulle, elle date de juillet 1944, 
elle figure dans les archives fédérales allemandes. 
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Les méthodes utilisées sont simples. Elles consistent à considérer que les résistants et tout particulièrement les partisans dont les équivalents en France sont les Maquisards, ne sont pas des combattants réguliers, ce sont des terroristes. Donc, si on arrête des partisans, il n'est pas question de les traiter comme des prisonniers de guerre ou de leur faire des procès réguliers. Ce sont des personnes à abattre immédiatement et comme ces partisans sont difficilement saisissables, puisqu'ils sont mobiles et qu'ils ont l'avantage du terrain, on s'en prend surtout aux populations civiles des secteurs où s'implantent les maquis en considérant que, quelque part, elles sont complices. Les directives allemandes sont très claires en la matière : on peut arriver dans un village, brûler le village et exécuter ou déporter une partie des habitants que l'on considère comme complices. 

Les objectifs définis par le général Lammerding


Heinz Lammerding (1905-1971)
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Les Allemands savent qu'il y a plusieurs zones de maquis importantes à la fois contre les Alliés sur les plages normandes et à l'intérieur du territoire contre des FFI/FTP qui auraient libéré des zones entières de la France.  Cela gênerait considérablement les transports et les communications, indispensables dans la bataille qui s'engage. 


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La mission première de Lammerding, c'est d'éviter que le Limousin ne se libère de lui-même à l'annonce du débarquement allié. Il doit pour cela démanteler au maximum les maquis qui s'y sont développés. Il doit aussi reprendre le contrôle des villes et des villages libérés par le maquis. Ce sera le cas à Tulle. Mais comme il a très peu de temps pour accomplir sa mission, il lui faut terroriser la population afin de la décourager de soutenir la résistance. 

Les pendaisons


La Manufacture d'Armes de Tulle
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Ce type d'exécution avait été déjà utilisé sur le front de l'Est. C'est une façon de criminaliser les personnes exécutées. La pendaison est le mode d'exécution le plus infamant. Il s'agissait toujours de terroriser les populations et, également, de criminaliser la résistance, montrer que les résistants ne sont pas des patriotes, mais des bandits. Les affiches apposées à Tulle vont présenter les pendaisons comme des représailles, mais il s'agit en fait d'un crime de guerre. La grande majorité des otages qui sont pendus n'avaient rien à voir avec la résistance. 

Beaucoup, notamment, sont de jeunes étudiants qui sont venus se réfugier à Tulle pour fuir les bombardements. (...) Les otages ont été sélectionnés selon des critères assez simples. Les Allemands observent les gens, s'arrête sur quelqu'un qui a une barbe hirsute et décident que c'est un maquisard qui n'a pas eu le temps de se raser. La scène est terrible, elle se joue le 9 juin en début d'après-midi à la Manufacture d'Armes de Tulle où plusieurs centaines de Tullistes ont été rassemblés par les Allemands. Et c'est Walter Schmald, membre du Sicherheitsdienst (service de la sécurité) qui est en charge de la sélection. 


Walter Schmald (1917-1944) - fusillé le 22 août 1944
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L'effet du massacre sur la population

L'effet a été terrible, on en voit encore aujourd'hui les conséquences dans la ville. La population soutient en majorité les résistants lors de leur tentative de libérer la ville. Une partie va se désolidariser au lendemain du massacre. Des tensions et des rancœurs vont suivre entre ceux qui pensent que l'attaque était trop précoce et ceux qui disent qu'il ne faut pas tomber dans le jeu des Allemands. (...)

Les chefs de la Résistance étaient conscients de cet échec. On dispose d'un rapport écrit du responsable FTP qui a mené l'opération, Jean-Jacques Chapou dans lequel il souligne qu'il s'agit d'un échec militaire et politique puisqu'une partie des Tullistes s'est éloignée des résistants. 



Jean-Jacques Chapou (1909-1944)
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L'après-guerre

Les responsables n'ont pas été traduits en justice. Un certain nombre d'officiers de la Das Reich vont disparaître lors des combats de juin/juillet 1944. Le principal responsable, le général Lammerding, va finir ses jours tranquillement en Allemagne. Il était en zone d'occupation américaine d'où il ne sera jamais extradé vers la France. Comme on n'a pas fait le procès des responsables du massacre, comme aucun jugement n'a été rendu,  la ville de Tulle n'a jamais pu tourner la page. 




Pour écouter l'intégralité de l'entretien avec Fabrice Grenard, cliquez ici


Liens utiles

Le massacre de Tulle, 9 juin 1944, Emmanuel Amara, (2013), cliquez ici

La bataille de Koursk, cliquez ici


Das Reich, une division SS en France, Michael Prazan, (2014), cliquez ici

Un été en Limousin, Pascal Coussy, Karl Constable, Chantal Cogne, (2014), cliquez ici

"La bataille suprême est engagée..." Pour écouter le discours du général de Gaulle, le 6 juin 1944, cliquez ici 

Le texte du discours du général de Gaulle est disponible ici



Le champ des Martyrs à Tulle
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Extraits de l'ouvrage de Fabrice Grenard 
Tulle, enquête sur un massacre, 9 juin 1944. 


La Division Das Reich

Véritable armée parallèle issue de la "garde noire" initialement dévolue au service d'ordre et de protection d'Hitler et apparaissant comme la troupe spéciale du parti nazi, la SS voit se créer en son sein, à la veille du déclenchement de la guerre, de véritables unités combattantes (Kampfgruppen) indépendantes de la Wehrmacht et appelées à participer aux combats à venir. Après que les premières unités SS ont opéré lors de la campagne de Pologne, leur chef Himmler obtient que de nouvelles troupes soient constituées, bientôt qualifiée de "Waffen SS" ("SS combattantes"). Ces unités sont organisées en plusieurs régiments qui forment, à partir de l'automne 1939, la première "SS V-Division" ("SS Verfügungstruppen Division", division SS des troupes à disposition). Engagée lors de la campagne contre la Belgique, les Pays-Bas et la France, elle stationne en mai dans l'Aisne puis participe en juin à l'offensive vers le sud de la Loire. À la fin de l'année 1940, elle prend le nom de "Division SS Deutschland" avant d'être finalement rebaptisée "Division Das Reich" au début de l'année 1941. 

Walter Schmald, le "chacal"

De façon assez étrange d'ailleurs, tous les témoins qui l'évoquent l'appellent par son prénom, Walter, n'utilisant jamais son nom de famille. L'instituteur Soulier en a fait une description physique précise: "Longs cheveux blonds, avec des reflets fauves et ramenés en arrière, visage rasé, teint mat, 30 ans environ, yeux toujours demi-fermés pour mieux voir, et surtout la demi-lèvre supérieure droite toujours relevée, comme gonflée de venin. Il parlait peu, questionnait beaucoup, ne marquant de déférence pour aucune autorité. Ce qui le caractérisait, c'était son dos, un dos en arc, sans entrailles, un dos comme en supportent ceux qui ont pioché la terre toute leur existence, ou qui ont pâti toute leur vie sur de gros registres."

Le tri

... À chaque fois qu'une personne est extraite du groupe fatal, cela en condamne une autre qui se trouvait initialement dans l'un des deux autres groupes. Cet élément a pesé considérablement par la suite sur la mémoire particulière de l'événement et la rancœur des familles de victimes : il était clair qu'un grand "marchandage", avec un enjeu terrible, la vie ou la mort, s'était déroulé dans les heures précédant les pendaisons, la situation des otages apparaissant très inégalitaire selon leurs relations et leur statut. 

Une blessure impossible à refermer

Depuis la Libération, Tulle a toujours vécu avec le poids des journées de juin 1944. À travers ses stèles, ses rues et ses monuments, la ville porte de façon indélébile la marque de ces événements tragiques. Les commémorations annuelles semblent illustrer à la fois la douleur toujours présente ainsi qu'une communion consensuelle de la population autour des pendaisons: c'est ce que rappellent les bouquets de fleurs accrochés aux façades et lampadaires qui avaient servi de potence aux SS. Mais en réalité, les souvenirs et représentations mémorielles qui se développèrent autour du massacre de Tulle témoignent aussi d'une "mémoire désunie", selon la variété des expériences vécues. Cela illustre parfaitement les analyses de l'historien Olivier Wieviorka au sujet de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale, qui "apparaît comme une mémoire fragmentée, conflictuelle et politisée qui sépare plutôt qu'elle rassemble". 

Le massacre de Tulle n'est pas un dérapage

Le massacre de Tulle n'est donc pas un "dérapage" ou un acte dont seule la division SS "Das Reich", présentée comme la plus barbare des unités allemandes stationnées en France, aurait été capable. Il s'est bien agi du côté  allemand de susciter à travers les pendaisons du 9 juin une terreur généralisée afin de couper la population des maquis et d'empêcher que de nouvelles tentatives de libération de villes n'aient lieu en France, à l'heure où s'engageait en Normandie la bataille décisive. Cela explique toute la mise en scène développée : l'obligation pour toute une partie de la population d'assister aux pendaisons, l'interdiction qui a été faite d'enlever les cordes des suppliciés pendant près d'une semaine. Tout en étant peut-être moins connu, le massacre de Tulle n'en fait pas moins partie de ces massacres collectifs de populations civiles importants qui ont été perpétrés par les Allemands dans toute l'Europe au cours de la guerre. 

Tulle, enquête sur un massacre, 9 juin 1944, Tallandier, mai, 2014.


Texte et mise en page de ce billet : 
Jacques Lefebvre-Linetzky








2 commentaires:

  1. Merci d'avoir rappelé que les Alsaciens ont été incorporés de force.
    Je rappelle toutefois que cette incorporation de force était assortie d'une menace de déportation qui pesait sur les membres de la famille de l'incorporé. La famille était clairement (et légalement, en vertu du Sippenhaft, loi du Moyen-Age) prise en otage.


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  2. Pédagogique et passionnant comme toujours

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