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jeudi 26 août 2021

LE 24 AOÛT À OPIO : MÉMOIRE ET HOMMAGE



Deux gerbes ont été déposées devant cette plaque, en mémoire des cinq membres de la famille Bocobza qui furent arrêtés à Opio en décembre 1943, puis déportés et assassinés dans les camps nazis. 


* * * * * 


Depuis 2019 L'AMEJDAM est conviée à assister à Opio à la cérémonie commémorant la libération du pays de Grasse, et à rendre hommage à ces cinq membres de la famille Bocobza.

Nous avons rendu compte en détail des précédentes cérémonies, que vous pourrez retrouver en cliquant sur ce lien qui renvoie au dernier billet sur le sujet. 

Cette année, nous avons bravé la pluie et l'orage, pour nous retrouver nombreux sur le rond-point de la Libération, afin de renouveler cet hommage, sous l'égide de M. Thierry Occelli, maire d'Opio. 




Michèle Merowka, notre présidente, a ouvert la cérémonie en remerciant de leur présence les participants et acteurs de cet événement si important :

"Monsieur Thierry OCCELLI, Maire d’Opio, cher ami, 

Madame Rachel HERCOUET, Membre du Conseil Municipal (Responsable de la Gestion des Ressources Humaines, Responsable Vie Associative & de la Gestion Administrative),


Monsieur Gérald LOMBARDO, Maire du Rouret, 


Monsieur François WYSZKOWSKI, Maire du Bar sur Loup,


Monsieur René TRASTOUR, Maire de Conségudes, 


Monsieur Serge ABIHSSIRA, représentant la communauté israélite de Nice, 


Monsieur Bernard BENATTAR, représentant le CRIF,


Le Colonel Gilles LÉCUYER, président des Anciens Combattants de Roquefort-les-Pins et du Rouret,


Monsieur Serge MARÇAL, Capitaine des Pompiers de Roquefort les Pins,


Mesdames et Messieurs les militaires, policiers, pompiers, porte-drapeaux, 


Chers amis, membres de l’AMEJDAM, Mesdames et Messieurs,


Aujourd’hui, nous sommes réunis pour la 3èmeannée consécutive pour honorer la mémoire de 5 membres de la famille Bocobza dont les noms figurent sur cette stèle, 5 hommes qui avaient trouvé refuge dans votre village mais qui ont été déportés sans retour

Permettez-moi de les nommer : 


BOCOBZA Edmond, 23 ans

BOCOBZA Jacques, 54 ans        

BOCOBZA Albert, 23 ans

BOCOBZA Georges, 17 ans

Assassinés à AUSCHWITZ le 12 mars 1944


BOCOBZA Albert, 29 ans

Mort le 22 février 1945 À BUCHENWALD

 

Je tiens à remercier Mr Ocelli, Maire d’Opio et l’équipe municipale  d’associer chaque année le souvenir des Juifs déportés à la commémoration de la Libération de Grasse et de ses environs, et je voudrais rappeler que, s’il y a eu des victimes, il y eut aussi des personnes sauvées grâce à l’aide qui leur a été apportée… 

 

Je passe la parole à Cathie Fidler qui a joué un rôle très important dans la recherche de l’histoire de ces 5 personnes et qui continue à  enquêter sur la vie de votre beau village. 

Chaque année, elle nous révèle d’autres précisions sur le comportement exemplaire de la plupart des habitants d’Opio. Je lui laisse la parole…   

Merci de votre attention." 


Ci-dessous, vous trouverez donc le texte du message que j'ai lu devant la plaque. 

Il présente un éclairage un peu  différent, car il retrace la manière dont nous avons pu reconstituer le contexte de l'époque. 


"Ceux et celles qui ont assisté à cette cérémonie depuis 2019 savent à présent ce que fut le sort tragique de la famille Bocobza, dont le nom figure ici, sur cette plaque. 


Ce soir, je vais rajouter un nouvel éclairage à cette période, à l’aide du récit de Maureen Emerson, une auteure anglaise, qui connait en détail l’histoire d’Opio. C’est grâce à elle, que nous avons pu reconstituer le parcours des cinq hommes dont vous avez bien voulu, Monsieur le Maire, avec le soutien de votre Conseil Municipal, inscrire les noms sur cette plaque, inaugurée il y a déjà 3 ans.


Cette colline, que nous voyons depuis l’endroit où nous nous tenons, et que nous connaissons aujourd’hui sous le nom du ‘Chemin du Château’, était appelée, avant-guerre ‘la Colline des Anglais’ pour des raisons évidentes. Quatre charmantes anciennes maisons la bordaient, de tailles différentes. Le Castello, San Peyre, La Bastide, et Fort Fortescue. Dans l’entre-deux guerres, elles appartenaient à quatre expatriées, dont une Américaine, deux Anglaises et un marquis britannique et, bien entendu, ils se fréquentaient tous. 

 

En 1940, toutes quittèrent Opio, et la France, sauf une : Elisabeth Starr, une héroïne de la Première Guerre mondiale, qui resta sur place. Pour quoi faire ? Pour rejoindre un petit groupe de résistants qui s’était formé pour abriter des familles juives fuyant la persécution nazie. Il faut se souvenir que tout le monde ici mourrait de faim en ce temps-là, ou presque. Même les figues du jardin de la Bastide étaient réquisitionnées ! Elisabeth Starr partageait sans compter ses rations avec ceux et celles qui en avaient besoin, dont ses petits protégés. Elle mourut en 1943, à l’âge de 54 ans, de maladie et de malnutrition, et elle est enterrée ici à Opio, dans votre cimetière.  


Mais d’autres continuèrent à cacher des personnes en danger, même quand cela devint extrêmement dangereux pour eux de le faire. Deux instituteurs communistes du Rouret, M & Mme Dardaillon, donnaient des cours aux enfants juifs cachés au Castello. Ils pénétraient aussi à la mairie le soir, sous prétexte d’utiliser le téléphone, pour y tamponner de faux papiers qui éviteraient à leurs porteurs d’être déportés…

L’occupation italienne a été relativement bégnine pour notre région, et pour ses réfugiés juifs en particulier, mais lorsque les Allemands envahirent la zone dite libre en septembre 1943, la donne changea du tout au tout. 


Je vais maintenant vous parler d’un rescapé, à qui l’on doit (toujours grâce à Maureen Emerson) de connaître de nombreux détails sur ce qui se passa ici, à Opio, entre juillet et décembre 1943. Il s’appelait Claude Marcus, il avait 19 ans (il avait fait noter 17 ans, sur ses faux papiers, pour éviter le STO – NB le Service du Travail Obligatoire, en Allemagne) et il était ami avec l’un des fils de Mme le Dr Suzanne Perles. Cette dernière avait choisi de louer la maison appelée la Bastide, afin de quitter Cannes car la ville devenait de plus en plus dangereuse pour les Juifs. Son mari gérait la trésorerie d’un groupe de résistants. Ils avaient 3 enfants. Opio leur est apparu comme un havre de paix.


La famille hébergea aussi plusieurs amis juifs de leurs enfants adolescents, et notamment ce Claude Marcus, dont les parents, domiciliés au Cannet, pensaient qu’il serait plus en sécurité à Opio qu’avec eux, malgré l’apparente bienveillance des Italiens.  


Une autre des villas, la villa San Peyre, qui appartenait à un nommé Charles Anglesy, était également louée. Vous savez à qui … à la famille Bocobza, qui était venue de Marseille pour se réfugier dans ce village tranquille. M. Bocobza était juif, son épouse était catholique. Le plus jeune de leurs enfants avait eu la polio, et il était partiellement paralysé. On se souvenait dans le village de M. Bocobza pour sa gentillesse, car quand il sortait de la boulangerie où il allait acheter son pain, il donnait toujours des bonbons aux enfants qui traînaient par là. Il était aussi toujours bien mis de sa personne, et cela impressionnait beaucoup les villageois de l’époque. Je vous raconte cela, car ce sont les seuls détails que l’on connaisse sur lui… et à ce jour nous n’avons toujours pas trouvé de descendants de cette famille. 


Au cours de ces mois, les familles de ces villas se retrouvaient volontiers pour déjeuner ou dîner (frugalement, on s’en doute), et notamment au Castello, chez Mme Diane Van Dommelen qui s’était occupée de Mme Elisabeth Starr, et dont nous avons aussi appris qu’elle avait caché des enfants du réseau Marcel. Ce réseau créé par Moussa Abadi et Odette Rozenstock, avec l’aide de Monseigneur Rémond, Evêque de Nice, plaçait des enfants dans les lieux sûrs, comme des couvents ou des pensionnats catholiques, en leur donnant de faux noms. Les responsables juifs du réseau rendaient visite aux enfants pour vérifier qu’ils allaient bien. Nous avons ainsi retrouvé une fiche remplie avec l’aide de Mme Van Dommelen indiquant l’état de santé de deux petits pensionnaires du Castello, Léo et Pierre Fromentin, Léo et Willi Kolinski, de leur vrai nom. 


Comme vous le savez, les Allemands occupèrent notre région début septembre 1943, et la chasse aux Juifs y devint systématique. Tandis que les Italiens se sauvaient, désertaient, ou se trouvaient séparés de leurs unités, ils reçurent de l’aide matérielle de la part des habitants de la Colline des Anglais. Mais la Gestapo avait à présent le champ libre, pour poursuivre et arrêter les résistants et les Juifs. 


Le matin du 23 décembre 1943, la paix de la colline fut brutalement rompue avec l’arrivée à la Bastide de Robert, l’un des fils de la famille Bocobza, qui fit irruption chez les Perles pour les prévenir que les fameuses "tractions" (Citroën) noires de la Gestapo était montées jusque chez eux, à San Peyre, et que sa famille était en train d’être arrêtée. Comme certains le savent, les Bocobza avaient tenté de se cacher dans un grand placard creusé dans le mur près de la cheminée… sans succès. Ils furent tous arrêtés, embarqués, et déportés le 7 mars 1944, y compris le plus jeune qui était paralysé. Leurs noms figurent sur cette plaque.  Seul Robert, celui qui avait cavalé à travers les restanques pour prévenir les Perle a survécu… et Mme Bocobza, puisqu’elle n’était pas juive. 


Grâce à cette alerte, les Perles ont pu s’échapper à temps et éviter l’arrestation en partant « comme des fous » se cacher dans la campagne environnante, sans être arrêtés, avant de retourner à Cannes. Opio n’était plus un havre de paix pour eux…


Quant à Claude Marcus, il a pu s’échapper vers l’Espagne, puis vers l’Afrique du nord… Un long et dangereux   périple, semé d'embûches en tous genres… Une fois enfin arrivé à Oran, il devint interprète auprès des Alliés, puis pilote à bord d’un Dakota, et finit par atterrir près de Saint Tropez… avant de pouvoir rejoindre Cannes (qu'il avait survolée avec beaucoup d'émotion), le 25 août 1944. Vous n’allez pas le croire : il remontait le bd Carnot sur un très vieux vélo de femme, écrasé de chaleur, quand il croisa une autre cycliste, c’était Mme Perles !  Toute la famille Perles avait survécu, une partie ayant été cachée au Couvent du Bon Pasteur, à Cannes, mais Mme le Dr Perles lui apprit que ses parents à lui avaient été arrêtés à Pau, en mai, et déportés. Claude ne les revit jamais. C'est grâce au récit de ses souvenirs, recueillis par Maureen Emerson, que nous avons pu reconstituer le sort tragique de la famille Bocobza. 


Voilà, j’ai voulu ajouter des précisions au contexte de ces mois passés ici par ces réfugiés. Certains, comme les Bocobza, n’ont pas eu la chance de survivre à la barbarie,  mais d’autres ont été aidés, et protégés par les villageois de d’époque. Ils ont échappé au pire. Souvenons-nous d’eux, tous et toutes. Et en particulier de ceux dont vous avez bien voulu que leur nom figure ici, gravé dans le marbre. Nous vous en remercions, car grâce à vous ils ne seront plus oubliés dans la nuit et le brouillard. Merci, merci, à vous tous et toutes." 



À l'issue de ces prises de parole, Monsieur le Maire a déposé, 

en signe de solidarité, et de rappel de la tradition juive,

un petit caillou sur la stèle des déportés.


Cette cérémonie donne toujours lieu à des rencontres très spéciales : après ce discours, j'ai été abordée par un monsieur qui m'a dit avoir connu Mme Starr ! Le petit Jeannot avait 6 ans à l'époque, et ses parents travaillaient pour elle. Son grand-père était jardinier au Castello, et sa mère, femme de chambre. Elisabeth Starr était déjà très malade. D'après ce témoin, elle était veillée par Mme Van Dommelen, qui avait "pris la main", et qui contrôlait tout de très près, au plan matériel. Cela correspond à ce que dit Maureen Emerson de la personnalité ambiguë de cette personne... 

 

Elisabeth Starr, voulant faire un cadeau au petit Jeannot, lui fit passer par sa maman un petit chien en peluche. Ce fut un joli cadeau avec lequel l'enfant joua pendant longtemps. Mais, voilà que, plusieurs années plus tard, oh surprise ! un petit trou apparut dans le ventre de ce joujou anodin, par lequel se mit à sortir.... une chaîne en or, sur laquelle était pendue, à l'aide d'un petit anneau, une pièce de 1 US dollar ! Il les a conservées, bien entendu !


"Jeannot" Mancini,  
témoin précieux de cette époque... 



La maman de Jeannot a continué à travailler au Castello après le décès d'Elisabeth Starr, ainsi que chez les Fortescue. 



Jeannot m'a aussi raconté que c'était son grand-père qui avait planté les arbres que l'on voit toujours devant cette belle demeure, que l'on aperçoit en haut à droite sur la photo ci-dessus. 

Il se souvient aussi s'être bien planqué entre les haies de jasmin, au moment des bombardements alliés – un épisode que Thierry Occelli, le maire d'Opio, a rappelé dans son discours, lors de la seconde partie de la cérémonie.



Ci-dessous quelques images de ces cérémonies si émouvantes, qui ont aussi pour but de raviver la conscience des présents, dont ont fait partie, cette année plusieurs très jeunes gens – en rappel de la Libération du Pays de Grasse, très bien expliquée par le Colonel Gilles Lécuyer. 






Chaque nation a été honorée : les hymnes nationaux
et le Chant des Partisans ont été joués,
ainsi que le Chant des Partisans et l'hymne européen. 





Photos ci-dessus ©Serge Binsztok


Michèle Merowka, Serge Abihssira et Bernard Benattar
déposent une gerbe au nom de l'AMEJDAM
 devant la stèle de la Libération 



À Opio, la relève semble assurée !


Nous espérons vous voir ou vous revoir très nombreux à Opio en 2022 ! 

En attendant ne manquez pas, si vous êtes près de Nice, les cérémonies qui marqueront la libération de cette ville. 




Et, notamment, celle qui aura lieu le vendredi 27 à 18:00, devant le Palais Stella, 20 boulevard de Cessole, devant la plaque du Comité insurrectionnel de Nice. Une cérémonie en hommage aux acteurs et aux acteurs du soulèvement niçois du 28 août 1944, organisée par l'Association du Musée de la Résistance Azuréenne, sous l'égide du Pr Jean-Louis Panicacci.  


* * * * *


Texte et mise en page de ce billet : Cathie Fidler. 

Photographies de ©Jacques Lefebvre-Linetzky, 

©Serge Binsztok, et ©Michèle Merowka. 


Vous pouvez bien entendu emprunter ces images, mais merci d'en citer la source : "Le blog de l'AMEJDAM." 

 

 

 

  

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