70 ans entre
ces deux dates : toute une vie, celle de Charles Gottlieb, sa vie après
Auschwitz.
- 8 mai 1945, capitulation sans condition
de l’Allemagne nazie
- 8 mai 2015, à 20h15, la voix de Charles
Gottlieb s’est éteinte.
Cette voix
que nous connaissions tous, la voix d’un homme qui s’est donné comme mission
essentielle, dans les dernières années de sa vie, de transmettre l’indicible,
d’accompagner les élèves à Auschwitz et leur raconter, leur expliquer ce
qu’était le camp, la déportation... Plus de 30 fois, il a remis ses pas dans
ceux des déportés assassinés, lui, le déporté survivant.
Le 29
décembre 2014, il avait accepté de venir nous parler à la radio, et c’est sa
voix que vous allez "réentendre" aujourd’hui, grâce à cette transcription, légèrement simplifiée pour en rendre la lecture plus aisée.
Je suis
né à Nancy en 1925, où j’ai grandi. À la déclaration de la guerre, mes parents
ont fui Nancy pour aller à La Palice, dans l’Allier, et nous avons eu la chance
de rencontrer des gens extraordinaires qui nous ont accueillis comme si nous
étions de la famille. Nous y sommes restés et, en juin 1942, je suis entré dans
la Résistance. J’avais 16 ans et demi. Je suis monté jusqu’à Lyon où j’ai
rencontré les FTP (Francs tireurs partisans) et la MOI, mouvement ouvrier immigré.
Dans le groupe de Carmagnole liberté
il y avait énormément de jeunes Juifs qui ont fait des actes volontaires de
sabotage.
MM :
Pourquoi tant de jeunes Juifs s'étaient-ils engagés ?
Parce
qu’on était pourchassés par la police de Vichy qui a déporté beaucoup de Juifs, et la seule solution pour les jeunes était d’aller les combattre directement.
Le Gouvernement de Vichy était allié avec Hitler et faisait même plus que ce
qu’on lui demandait, puisqu’il a proposé de déporter même les bébés, ce que les
Nazis ne demandaient pas.
J’ai
participé à de nombreuses actions parce qu’on ne pouvait pas agir seul. Un jour,
je suis arrêté avec un camarade qui s’appelait Félix chez qui j’habitais. On a
été arrêtés le 25 juillet 1944, place Belcour, le jour où on a pendu des patriotes.
On a été incarcérés à la prison de Fort Montluc à Lyon. On m’a emmené aux interrogatoires, et j’ai
vu Klaus Barbie qui a arrêté et fait
torturer Jean Moulin.
Je suis
resté en prison jusqu’au 11 août 44 et, un matin, on est venu nous chercher pour
nous conduire vers la gare de Perrache
où il y avait un train en formation, avec des wagons de voyageurs. Alors que
les autres déportés ont fait un voyage terrible dans des wagons à bestiaux,
nous avons voyagé dans des conditions presque confortables. Nous sommes arrivés
le 13 ou le 14 août à Birkenau. Nous étions un convoi de 800 personnes. On a
été triés et on a mis 80 jeunes gens de côté et les autres sont partis
directement pour les chambres à gaz. On
est restés une dizaine de jours en quarantaine et au bout de ce temps, on nous a
sortis pour nous passer à la douche.
En sortant on nous a tatoué un
n° : 9664 sur le bras gauche.
Quand tout le monde a été tatoué,
un jeune résistant, un dénommé Otto est allé voir le SS et lui a dit :
« on n’est pas des Résistants, on est des juifs », alors
automatiquement on nous a fait barrer le premier n° et on nous en a tatoué un
autre : B 96-64. Nous sommes les seuls déportés dans l’histoire de la déportation
à Auschwitz à avoir été tatoués 2 fois : une fois comme Résistant et une
fois comme Juif mais la vie était la même pour tout le monde. Nous sommes
restés à Auschwitz et le travail était très difficile.
J’ai vu mourir des milliers de
personnes, j’ai vu arriver les transports de Juifs hongrois : 450 000
personnes directement conduites dans les chambres à gaz et brûlées. Et nous on
était là, en quarantaine et, un jour, on nous a fait quitter Birkenau où il y
avait surtout des femmes. Une femme qui est devenue célèbre était dans ce camp
de femmes : Simone Veil.
On a donc quitté Birkenau pour
Auschwitz mais c’était toujours le même camp qui s’étendait sur 40 km2.
Il y avait 30 bâtiments dont 26 étaient occupés par des déportés et le reste par
des laboratoires où le sinistre Dr Mengele a fait des expériences sur des êtres
humains sans les endormir. Voilà mon histoire de la déportation.
J’ai fait la fameuse marche de la
mort jusqu’en Tchécoslovaquie et ensuite on nous a chargés sur des trains à
plateforme et on nous a conduits à Mauthausen, où je suis resté une dizaine de
jours. De là, on m’a emmené à Ebensee, un
camp terrible ; j’y ai vu des choses effroyables : on a même pratiqué
du cannibalisme, avec d’autres camarades on a broyé des os humains et on a
mangé de la poudre d’os pour survivre. Enfin il y a beaucoup de choses à
raconter...
Quand je suis rentré, mes parents
se sont occupés de moi, mais je ne leur ai jamais raconté ce qui s’est passé au
camp, d’ailleurs aucun déporté n’a raconté parce que nous avions vécu des
choses tellement horribles que nous pensions qu’on ne nous croirait pas !
J’ai commencé à reprendre goût à
la vie normale et un jour je me suis inscrit dans une association et là, j’ai
rencontré une très belle jeune fille qui s’appelait Estelle Rothstein ;
j’ai bavardé un peu avec elle, et elle était tellement belle que je lui ai
dit : « tu ne voudrais pas qu’on se marie ? » et on s’est
mariés. C’était une femme formidable !
Elle avait aussi été déportée, et
elle avait vu sa mère et son petit frère partir pour être brûlés. Elle n’a
jamais voulu parler.
MM : Qu’est ce qui a fait que
tu as commencé à parler ?
On m’a demandé d’aller rencontrer
des élèves dans un collège pour leur expliquer ce que les nazis avaient fait.
J’ai accepté... c’était en 97-98.
MM : Tu n’avais jamais parlé
auparavant ?
J’ai rencontré des
cinéastes de Spielberg et j’ai le DVD, et une lettre de remerciement que j’amène
dans les collèges. Je suis très content que des voyages à Auschwitz aient été
organisés dans le département des Alpes-Maritimes. Quand je rencontre les
élèves, ils ne savent absolument rien de ce qui s’est passé, et ils sont
tellement intéressés qu’ils me posent de nombreuses questions auxquelles il est
parfois difficile de répondre. J’ai reçu plusieurs milliers de lettres d’élèves
qui me remercient de mon intervention dans leur collège.
C’est très difficile de parler des
camps de concentration : l’histoire est une chose, et le vécu en est une
autre. Quand je vois les enfants, je ne parle pas d’Histoire, mais je leur
raconte mon vécu personnel.
Il y a eu beaucoup de jeunes gens
juifs qui se sont battus pour la France, et la proportion de Juifs dans la
Résistance est très importante.
Il y a beaucoup de garçons qui ont
été décorés de la médaille militaire pour avoir combattu les Allemands.
Les voyages de la Mémoire
J’ai fait 32 voyages pour
accompagner le Conseil Général, organisé par Christian Estrosi et Martine
Ouaknine à partir de 2004. J’ai accepté tout de suite d’accompagner les élèves
à Auschwitz, donc ça fait plus de 10 ans que je retourne sur les « lieux
du crime » et je raconte aux élèves ce que j’ai vécu personnellement, ce
que les guides ne peuvent pas faire : ils peuvent raconter l’Histoire mais
ne peuvent relater la vie des déportés, ni comment ça se passait réellement. Je
réponds aux questions des élèves, et je peux leur expliquer « à tel endroit
il y a eu cela et à tel autre... »
Les enfants sont convaincus de la
réalité de ce que je leur raconte, parce que j’étais à Auschwitz. Les groupes
sont autour de moi et me posent des questions.
MM : Rien ne peut remplacer
le témoignage !
Et j’espère encore rencontrer
beaucoup d’élèves et je pense que c’est très important de ne pas oublier que
des jeunes Juifs ont été se battre dans la Résistance, pour la France.
À Lyon, il y a un Musée de la
Résistance et on y parle du groupe "Carmagnole
Liberté". Il y avait un jeune garçon de 16 ans qui est allé par les
souterrains jusqu’à Grenoble où il a fait sauter le Polygone, où il y avait des
armements pour les Allemands. Ce jeune garçon a été décoré au titre de la
Résistance.
MM : Nommé citoyen d’honneur par
Christian Estrosi, à la Villa Masséna…
Le 15 janvier Palais Nikaia, M.
Ciotti va me décorer pour ce que j’ai fait dans la résistance française …
Gare de Nice, juillet 2013
© Jacques Lefebvre-Linetzky
Un homme honoré
Officier de la Légion d'honneur
Médaille militaire au titre de la Résistance
Croix de guerre avec palme
Médaillé des déportés résistants et des combattants volontaires
Chevalier dans l'Ordre des Palmes Académiques
Citoyen d'honneur de la Ville de Nice
Entretien: Michèle Merowka
Textes: Michèle Merowka et Jacques Lefebvre-Linetzky
Mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky
Merci pour ce témoignage essentiel
RépondreSupprimerColette Guedj