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dimanche 5 juin 2016

MARCEL NAVARRO, LA PASSION CHEVILLÉE AU CORPS

RUTH NAVARRO TÉMOIGNE À PROPOS DE L’ACTION DE SON PÈRE, MARCEL NAVARRO (1915-1981).


© Jacques Lefebvre-Linetzky


SALONIQUE



Image empruntée ici

Ma famille fait partie de ce qu’on appelle les Juifs de Salonique. Mes ancêtres ont été expulsés au 15e siècle par Isabelle la Catholique et se sont installés à Salonique que l’on appelait, la Jérusalem des Balkans. Mes deux parents y sont nés. Ils ont tous deux quitté Salonique très vite aux alentours des années 1918/1919. Mon père a tout d’abord vécu à Skopje en Yougoslavie – c’est désormais la Macédoine. C’est là qu’il a passé toute sa jeunesse et qu’il a fait ses études. Membre actif des Jeunesses Sionistes, il rêvait de partir pour la Palestine et d’y créer des kibboutz.


PREMIER SÉJOUR EN PALESTINE


Il s’y est donc rendu dans les années trente après quelques péripéties. En effet, comme à l’époque il fallait être marié pour être autorisé à émigrer en Palestine, il a contracté un mariage blanc. Il a crée un kibboutz qui s’appelait Shaar-Haamakim  au nord du pays. Il y est resté environ cinq ans et malheureusement, il a abandonné son rêve à la demande de sa mère qui voulait qu’il rentre en France, à Marseille,  pour mener une vie plus conforme. Aux yeux de sa mère, vivre en Palestine, ce n’était pas le « droit chemin ». Il a travaillé avec des oncles dans le commerce et puis il a rencontré celle qui allait devenir ma mère.

LES ANNÉES DE GUERRE

Mes parents se marient en pleine guerre. Maman disait que les cadeaux qu’on leur avaient fait, c’était essentiellement des boites de sardines. Ils vivaient à Marseille dans un petit appartement. La situation s’est vite aggravée, de nombreux membres de ma famille ont été  dénoncés et déportés. Ils sont partis se cacher dans le Vercors. Personne n’était au courant qu’ils étaient juifs sauf le curé du village et mes parents avaient appris à faire la prière, à se lever quand il fallait à l’église…  Ma sœur est née pendant la guerre dans un petit village du Vercors, à Mens en Vercors. Elle a été appelée Catherine – mes parents se sont dit : « Catherine, suivant à quelle sauce on sera mangé, ça ira… ». Elle a été « faussement » baptisée par le fameux curé du village de Mens.


AGENT DE VOYAGES ET AGENT SECRET …


© Collection personnelle de Ruth Navarro

Marcel Navarro, mon père, s’est « engagé volontaire » pendant la guerre en tant qu’étranger. C’était un battant. Au lendemain de la guerre, il a été « réquisitionné » . Il était dans les voyages, il avait une agence, l’agence Océania dont il était le directeur à Marseille. À ce titre-là, il a œuvré comme un agent secret, un agent du Mossad. Il a énormément participé à ce que l’on a appelé plus tard, l’Alyah Beth (le réseau d’immigration B). Il fallait faire face à énormément de problèmes : accueillir les réfugiés dans des centres, organiser les soins, fournir des documents d’identité, redonner des forces pour que ces réfugiés puissent ensuite affronter les périls d’une traversée éprouvante.

En tant qu’agent de voyages, mon père était en contact avec des compagnies maritimes. Ils ont réquisitionné beaucoup de rafiots et les ont réarmés pour qu’ils assurent le transport des réfugiés à partir de Marseille, de La Ciotat, de Sète et de Porc-de-Bouc en direction de la Palestine. Ces bateaux conservent leur nom d’origine au départ et ensuite, ils sont rebaptisés avec des noms plus hébraïques rappelant le retour, le Sud, la Méditerranée…

Mon père était en contact avec les autorités de manière officieuse. Il partait tous les soirs, ma mère n’était pas au courant de ce qu’il faisait. Il négociait vraisemblablement le transport des passagers et faisait en sorte que des armes soient également acheminées. Les embarquements se faisaient de nuit et c’est ce qui causait l’inquiétude de ma maman – elle le disait toujours : « Je ne savais pas où 
il allait ».
Cette filière clandestine va rester en place jusqu’en 1948, année de la création de l’État d’Israël.

L’AVENTURE DE L’EXODUS


© Collection personnelle de Ruth Navarro
Marcel Navarro avec une partie de l'équipe de l'Exodus

C’était le bateau qui avait le plus de passagers à son bord et c’est le bateau que les Anglais ont arraisonné. Les passagers ont été ensuite dirigés vers Chypre, regroupés dans des bateaux-cages en direction de Port-de-Bouc, puis de Hambourg. L’épopée de l’Exodus a retourné l’opinion publique.

LE REGARD DE L’ENFANT

Je suis née 9 mois après la création de l’État d’Israël et j’ai été baignée là-dedans dès mon plus jeune âge. Mon père, après la création de l’État d’Israël, a continué à œuvrer. Il s’est beaucoup occupé des Juifs du Maroc qui désiraient émigrer en Israël. Il s’occupait de l’organisation de voyages, certains étaient officiels, d’autres, un peu moins… À la maison,  on parlait beaucoup d’Israël. Je me souviens de la première fois qu’on a eu la télévision à la maison, c’était au moment de la crise de Suez en 1956. Quant à parler de toutes ces choses avec mon papa, je crois que malheureusement, je n’ai pas suffisamment parlé avec lui, j’aurais voulu le questionner certainement beaucoup plus et c’est pour cette raison que je suis heureuse de pouvoir en parler aujourd’hui parce que je fais revivre un peu sa mémoire. 





INFORMATION COMPLÉMENTAIRE

SURVIVANTS, RÉFUGIÉS, PERSONNES DÉPLACÉES

Au lendemain de la reddition de l’Allemagne, les Alliés rapatrièrent dans leurs pays d’origine environ 6 millions de personnes « déplacées ». Entre 1,5 et 2 millions de personnes déplacées refusèrent leur rapatriement.

De nombreux survivants de la Shoah choisirent de s’établir en Europe de l’Ouest, dans les territoires libérés par les alliés. Ils furent logés dans des camps essentiellement en Allemagne, en Autriche et en Italie. Ainsi, les Britanniques créèrent un grand camp de personnes déplacées près de l’ancien camp de Bergen-Belsen en Allemagne.
En 1947, la population de Juifs déplacés s’élevait à environ 250 000 personnes.
Les survivants de la Shoah choisirent de s’établir en Israël, aux Etats-Unis, au Canada, en Australie, en Grande-Bretagne, en Amérique du Sud et en Afrique du Sud.  

D'après le American Jewish Yearbook (Annuaire juif américain), la population juive d'Europe était de 9,5 millions de personnes en 1933. En 1950, elle n'était plus que d'environ 3,5 millions. En 1933, 60% de la population juive mondiale vivait en Europe. En 1950, la majorité des Juifs (51%) vivait en Amérique (du Nord et du Sud), et seulement un tiers vivait en Europe.

Les restrictions à l’immigration étaient sévères même après la victoire des Alliés. Les Américains accueillaient un nombre limité de réfugiés et les Britanniques, qui avaient reçu de la Société des Nations mandat pour administrer la Palestine, étaient hostiles à une immigration massive des Juifs d’Europe.

La Brigade juive, unité constituée au sein de l'armée britannique à la fin de l'année 1944, travailla avec d'anciens partisans pour aider à mettre en place la Briha (littéralement, la "fuite"), c'est-à-dire l'exode de 250 000 réfugiés Juifs par les frontières fermées d'Europe vers la côte afin de tenter de gagner la Palestine par la mer. Le Mossad le-Aliyah Bet, organisation créée par les représentants des Juifs de Palestine, organisa l'immigration "illégale" (Aliyah Bet) par bateaux. Cependant, les Britanniques interceptèrent la plupart des navires.

(Source : Encyclopédie Multimédia de la Shoah)


Le Palmach
Image empruntée ici


EXTRAITS DE LA PLAQUETTE
éditée en 1984 avec le concours du Consistoire Israélite de Marseille en marge de l’exposition consacrée à l’histoire de l’Alyah de Marseille (1946-1953).

(plaquette mise à disposition par Ruth Navarro)

MARSEILLE, VILLE D’ACCUEIL ET PORT DE L’ESPOIR

La ville de Marseille va jouer un rôle essentiel et permettre à des milliers de Juifs de partir pour la Terre Promise.

Le Mossad Alyah Beth (Réseau de l’immigration B) a mis en place un véritable service sanitaire et médical chargé de délivrer à chacune et à chacun, un carnet de santé.
Les services de l’Œuvre de Secours aux Enfants (O.S.E.) s’efforcent de rendre à tous ces émigrants, une condition physique telle qu’ils puissent supporter le dur voyage clandestin, et être des éléments positifs dès leur arrivée en Palestine. (…)
Une agence spécialisée dans l’émigration est ouverte par le Mossad (Réseau de l’immigration B) au numéro 80 de la rue de la République, il s’agit de l’agence « Océania ». À sa tête, Dika Jefroikin et Marcel Navarro, un jeune Juif de 30 ans, originaire de Salonique.
L’agence doit trouver de vieux navires souvent rongés par la rouille, mais à des prix abordables. Ces bateaux sont ensuite réarmés et préparés pour la longue traversée.
Ces vieux rafiots, souvent cargos ou navires de commerce, sont aménagés pour le transport de passagers, à la limite des normes de sécurité, approvisionnés par un armateur nommé Jo Baharia, et conservent leur nom d’origine jusqu’à leur départ.
Avec la participation des chantiers navals de La Ciotat, de La Spezia (Italie) et l’accord tacite des autorités françaises, les navires rejoignent ensuite les quais de la Joliette (Marseille) ou de Bandol, quelques jours seulement avant le grand voyage.

Marcel Navarro est alors plus particulièrement chargé des contacts avec la police portuaire et les services de Renseignements Généraux français qui « ferment » les yeux concernant les « équipages cosmopolites dont les noms sont à consonance juive ». (…)

Les embarquements se font de nuit à Marseille, La Ciotat, Cavalaire, Sète. Un service de liaison et de contrôle vérifie la marche des différents convois, procède à sa régulation en cours de route, et s’assure de l’arrivée du dernier groupe. Toute cette organisation de transport clandestin reste en place jusqu’en 1948, date de la création de l’État d’Israël. (…)




Membres de la Haganah dans la région de Marseille 
accueillant les candidats au départ pour la Palestine.
 © Coll. Jean-Michel Vecchiet.
Image empruntée ici

14 RAFIOTS

Au départ de Marseille et de sa région, quatorze bateaux vont prendre le cap pour la Palestine :

16 mars 1946 : L’Asia, prend le nom de Tel Haï (La Colline de la Vie) avec à son bord, 989 passagers, dont 500 enfants rescapés de Buchenwald.




Image empruntée ici

Juillet 1946 : Biria, avec 999 émigrants.

Août 1947 : Yagur (du nom d’un kibboutz) avec 780 émigrants.

Octobre 1947 : Latrun (du nom d’un village près de Jérusalem) avec 1250 émigrants.

9 février 1947 : Dans une inégale bataille navale entre la Marine britannique et la goélette Merica rebaptisée Haneguev (Vers le Sud), un émigrant juif meurt. 647 passagers.

16 février 1947 : Un bateau panaméen, le San Miguel, est rebaptisé le Hamaapil (Celui pour qui les portes s’ouvrent) et compte à son bord 796 Juifs.

2 avril 1947 : 2641 passagers à bord du Theodor Herzl commandé par Moka, Mordehai Limon, qui deviendra 20 ans plus tard, l’Amiral en chef de la Marine israélienne.

Juillet 1947 : L’Exodus et ses 4530 passagers, le plus grand nombre de passagers de toute l’histoire de l’émigration clandestine.

Novembre 1947 : Alyah (Montée, Immigration) avec 182 émigrants.

Décembre 1947 : Haporzim (Les forceurs de blocus) avec 165 émigrants.

Décembre 1947 : 29 novembre (du nom de la résolution des Nations Unies, sur le partage de la Palestine, voté le 29 novembre 1947, et créant l’État d’Israël) avec 683 émigrants.

Février 1948 : Le Kommemint avec 699 émigrants.

Mars 1948 : Yehiam (du nom d’un kibboutz) avec 550 émigrants.

Avril 1948 : Nachson (du nom d’un kibboutz) avec 550 émigrants.

Mais si tous les départs s’effectuent dans de bonnes conditions, grâce à l’organisation et aux infrastructures mises en place à Marseille, on ne sait jamais comment se déroulera l’arrivée.

Plusieurs obstacles sont dressés par les autorités britanniques de tutelle afin d’empêcher l’accès des côtes de Palestine aux émigrants clandestins.
Non seulement près de 100 agents secrets de l’Intelligence Service sont en France afin de détecter les préparatifs d’embarquement, mais aussi des unités de la Royal Navy patrouillent en Méditerranée : L’Ajax, le Mauritius

« Tout commandant d’un navire de la Marine britannique peut, après avoir tiré un coup de canon en guise de semonce, ouvrir le feu sur un navire suspect ou sur ses passagers, immigrants illégaux... » 

(Ordonnance spéciale des garde-côtes palestiniens)

La bateau arraisonné ou échoué, les passagers sont arrêtés et internés au camp d’Atlit, près de Haifa, et ce jusqu’au 12 août 1946. À compter de cette date, les Juifs tentant de débarquer sur la terre de leurs ancêtres, sont déportés sur l’île de Chypre. (…)

Le 15 mai 1948, date de la proclamation de l’État d’Israël, Marseille ne perd pas son rôle de plaque tournante et de point de départ pour le jeune état.
Bien au contraire, dans la période allant du 15 mai 1948 au 31 mars 1951, plus de 510 000 émigrants des quatre coins du globe, vont prendre le chemin de leurs prédécesseurs clandestins, mais bien officiellement cette fois-là.
120 684 émigrants, soit un sur quatre, passent ou transitent par la cité phocéenne, en moins de trois ans.

L’ÉPOPÉE DE L’EXODUS



Le President Warfield en 1946
Image empruntée ici

L’Exodus était à l’origine un bateau de passagers côtier américain inauguré en 1928. Baptisé, President Warfield, il avait participé au débarquement en Normandie. Après la guerre, il fut acheté par la Haganah afin d’assurer le transport de Juifs qui cherchaient à se rendre illégalement en Palestine.
Le 11 juillet 1947, le President Warfield quitta le port de Sète avec à son bord 4500 personnes (1561 hommes, 1282 femmes, 1017 adolescents et 655 enfants).



L'embarquement
Image empruntée ici

Avant même que le navire, rebaptisé Exodus 1947, n’atteigne les côtes de la Palestine, il fut encerclé par la marine britannique. Un membre d’équipage de l’Exodus et deux passagers juifs périrent lors de cette attaque. 130 personnes furent blessées.



Après l'arraisonnement 
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Les Britanniques transférèrent les passagers dans trois bateaux-cages, le Runnymede Park, l’Ocean Vigour et l’Empire Rival. Les navires se dirigèrent d’abord vers Toulon, mais les autorités françaises refusèrent de les faire débarquer de force. Les passagers furent alors dirigés vers Hambourg, dans la zone d’occupation britannique de l’Allemagne et finalement, ils furent transférés dans des camps de personnes déplacées en Allemagne. Le monde prit fait et cause pour ces malheureux. Cela occasionna un revirement diplomatique qui joua un rôle déterminant et ouvrit la voie à la reconnaissance de l’État d’Israël.

UN BEST SELLER, EXODUS, LEON URIS, 1958




Leon Uris (1924-2003), ancien Marine et correspondant de guerre, publie Exodus en 1958, un roman historique qui célèbre la fondation de l’État d’Israël. Le roman s’appuie sur des faits historiques pour raconter une histoire où s’entrecroisent les destins de personnages attachants et héroïques.
Ce fut un succès phénoménal et David Ben Gourion déclara qu’au plan littéraire, le roman n’était pas exceptionnel, mais que c’était un formidable outil de propagande.
L’ouvrage fut adapté au cinéma en 1960 par Otto Preminger avec Paul Newman et Eva-Marie Saint.



Affiche conçue par Saul Bass (1920-1996)
Image empruntée ici

L’extrait ci-dessous reconstitue les arraisonnements que subissaient les rafiots affrétés par le Mossad :

Le Terre Promise força l’allure, dans un effort aussi pathétique qu’inutile pour échapper aux croiseurs. L’Apex se rapprocha encore, puis, d’une abattée soudaine, il éperonna le vapeur par le milieu. L’étrave d’acier ouvrit une large brèche dans la coque vermoulue – par bonheur, au-dessus de la ligne de flottaison. Le petit bateau n’avait pas encore cessé de frémir sous le choc qu’une grêle de balles balayait son pont. Les mitrailleuses du croiseur dégageaient la route du commando de prise.
Déjà, des fusiliers-marins, équipés d’armes individuelles et de masques à gaz, sautaient à bord, arrivant par l’avant, pour se ruer vers la passerelle. Comme ils essayaient encore de se dépêtrer des barbelés déroulés par les Palmachniks*, ils furent soumis à un véritable bombardement à coups de pierres, suivi de jets d’eau à forte pression. Rejetés vers l’avant, les Anglais ouvrirent le feu tout en réclamant des renforts. D’autres fusiliers arrivèrent à la rescousse et entreprirent de cisailler les barbelés. Une seconde attaque en direction de la passerelle fut de nouveau repoussée par les jets d’eau. La troisième tentative des Anglais fut couverte par le tir des mitrailleuses. Cette fois, les fusiliers parvinrent à franchir les barbelés, juste à temps pour être brûlés par un barrage de jets de vapeur bouillante. Il en résulta un certain flottement qui permit aux Palmachniks de contre-attaquer. Au cours d’une mêlée brève et confuse, ils terrassèrent les fusiliers et les firent passer par-dessus bord, jusqu’au dernier.

*Palmachniks : troupes d’élite de la Haganah

Exodus, Leon Uris, traduit de l’anglais par Max Roth, Robert Laffont, 1960, pp 232/233.

N.B. Plus de détails sur les départs clandestins, ICI (Mémorial de la Shoah)



Entretien, texte et mise en page : Jacques Lefebvre-Linetzky











2 commentaires:

  1. merci Ruth, merci Jacques pour cette pénétrante évocation, où le haut intérêt historique et l'émotion se confondent avec un rare et précieux bonheur... Paul Conte.

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  2. Magnifique blog.Un travail admirablr

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