Attention, théorie du complot sur la chaussée
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Il suffit de se promener sur la Toile pour constater
à quel point les théories du complot envahissent notre espace quotidien. Depuis
l’avènement d’Internet, les rumeurs et autres élucubrations maléfiques se
répandent dans une sous-culture à laquelle adhèrent des esprits victimes de ce
que Boris Cyrulnik appelle « la pensée paresseuse ». Le doute
s’immisce à propos de tout, ce qui semble évident est remis en question. Plus
c’est transparent, plus c’est douteux.
Il n’y a pas de fumée sans feu. On ne nous dit pas tout…
Comment
définir la théorie du complot ?
Une théorie du complot est le récit d’un événement
dont on pense qu’il est le fruit d’une conspiration. Cela consiste à
interpréter cet événement à la lumière d’un plan concerté et instruit par un
groupe, une société secrète ou un gouvernement dans le but de nuire et de contrôler la société.
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Le philosophe, politologue et historien des idées,
Pierre-André Taguieff, propose la définition suivante :
« L’expression « théorie du complot » est passée
dans le vocabulaire courant, mais elle n’en reste pas moins critiquable. C’est
pourquoi je l’emploie en la mettant entre guillemets. Rappelons tout d’abord
qu’on entend ordinairement par « théories du complot » (conspiracy theories) les explications naïves – ou supposées telles
-, s’opposant en général aux thèses officiellement soutenues, qui mettent en
scène un groupe ou plusieurs groupes agissant dans l’ombre ou en secret, les
conspirateurs étant accusés d’être à l’origine des événements négatifs ou
troublants dotés d’une signification sociale - de la catastrophe naturelle
dénoncée comme non naturelle à la mort accidentelle, jugée comme telle
douteuse, d’un personnage célèbre, en passant par les assassinats politiques,
les révolutions sanglantes et les attentats terroristes. »
Source : cliquez ici
Raphaël Enthoven, agrégé de philosophie et chroniqueur
à Europe 1, souligne avec un brin d’humour la spécificité de cette entreprise
nocive :
« C’est un système déguisé en enquête :
l’inspecteur Gadget qui se prend pour Columbo. »
La théorie du complot repose sur une supercherie dans
la mesure où elle s’affiche comme scientifique alors qu’elle ne repose que sur
des affirmations péremptoires dénuées de fondement. Elle sème le trouble car
elle s’appuie sur la vérité pour la détourner. En agrégeant vérité et mensonge,
elle est d’une redoutable efficacité.
Le dictionnaire Le Robert le définit ainsi :
« Un projet concerté secrètement contre la vie, la sûreté de quelqu’un,
contre une institution ».
Un complot ne relève pas du fantasme. L’Histoire
compte de nombreux complots qui nous sont familiers. César meurt des mains de
Brutus, mais c’est le résultat d’un complot ourdi par un groupe de
sénateurs ; Ravaillac, impliqué dans une conspiration catholique,
poignarde Henri IV ; Claus von Stauffenberg ne parvient pas à éliminer
Hitler le 20 juillet 1944 lors de l’opération Walkyrie. Le terme est d’ailleurs
synonyme de conspiration. La Conspiration
des poudres est une tentative d’attentat contre le roi James 1er
d’Angleterre et le parlement, fomentée par un groupe de catholiques en 1605. La
conspiration est une atteinte à l’équilibre de la nation et en cela, elle
constitue une menace intolérable provenant d’ennemis de l’intérieur.
La rumeur
n’est pas qu’un bruit confus, c’est un bruit qui se répand, dont l’origine est
inconnue et qui a pour but de nuire. Sa nocivité est comparable à celle des
théories du complot, mais elle porte sur un champ plus restreint. Le cas le
plus célèbre en France est celui de la rumeur d’Orléans, analysé par Edgar
Morin en 1969. On y accusait les commerçants juifs de la ville de kidnapper des
clientes afin de les livrer à un réseau de prostitution.
« À la différence des simples rumeurs, les
théories du complot se présentent comme des systèmes de pensée clos, de
complexes interprétations du monde. (…) La rumeur est spontanée. Elle n’a rien
d’élaboré. Elle est vagabonde. La théorie du complot apparaît a contrario comme un système charpenté,
proposant une vision alternative du monde. Il s’agit d’une tentative
d’explication globalisante. »
Source : C’est
un complot ! Voyage dans la tête des conspirationnistes, Christophe
Bourseiller, JCLattès, octobre 2016.
Le
fonctionnement de la pensée conspirationniste
selon Pierre-André Taguieff
1. Rien n’arrive par accident. Rien n’est accidentel
ou insensé, ce qui implique une négation du hasard, de la contingence, des
coïncidences fortuites. (…) Toute trace de hasard est ainsi éliminée de
l’Histoire. Tout s’explique par les complots et les mégacomplots.
2. Tout ce qui arrive est le résultat d’intentions ou
de volontés cachées. Plus précisément, d’intentions mauvaises ou de volontés
malveillantes, les seules qui intéressent les esprits conspirationnistes, voués
à privilégier les événements malheureux : crises, bouleversements,
catastrophes, attentats terroristes, assassinats politiques.
3. Rien n’est tel qu’il paraît être. Tout se passe
dans les « coulisses » ou les « souterrains » de l’Histoire. Les apparences
sont donc toujours trompeuses, elles se réduisent à des mises en scène. La
vérité historique est dans la « face cachée » des phénomènes historiques. Dans
la perspective conspirationniste, l’historien devient un contre-historien,
l’expert un contre-expert ou un alter-expert, un spécialiste des causes
invisibles des événements visibles. Il fait du démasquage son opération
cognitive principale. Dès lors, l’histoire « officielle » ne peut être qu’une
histoire superficielle. (…)
4. Tout est lié ou connecté, mais de façon occulte. «
Tout se tient », disent-ils. Derrière tout événement indésirable, on soupçonne
un « secret inavouable », ou l’on infère l’existence d’une « ténébreuse
alliance ». Les forces qui apparaissent comme contraires ou contradictoires
peuvent se révéler fondamentalement unies, sur le mode de la connivence ou de
la complicité. (…)
On peut ajouter une cinquième règle, celle de la
critique, ainsi formulée par Emmanuelle Danblon et Loïc Nicolas : « Tout doit
être minutieusement passé au crible de la critique. » Cette règle peut se
formuler par exemple par l’énoncé : « Au début, je n’y croyais pas mais j’ai dû
me rendre à l’évidence. » La règle de la critique a pris une grande importance
dans les plus récentes « théories du complot », par exemple celles qui
consistent à attribuer les attentats du 11 septembre à un «complot gouvernemental». On pourrait appliquer aux «théoriciens» qui traitent du
11 septembre selon la méthode de l’hypercritique la fameuse remarque de
Shakespeare : « Il y a beaucoup de méthode dans cette folie. »
Source : cliquez ici
Quelques
récits conspirationnistes…
Ils correspondent à des moments de crise (d’ordre
social et économique) où les valeurs deviennent indistinctes, où les valeurs
négatives et positives se confondent.
La Révolution
française
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Le Barbier, 1789.
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L’idée d’un grand complot subversif est apparue sous
une forme élaborée à l’époque de la Révolution française. La vision
conspirationniste de l’histoire a pris forme dans la pensée
contre-révolutionnaire ou réactionnaire entre 1789 et 1799. Le premier rôle a
été joué par l’abbé Augustin de Barruel (1741-1820), qui, dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du
jacobinisme (1797-1798), a exposé la thèse selon laquelle la Révolution
française aurait été le résultat d’un complot maçonnique.
Le principal acteur en aurait été les « Illuminés »
de Bavière, ou « Illuminati », dirigés par Adam Weishaupt. Ledit complot
maçonnique sera réinterprété ensuite, au cours du XIXe siècle, comme complot
judéo-maçonnique dont l’objectif serait la conquête du monde à travers la
destruction de la civilisation chrétienne
Les Illuminés de Bavière (ou parfois Illuminati
de Bavière) (en allemand Illuminatenorden) furent une une société secrète allemande du 18e siècle qui se réclamait de l'Aufklärung et plus généralement la philosophie des Lumières.
Fondée le 1er mai 1776 par le philosophe et
théologien Adam Weisshaupt à Ingolstadt, elle eut à faire face à des dissensions internes
avant d'être interdite par un édit du gouvernement bavarois en 1785 et de disparaître peu après.
De nombreux mythes et théories du complot ont
prétendu que l'ordre survécut à son interdiction et qu'il serait responsable,
entre autres, de la Révolution française, de
complots contre l'Église catholique romaine ainsi que de la constitution du nouvel ordre mondial.
Source : cliquez ici
Ouvrage de la fin du XIXe siècle, les Protocoles constituent un
faux antisémite et font état d'une prétendue conférence des leaders du judaïsme mondial complotant de
s'emparer des leviers de commande de l'univers, sous le couvert de la
démocratie. Œuvre d'une créature de la police secrète russe, les Protocoles
s'inspirent d'un pamphlet hostile à Napoléon III, Dialogue aux Enfers
entre Machiavel et Montesquieu ou la Politique au XIXe siècle.
Publié en Russie en 1905, l'ouvrage
n'obtint une audience étendue qu'après la Première Guerre mondiale, grâce à
l'action des Russes blancs émigrés.
Traduit en plusieurs langues, il fut diffusé largement, notamment par Henry Ford I, aux États-Unis. En 1934, la communauté juive de Suisse intenta un procès aux distributeurs et démontra la fausseté des Protocoles. La propagande nazie en fit pourtant un usage efficace et s'en servit pour justifier ses plans d'extermination des Juifs. Cet écrit est aujourd'hui abondamment édité dans les pays arabes, où il poursuit une fructueuse carrière. En Europe, une édition espagnole a paru en 1963. L'édition soviétique a donné naissance à divers pamphlets antisémites qui s'en inspirent : Norman Cohn a étudié la génèse et la diffusion de ce faux dans son Histoire d'un mythe : la « conspiration » juive et les Protocoles des Sages de Sion (1960).
Traduit en plusieurs langues, il fut diffusé largement, notamment par Henry Ford I, aux États-Unis. En 1934, la communauté juive de Suisse intenta un procès aux distributeurs et démontra la fausseté des Protocoles. La propagande nazie en fit pourtant un usage efficace et s'en servit pour justifier ses plans d'extermination des Juifs. Cet écrit est aujourd'hui abondamment édité dans les pays arabes, où il poursuit une fructueuse carrière. En Europe, une édition espagnole a paru en 1963. L'édition soviétique a donné naissance à divers pamphlets antisémites qui s'en inspirent : Norman Cohn a étudié la génèse et la diffusion de ce faux dans son Histoire d'un mythe : la « conspiration » juive et les Protocoles des Sages de Sion (1960).
Source : Gérard NAHON, Encyclopédie Universalis
Le 22 novembre 1963, le président des Etats-Unis,
John Fitzgerald Kennedy, meurt à Dallas sous les balles d’un tireur embusqué,
Lee Harvey Oswald. Le tueur est appréhendé, mais il est abattu à bout portant
par Jack Ruby, un tenancier de boîte de nuit qui a des accointances avec la
Mafia. Cet enchaînement dramatique et les faiblesses d’une enquête peu fiable,
suscitent d’emblée le doute. Oswald aurait été tué pour le faire taire, le
rapport de la commission Warren aurait été bâclé délibérément afin de cacher un
secret. La thèse du complot s’oppose à
la version officielle. Sont tour à tour accusés, la Mafia, Fidel Castro et même
Lyndon Johnson, alors vice-président des Etats-Unis. À ce jour, la version
officielle d’un tueur isolé est celle qui prévaut, mais les conspirationnistes
n’ont pas pour autant baissé la garde.
Dans les mois qui suivent les attentats du 11
septembre, les théories du complot fleurissent sur la Toile et répandent leur
nocivité. Certains affirment que le gouvernement américain aurait été informé
des attentats et n’aurait rien fait afin d’asseoir l’autorité du président des
États-Unis. D’autres suggèrent que les gratte-ciels ont fait l’objet d’une
démolition programmée. Une polémique est également née à propos du crash du vol
77 sur le Pentagone. Cette paranoïa collective rappelle celle qui a frappé les États-Unis au lendemain de l’attaque de Pearl Harbour le 7 décembre 1941.
Certains ont accusé le président Roosevelt d’avoir délibérément ignoré les
informations qui lui avaient été communiquées par les services secrets afin de
précipiter son pays dans la guerre.
Les récents
attentats en France, Charlie Hebdo, Hyper Cacher, Bataclan, Nice…
À la suite des horreurs perpétrées lors de ces
attentats, des théories complotistes ont vu le jour cherchant à nuire et à
entretenir un climat de suspicion destiné à fragiliser le pays.
Un
imaginaire contaminé que l’on retrouve
au cinéma
et dans les séries.
(liste non exhaustive)
The
Manchurian Candidate (Un crime dans la tête), John
Frankenheimer, 1962,
Seven Days
in May (Sept jours en mai), John Frankenheimer, 1964.
The Parallax
View (À cause d’un assassinat), Alan J. Pakula, 1974.
Three Days
of the Condor (Les trois jours du Condor), Sydney Pollack, 1975.
JFK, Oliver Stone, 1991.
The
Conspiracy Theory (Complots), Richard Donner, 1997.
The
Manchurian Candidate (remake), Jonathan
Demme, 2004.
The Americans, Joe Weisberg (ancien agent de la CIA)
Homeland, Howard Gordon et Alex Gansa, d’après la série israélienne,
Hatufim.
Bibliographie
Voir lien ici
Une citation en guise de conclusion…
« Quand des avions détournés par des fanatiques
s’encastrent dans les gigantesques tours de New York, une seule pensée surgit
d’emblée : ce n’est pas possible, c’est un film catastrophe ! On se
croirait dans un blockbuster de Hollywood et l’on se surprend à espérer
l’advenue providentielle d’un super héros… Telle est l’essence même du poison
conspirationniste : il abolit la frontière qui sépare la fiction de la
réalité. Il transmue le quotidien en un roman d’anticipation. Il reconstruit le
réel, le réinvente, le façonne à sa guise comme le sculpteur modèle la glaise
d’une statue. Le complotiste devient le personnage principal d’un film dont il
a lui-même écrit le scénario, et qui se déroule dans la vie réelle. La vérité
dépasse l’affliction… »
Source : C’est
un complot ! Voyage dans la tête des conspirationnistes, Christophe
Bourseiller, JCLattès, octobre 2016.
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