© Somogy éditions d'Art
Alain Kleinmann est considéré comme le peintre de la mémoire, comme un passeur d’images. Son œuvre restitue le passé d’un peuple décimé à partir de collages d’images et d’objets.
Il
a exposé dans plus de 40 musées dans le monde (Centre Pompidou à Paris, Musée
Léonard de Vinci à Milan, Kunsthalle à Berlin, New York Coliseum, Palais des
Beaux-Arts à Bruxelles, Musée National des Beaux-Arts à La Havane, Magnes
Museum à Berkeley, Musée Tretiakov d’Art Contemporain à Moscou, Tokyo
Bunkamara, Musée de l’Académie des Beaux-Arts de Chine à Pékin, …).
Une
trentaine de livres et de monographies a été publiée sur son travail.
Il
vient d’être nommé Chevalier de la Légion d’honneur pour l’ensemble de son
œuvre.
Alain Kleinmann nous a accordé un entretien exclusif qui a été diffusé dans le cadre de notre émission, Au Nom des Enfants, sur RCN 89.3 FM. En voici de larges extraits:
Alain Kleinmann nous a accordé un entretien exclusif qui a été diffusé dans le cadre de notre émission, Au Nom des Enfants, sur RCN 89.3 FM. En voici de larges extraits:
© Alain Kleinmann, DR.
La place du
livre
Avant de m’intéresser
aux objets, dont les livres, je trouvais que la dimension la plus touchante de ce qui est représentable, c’est
évidemment l’être humain, son regard, son attitude. Bien que les matériaux
soient abstraits, ma peinture peut être qualifiée de
figurative et je me suis aperçu qu’un certain nombre d’objets, assez rares, à
vrai dire, portent aussi une sorte de charge émotionnelle, de vie propre. Il en va ainsi des livres… il y a l’histoire qui est racontée de l’intérieur, il y a
l’histoire de celui qui l’a écrit, de celui qui le lit et enfin, l’objet en
tant que tel. Il se dégage une sorte d’émotion très puissante au même titre que
celle générée par un regard humain. Il y a aussi d’autres objets, comme les
valises, les clefs, les serrures. Mais enfin, il n’y en a pas tant que ça.
© Alain Kleinmann, DR.
Le peuple du
Livre
On nous appelle
le peuple du Livre – c’est comme si notre rôle essentiel était effectivement de
prendre la Torah qu’on nous a transmise et de la transmettre ensuite à nos
enfants. Chacun avec son imaginaire et sa vie, se trouve plus ou moins embarqué
dans cette aventure. Je me souviens d’une très belle phrase d’Edmond Jabès qui
disait :
« Notre
histoire ne sera jamais que l’histoire d’un livre dans la transparence des
jours défunts où s’effeuille la ressemblance. »
C’est un
magnifique écrivain que j’ai eu la chance de rencontrer et je conseille à tous
les auditeurs sa lecture.
© Alain Kleinmann, DR.
La beauté de l’objet
Il y a une
certaine beauté de l’objet (…) je me sers souvent de vieilles couvertures de
livres – 17e ou 18e siècles (pas arrondissements). Il y a
quelque chose là-dedans de très beau avec les siècles qui sont passés dessus,
avec les personnes dont on peut imaginer qu’elles aient feuilleté ces
livres-là. Alors, évidemment, c’est une sorte de dimension qui est en train de
disparaître avec les tablettes numériques et autres livres électroniques. Il y
a sûrement d’autres avantages, on verra plus tard quels rapports nos enfants auront
avec tout cela. (…) Je suis un enfant du livre, du papier, des matériaux – tout
cela m’émeut beaucoup.
© Alain Kleinmann, DR.
Les livres et
les valises
Le livre et la
valise partagent cette fonction d’être une sorte d’emballage avec, à l’intérieur, quelque chose qui peut être un trésor, ou rien (…) On a une sorte de double
aspect. Les deux sont comme des objets intérieurs - toutes ces petites choses
que l’on met en paquets, en boites, dans un coin de sa mémoire ou de son être.
On a des livres intérieurs aussi qu’on écrit ou non. Il y a toutes sortes de
registres, de mots, de phrases, de concepts qui nous habitent et qui sont à l’intérieur
d’un petit livre qu’on aurait quelque part en nous.
© Alain Kleinmann, DR.
Les couvertures
Souvent, je
prends des objets réels telles que de vieilles couvertures de livres et, à
chaque fois qu’on y inscrit quelque chose, on peut imaginer que c’est le reflet
de l’intérieur du livre ou bien que cela renvoie au lecteur ou bien au héros du
livre en question. Donc, en fait, ça ouvre à l’imaginaire, toutes sortes de
portes, de possibilités. Une des belles dimensions de la peinture, c’est que le
sens n’est jamais fermé ; c’est une proposition et les uns et les autres,
face à cela peuvent imaginer que tel personnage reflète ceci ou cela du livre.
Rembrandt, Le philosophe en méditation, 1632
Image empruntée ici
Rembrandt
Rembrandt est
pour moi un des sommets de la peinture. C’est pour moi l’un des sommets de ce
qu’on peut appeler la peinture philosophique. Il y a une autre peinture
historique qui est beaucoup plus narrative, représentative, extérieure et on a
l’impression que Rembrandt ne peint que l’intérieur avec l’humour de ses
autoportraits, avec le côté existentiel des représentations qu’il propose. J’aime
son trait, j’aime ses couleurs (…) Il était impressionné par la communauté
juive du 17e qui était donc à Amsterdam en Hollande et
qui venait du Portugal des suites de l’Inquisition. Il a représenté des Juifs
à la sortie de la synagogue dans une gravure très connue. Il y a quelque chose dans son attitude qui est
pétrie d’une certaine relation juive au monde. C’est curieux parce qu’on appelait
Amsterdam à cette époque, le Maqowm qui veut dire en hébreu, le lieu, et jusqu’à
aujourd’hui ce nom est resté.
Rembrandt, Les Juifs dans la synagogue, 1648
Image empruntée ici
Dans ces
livres, il y a ce qu’on peut lire, ce qu’on ne peut plus lire, ce qui est
interdit à la lecture comme dans la mémoire, avec les oublis, les censeurs,
tout ce qui fait qu’on sait que quelque part il s’est passé quelque chose et cette
chose on n’y a plus accès, donc, fermer un livre avec un morceau de ficelle qui
est un geste dérisoire, ça convoque un sens presque tragique. C’est vrai d’une
valise également. Toutes ces valises ficelées dont on ne sait pas si on pourra
les rouvrir, on ignore absolument le contenu. Ce sont des mystères
visuels, évidemment. Je m’en sers parce que je trouve qu’il y a quelque chose
de très émotionnel qui se produit face au ficelage. La valise en soi est un
objet d’errance, de voyage, d’exode. Le fait de la ficeler est sûrement une
petite dramatisation de ce que peut être une valise. Une valise c’est un contenant
avec un contenu qu’on ignore et si jamais on la ferme, on la scelle, on la
ficelle, alors il n’y a plus accès au contenu et c’est effectivement de l’ordre
d’une petite douleur ou d’un petit drame.
© Alain Kleinmann, DR.
Les hachures,
les griffures…
Une hachure,
une griffure, ce n’est pas de l’ornement, c’est du sens. Une griffure devient
une griffure intérieure, une griffure à l’image de quelqu’un, une griffure à l’objet
de quelqu’un qui serait le livre.
La raison d’être
de la peinture, c’est la peinture
Un bleu, c’est
un bleu, ce n’est pas le ciel ; un rouge, c’est un rouge, ce n’est pas le
sang. La truite de Schubert, c’est un morceau de musique, ce n’est pas une
truite…
La dimension
La dimension
implique des attitudes différentes. C’est très différent de travailler sur une
toile de deux mètres par deux dans laquelle on est physiquement impliqué ou de
faire un petit dessin de dix centimètres carrés. Ce n’est pas le même rapport,
ni au corps, ni à l’écriture (…) La dimension induit des possibilités
différentes. Là aussi, on pourrait parler de vocabulaire. Comme en littérature,
écrire un roman de trois cents pages ou un poème ou un haïku ou une petite
nouvelle, on est à chaque fois dans des dimensions différentes qui induisent
une attitude spécifique et donc une œuvre différente. Il y a quand même quelque
chose qui traverse tout cela, c’est l’univers du peintre qui le fait. Quand l’univers
est construit, on voit que des dimensions différentes vont toutes dans le même
sens du point de vue de l’image générale de la peinture de quelqu’un, mais à
chaque fois, permet des interventions différentes.
© Alain Kleinmann, DR.
Chanter le
blanc
À vrai dire, on
est plus traversé par sa peinture qu’on ne la maîtrise absolument. Cette
histoire du blanc, s’il fallait en dire des choses raisonnables, je dirais qu’au
bout d’un moment de travail sur la mémoire, le blanc est ce qui vient masquer
finalement les autres couleurs et c’est de l’ordre de l’oubli. Cela nettoie une
surface sur laquelle de nouveau on peut créer de la vie, du réel,
une nouvelle mémoire et en même temps il y a le drame là-aussi de ce qu’il a
fallu effacer pour faire cela. Avant de commencer les premières toiles
blanches, j’ai eu l’idée de quelque chose, à peu près dix ans avant de faire le
premier geste. C’est en fait plus mystérieux pour moi-même que je ne saurais l’expliquer
autrement. J’ai toujours aimé le murmure en peinture plutôt que le cri. Toutes
les couleurs sépia, ocre qui sont des couleurs de patine, sont dans la
discrétion et à l’intérieur, il y a l’ensemble des autres couleurs, mais de
manière murmurée. Je me sens assez éloigné du Pop Art, de certaines peintures
américaines très violentes en couleurs. Encore une fois, cela me semble du
registre du cri – ce n’est pas vraiment dans ma sensibilité. Il y a quelque
chose de très murmuré dans le blanc, de très suggéré, disons. Il y a simplement
de petites interventions, de plages qui résistent à l’envahissement du blanc.
Je viens de
terminer une exposition dans la ville de Châteauroux, j’y ai fait don d’une
stèle en bronze à la mémoire des Justes de l’Indre. Il y a une exposition sur
le blanc dans une ville qui s’appelle Le Blanc qui vient aussi de se terminer. Il y a une double exposition dans la ville de Metz, une aux
archives municipales qui se termine ces jours-ci et à partir de mi-décembre,
une autre exposition au Musée de la cour d’or qui est un très beau musée à Metz
avec une section archéologique, une section de peinture historique, une section
d’art contemporain là je vais faire cette exposition et cela va durer plusieurs
mois. Par ailleurs, j’ai aussi des projets aux États-Unis, en particulier à New
York et San Francisco.
L'AMEJDAM remercie chaleureusement Alain Kleinmann pour sa gentillesse, sa disponibilité et son entière implication lors de cet entretien.
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