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lundi 25 juin 2018

HOMMAGE À JACQUES ROZENSZTROCH




Le billet de cette semaine est consacré à notre ami Jacques Rozensztroch, qui vient de disparaître. Vous pourrez lire ci-dessous la transcription de l'essentiel de ce que nous avons dit lors de notre émission de mardi dernier. Celle-ci a été plus intime que d'autres, en raison des liens qui nous unissent à la famille Rozensztroch, dont nous partageons la tristesse. Jacques Lefebvre-Linetzky, Michèle Merowka et Cathie Fidler étaient ensemble à RCN pour honorer sa mémoire. 


JacquesNous avons appris hier, lundi, le décès de notre ami Jacques Rozensztroch, bien connu des Vençois en particulier pour ses recherches, car celles-ci ont abouti au monument érigé dans la commune en mémoire des Juifs qui y ont été arrêtés, et déportés. 

Cathie : C’est une émotion double qui m’a saisie, car depuis quelques jours nous pensions, comme chaque semaine, au sujet que nous allions aborder dans notre émission. Jacques et Michèle pensaient que je devrais tout de même parler du livre (Daniel au Pays de la déco – éditions  Ovadia) que je viens de publier sur Daniel Rozensztroch, le frère cadet de Jacques. Et moi, j’ai pensé que ce serait bien d’associer les deux frères dans la même émission, et nous avons donc commencé à prendre quelques notes sur l'immense travail de recherches effectué par Jacques Rozensztroch.

Et puis, ce fut le choc : lundi après-midi j’ai eu un message de Daniel Rozensztroch, m’annonçant le décès de son frère Jacques… Il y a des coïncidences inexplicables, n’est-ce pas ? Je le savais malade depuis longtemps, mais tout de même... Alors, il est opportun de parler de cette famille assez exceptionnelle à de nombreux égards. 

La fratrie comportait trois frères, Lazare, l’aîné, né en 1930, Jacques, né en 1932, et Daniel, le petit dernier, né à Cannes en 1944. La maman, Sonia, était d’origine polonaise, de Varsovie. Michèle Merowka nous a parlé du Bund la semaine dernière, eh bien, la famille de Sonia était très impliquée dans ce mouvement, qui n’était pas religieux du tout, et très libéral. La langue parlée chez elle était le polonais. Elle fréquentait un lycée polonais, pas une école religieuse pour jeunes filles. Le papa, Nathan, venait de Prusse, il était d’un milieu plus conservateur, où le yiddish était parlé en premier. Leur accent, quand je les ai connus, était tout sauf parisien !

Ils se sont installés à Paris et, comme tant d’autres  "émigrés" juifs, ils ont tout fait pour s’intégrer et intégrer leurs enfants. 
Comme beaucoup d’autres Juifs, ils se sont repliés en zone libre pendant la guerre, à Cannes, notamment, où ils ont été protégés par une dame au grand cœur, Mme Boissier. Daniel y est né, et je raconte dans le livre qui lui est consacré les circonstances de sa naissance, donc j’y reviendrai plus tard, ou dans un autre billet… 
Au passage je rectifie une petite erreur que j'ai commise à l'antenne : la famille avait bien de faux papiers, au nom de De Fontaine, fournis par un ami garagiste et résistant de Mme Boissier. Mais lorsque Daniel est né, l'employé de mairie l'a enregistré sous son vrai nom, sans tiquer le moins du monde. Un tour de passe-passe ? Certes, mais il est vrai que la mairie de Cannes comptait de nombreux résistants... 

Jacques : Après la Libération, la famille est sans doute retournée à Paris ? 

CathieOui. Le frère aîné, Lazare, était brillant, il a fait des études au Lycée Henri IV et une belle carrière dans le monde de l'entreprise, par la suite. Très cultivé, curieux de tout, grand lecteur… Jacques, quant à lui, a eu plus de mal suite à l’interruption de sa scolarité pendant la guerre. Ses parents l’ont donc mis en apprentissage. Il est devenu joaillier et a produit des merveilles de bijoux ! Quant au petit frère… j’en parlerai aussi plus tard, car lui aussi a pu suivre la voie qui lui convenait le mieux, avec grand succès, puisqu'il est devenu un lanceur de tendances, un créateur d'ambiance et un designer au talent exceptionnel, dont il est question dans le livre que je lui ai consacré. 
Il faut remarquer au passage la sagesse de ces parents qui ont su orienter leurs enfants en fonction de ce qui leur convenait, et pour leur plus grand bien. On souhaiterait que ce soit plus souvent le cas aujourd'hui. 


 
Jacques (à gauche) avec Daniel et 
leur maman, Sonia, 
photo prise en Belgique dans les années 50.  

Les trois frères ensemble :  
Lazare debout derrière Jacques, à gauche,
et Daniel à droite

Jacques
: Quel était le lien de Jacques avec Vence ? 

Cathie : Depuis les années 80 je crois, Jacques venait régulièrement en vacances à Vence, avec sa famille. Daniel avait aménagé et décoré leur appartement, et ils s’y sentaient très bien.
Et puis, dans les années 90, en 97 exactement, Jacques a commencé à effectuer des recherches sur les membres de sa famille qui avaient été déportés, et notamment sur sa grand-mère Bajla Berghauer. Il a donc pris contact avec Serge Klarsfeld. Nous avons un courrier de lui en date de mars 1997, dans lequel il lui demandait de retrouver les origines de l’immeuble dans lequel habitait sa grand-mère à Montreuil lors de son arrestation le 11 février 1943, et de l’en tenir au courant. 

Dans le même courrier, il informait Serge Klarsfeld de l’état de ses recherches (avancées) concernant 24 Juifs arrêtés à Vence, et de son souhait de déposer une plaque à leur mémoire. 
Notons que c’étaient là les prémices du travail de mémoire. Il faut se souvenir qu’à l’époque on ne disposait pas d’Internet, que les recherches étaient fastidieuses, lentes, et compliquées. Jacques était parti sur les traces de sa famille cachée en Ardèche, pour arriver ensuite dans les Alpes-Maritimes, et se rendre compte de ce qui était arrivé à ces Juifs-là. Son travail a été celui d’un pionnier, méthodique et déterminé, rigoureux. 




Le Dr Catherine Bensoussan-Ambacher (également membre actif de l'AMEJDAM) qui a beaucoup œuvré avec Jacques Rozensztroch à Vence, et avec le même but, m’a raconté qu’il allait aux archives départementales des AM et à celles de Vincennes, et qu’il ne lui donnait les renseignements que lorsqu’il avait recoupé ses informations, pour être sûr de leur exactitude. Rappelons qu'il n’était pas historien, il n'était pas allé à l'université ! En revanche il a travaillé avec un passionné d’histoire locale, Eric Le Dû, et ils ont partagé leurs documents. 

Le Dr Catherine Bensoussan-Ambacher m’a aussi dit qu’un jour une dame est venue à Vence pour rechercher l’endroit où elle avait été cachée pendant l’Occupation. C’était la MACE, la Maison d’Accueil Chrétienne d’Enfants, qui se trouvait dans les locaux de l’école Freinet – dirigée par Célestin Freinet dont on connaît bien à présent les théories pédagogiques. Cet endroit était sous la protection d’un Tchèque du nom de Joseph Frisera, qui a été reconnu comme Juste Parmi les Nations en 1988. Jacques s'est beaucoup intéressé à cette question-là aussi.  
Michèle, tu en sais beaucoup sur ce qui s’est passé à Vence, et sur les déportés en question, peux-tu nous en dire davantage à ce sujet ? Qui étaient ces Juifs, et comment s’étaient-ils retrouvés à Vence ? 

Michèle : 56 noms sont gravés sur la stèle : ceux de Juifs français et étrangers, arrêtés à Vence, lors de deux rafles distinctes : 
Les 24 premiers, inscrits sur le monument inauguré en 1998, square Chagall, ont été arrêtés lors de l’occupation allemande, par la Gestapo aidé par la Milice française entre septembre 1943 et juillet 1944. Ils ont été déportés et assassinés par les nazis dans le cadre de la "Solution Finale".

Jacques Rozensztroch a poursuivi ses recherches et il a retrouvé les noms des 32 juifs arrêtés lors de la rafle du 26 août 1942, organisée par le Gouvernement de Vichy en "zone libre" ; ils ont été arrêtés, regroupés à la caserne Auvare, à Nice avant d’être déportés. 

Parmi ces déportés se trouvaient des personnes vivant à Vence depuis plusieurs années. D’autres étaient assignés à résidence dans des endroits répertoriés par les autorités, ou réfugiées sur la commune de Vence, demeurant dans les hôtels, pensions de famille ou logements loués.  

Les noms de tous les Juifs assassinés sont désormais inscrits sur monument situé Square Malivert, inauguré en juin 2005. 


Cathie : Quelle a été la réponse de la mairie, quand Jacques Rozensztroch a formulé sa demande de pose de plaque commémorative ? Il faut rappeler qu’elles n’étaient pas courantes à l’époque, à la fin des années 90. 

Michèle : Dans un document daté du 9 février 1995, le maire de Vence répond à l’US Army qui l’interrogeait sur le sort d’une famille disparue à Vence. Un appel à témoin publié dans Nice-Matin, lui permit d’entrer en contact avec Jacques Rozensztroch qui cherchait les conditions d’arrestation d’une partie de sa famille. Travaillant avec le spécialiste de l'histoire locale, Eric Le Dû, il a reconstitué le parcours de vingt-quatre Juifs déportés de cette ville entre septembre 1943 et avril 1944, arrêtés par la police allemande. C’est ainsi que le dossier, jusque-là ignoré, de la déportation des Juifs assignés à résidence à Vence a été constitué ; le Maire, Christian IACONO, interrogé sur cette découverte concernant sa ville, déclarait à Nice-Matin en décembre 1997 : 

"Ces victimes du nazisme ont vécu leurs dernières heures de liberté à Vence. Je pense en particulier à ces enfants qui ont joué dans les rues de notre cité avant de connaître les camps et la mort. Leurs noms seront associés à l'histoire de notre ville. Ils doivent être présents dans le souvenir chaque fois que nous nous recueillerons devant le monument aux morts. C'est pourquoi je proposerai au prochain Conseil municipal de m'autoriser à faire apposer une plaque qui rappelle leur martyre."

Un premier monument a donc été inauguré le 17 juin 1998 en présence des instances municipales et de la communauté juive ainsi que de nombreuses personnes venues rendre un hommage posthume aux déportés. Placé dans un jardin, à un carrefour de la cité vençoise, son architecture attirait l'œil : quatre stèles de pierre de taille décroissante disposées en arc de cercle. On note celle qui rappelle que certains ont tenté de les sauver. 



La première plaque...
Photos © Michèle Merowka

Cathie:  Ensuite, Jacques a continué ses recherches, et plus tard la stèle a été déplacée, je crois ?  

Michèle : En effet, grâce aux travaux de Jacques Rozensztroch, les noms des Juifs arrêtés en août 1942 furent ajoutés sur deux stèles supplémentaires, dont la conception fut modifiée, rappelant les pages ouvertes d’un livre. Les noms des Juifs déportés lors des deux rafles – la première organisée par le Gouvernement de Vichy et la seconde par les nazis – font désormais et  également grâce à Jacques, partie de la mémoire lapidaire de Vence.



M. Christian Iacono, le maire de Vence à l'époque,
entouré de Jacques Rozensztroch 
et du Dr Catherine Bensoussan-Ambacher



Plaques comportant tous les noms
Photos ci-dessus © Michèle Merowka


Lecture des noms des déportés, en 2015
À côté de Jacques, le Dr Catherine Bensoussan-Ambacher
et Pierre Lellouch, membres du Comité Yad Vashem Côte d'Azur


Jacques : Une illustration musicale à présent, avec Le temps des cerises, chanté en yiddish par Talila. Cela a été le choix de Daniel que d'illustrer cette émission grâce à Talila, qui est devenue l'une de ses amies : nous sommes heureux, à l'AMEJDAM, d'avoir pu l'inviter lors des cérémonies de Saint-Martin Vésubie, il y a quelques années. Pour clore ce billet, écoutez-la et admirez-la, ICI

 
 Photo prise sur ce site

De Jacques, nous n'oublierons ni la gentillesse, ni  le regard malicieux... Nous sommes bien entendu de tout cœur avec sa famille en ces moments de deuil



* * * * * *


À la radio, faute de temps, nous n'avons pas lu les noms de ces déportés, il nous paraît judicieux de les mentionner ici. 

   À la mémoire des Juifs arrêtés le 28  août 1942 
par la police du gouvernement de Vichy, 
livrés aux Nazis et déportés à Auschwitz

BERKOVIC
DIAMANT Walter
GERINGER Edith, 13 ans
GEIRINGER Clara
GEIRINGER Max
GRÜN Erika, 15 ans
GRÜN Sidonie
GRÜN Emilie
LEFKOWITZ Maximilien
LEVAÏ Maurice
NEUMAN Joseph
WALEMANNOVA Marketa
WEISS Herman
VURZEL Jacques

À la mémoire des Juifs arrêtés à Vence par la Gestapo  en 1943 et 1944, transférés à Nice, 
puis au Camp de Drancy, 
déportés et assassinés dans les camps de la mort,
victimes de la haine raciale.

BERGER Geza
BERGER Tobias
BERGER Henri
BIRKEL, Claude et son frère
BIRKEL René, raflés le 17 juillet 1944, Place du Grand Jardin 
COHEN Albert
DREYFUS-ROSE Hugues
FURTH Eugène
FURTH Hans
FURTH Henri
GLICKBERG Eugène
HIRTZ Henri
KIRSCHBAUM Oïser
KOERNER Jachekiel
KURZ Léopold
KURZ Moses
LEVIN Alex
LEVIN Jachwet
LEVIN Jacob
LEVIN Rosine
LEVY Robert
LEVY-HIRSCH Blanche
ODENHEIMER Hans
PETILLON Moïse
PICARD Marcel
PICARD Denise
PICARD Michèle 18 ans 
POLLAK Nadine
PRESBURGER Léon, survivant, décédé à son retour
PRESBURGER Sarah
RAFCYN Augustine
RAFCYN Saul
RAFCYN Isidore, 16 ans
RAFCYN Désirée, 14 ans
SCHREIBER Charlotte
SCHREIBER  Frantz
SCHREIBER Vera, 14 ans
STERN Léon, 
STERNHEIM Gusti
STERNHEIM Moritz
STERNAU Ruth
STERNAU Alfred

* * * * * * 


En hommage reconnaissant à Jacques Rozensztroch, dont les recherches ont permis de leur donner cette seule et unique sépulture. 


* * * * * * 


Merci à Lazare et Daniel Rozensztroch 
de nous avoir confié leurs photos de famille. 

Mise en page de ce billet : Cathie Fidler


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