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vendredi 24 avril 2015

ENFANT CACHÉ, ENFANT D'IZIEU, ROGER WOLMAN TÉMOIGNE



LA RAFLE D'IZIEU, 6 AVRIL 1944

"Si l'écho de leur voix faiblit, nous périrons",
attribué à Paul Éluard (1895-1952)




La Maison d’Izieu  © Peter Mahr




Sabine et Miron Zlatin
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RAPPEL HISTORIQUE

En mai 1943, Sabine et Miron Zlatin, en lien avec l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE), installent une quinzaine d’enfants à Izieu, alors en zone d’occupation italienne, ce qui les met temporairement à l’abri des poursuites antisémites.
Jusqu’en janvier 1944, date de la dernière liste du registre des présences tenu par Miron Zlatin, 105 enfants, juifs pour la plupart, ont séjourné à la colonie d’Izieu. Celle-ci est souvent un lieu de passage dans un réseau de sauvetage plus vaste, composé d’autres maisons, de familles d’accueil ou de filières de passage en Suisse.
Le 6 avril 1944, 44 enfants et 7 adultes, tous juifs à l’exception d’un garçon, René-Michel Wucher, se trouvent à la colonie. Sur ordre de Klaus Barbie, des hommes de la Gestapo et des soldats de la Wehrmacht viennent arrêter ce matin-là les personnes présentes. Un adulte, Léon Reifman, parvient à s’échapper et à se cacher au moment de la rafle. Le petit René-Michel Wucher est libéré lors de l’arrêt des camions à Brégnier-Cordon, village en contrebas d’Izieu.
Miron Zlatin et 2 adolescents sont fusillés à Reval (aujourd’hui Tallin) en Estonie.
42 enfants et 5 adultes sont assassinés à Auschwitz-Birkenau. Léa Feldblum, éducatrice, est la seule survivante.

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Si vous désirez mieux connaître la Maison d’Izieu, je vous recommande de consulter le site officiel qui est un outil extraordinaire consacré à ce lieu de la mémoire nationale.

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ROGER WOLMAN, ENFANT CACHÉ, ANCIEN D'IZIEU



© JL+L

Roger Wolman est un enfant caché, un enfant d’Izieu. Il a tout juste un an lorsque la guerre est déclarée et il n’a que cinq ans lors de son séjour à la Maison d’Izieu en septembre 1943. En ce jour d’avril 2015, Roger a généreusement accepté de venir s’entretenir avec moi sur RCN. L’homme est grand, le regard franc et la poignée de main énergique. Il a gardé une légère pointe d’accent parisien ; ses souvenirs sont intacts, il commence par un hommage à son frère, Henri.

HENRI ET ROGER

Tout ce que je vais raconter, je le dois essentiellement à mon frère. Mon frère est mon aîné, il avait 12 ans. Il est né en 1931 et on ne s’est pas quittés de toute la période de l’Occupation. Il a été mon « chargé de vie »… tout ce que mon père ou ma mère avaient pu nous dire, il le transmettait et l’appliquait, scrupuleusement.

DE NICE À IZIEU

Nous venions de la Bretagne et, via Paris, nous avons rejoint notre maman qui était à Nice. À Nice, pourquoi ? Parce qu’elle avait rejoint cette ville, en s’échappant d’une assignation forcée – elle avait été arrêtée en passant la ligne de démarcation près de Limoges. Elle s’est échappée après pas mal de temps pour rejoindre sa sœur à Nice. Cette zone passait pour être plus clémente. On pouvait s’en sortir.
Nous arrivons à Nice pour rejoindre notre mère. Nous étions séparés depuis 1942, depuis août 1942, après les rafles de Paris. Nous sommes parisiens ; mes parents étaient nés en Pologne, eux. Nous rejoignons donc notre mère, notre tante (la sœur aînée de ma mère), son mari et les enfants de ma tante. La vie est très belle ici, à Nice. C’est un paysage singulier, très particulier pour nous qui venons de la Bretagne. On a du soleil, c’est le plein été. La chaleur, c’est très sympathique. Cela ne dure pas trop longtemps, malheureusement. Les Italiens quittent la zone et notre mère, sûrement en relation avec le Comité Dubouchage et les réseaux, particulièrement le réseau Garel, réseau de résistance qui avait décidé de sauver les enfants, nous fait partir de Nice pour rejoindre un autre parent à Lyon. Notre mère décide de ne pas nous accompagner. Elle parlait assez mal le français, elle avait un fort accent. Elle disait toujours que sur un quai de gare, on se serait fait remarquer. Donc, nous partons. Nous sommes conduits par une dame, je dis bien une dame… on ne sait pas qui, quoi, comment… Peut-être quelqu’un de payé par le réseau Garel ou le Comité Dubouchage. Voilà que nous prenons le train et partons pour Lyon via Marseille. À Lyon, nous sommes accueillis par un oncle et ensuite nous partons pour Izieu.

LE DANGER

J’avais conscience du danger, d’autant plus que mon frère savait m’alerter et nos parents qui étaient, je dirais tout frais émigrés de Pologne parce qu’ils subissaient des exactions là-bas et donc, le danger, ils le connaissaient, ils le sentaient, le ressentaient et donc, probablement, j’étais conscient du danger. D’ailleurs, le leitmotiv permanent, c’était de ne pas parler, de ne pas dire. On avait trop peur que des enfants, dans leur naïveté puissent dire qui ils étaient. Donc, sûrement que j’avais peur.

DE LYON À IZIEU

Il y avait un train qui allait à Brégnier-Cordon. Il allait à Belley, la capitale régionale du Bugey. On prend le train. On ne prend pas le train comme ça. On est accompagné et auparavant, quelques jours auparavant, nous étions avec d’autres enfants, cachés à l’Archevêché de Lyon. Le cardinal Gerlier nous hébergeait. Je rappelle souvent qui était le cardinal Gerlier. C’était un grand personnage de la chrétienté en France et un ami personnel du maréchal Pétain. Cela n’empêche qu’il supportait mal qu’on pourchasse des enfants. La personne qui nous a accompagnés de Lyon à Izieu, il n’y a pas très longtemps, que l'on sait qui elle est. C’est une jeune femme très téméraire d’après ce que l’on a pu trouver dans un témoignage caché dans les archives à Lyon. Une demoiselle Praly qui était très engagée dans les mouvements de jeunesse chrétienne et qui nous a pris par la main, mon frère et moi et nous a conduit à Izieu. (…) Elle a passé plein d’enfants. Elle payait les pensions de ces enfants. Ce n’étaient pas ses fonds propres, sûrement, mais il y avait des fonds pour payer.

SÉJOUR À LA MAISON D'IZIEU ET NOUVEAU DÉPART

Nous sommes restés un peu plus de trois semaines à la Maison d’Izieu. Donc, de fin septembre à octobre 1943. La rentrée des classes avait lieu. Mon frère, qui avait 12 ans, était scolarisable – il était sur la liste des élèves. Aujourd’hui, quand on visite la Maison d’Izieu, il y a un petit tableau qui indique le nom des élèves dans la salle de classe – petite salle de classe au premier étage avec quatre fenêtres et son nom est rayé sur cette liste. En effet, il n’a pas fait la rentrée scolaire puisque nous sommes partis et d’autres enfants sont également partis et ont eu la vie sauve. C’est mon frère qui a pris la décision. Il écoutait ce que lui avait recommandé notre mère. Le lieu était trop agité. Izieu était une maison formidablement accueillante dans un site magnifique. La nourriture était parfaite, mais il y avait, d’après mon frère, trop d’enfants, trop de gens qui venaient, trop de parents qui venaient rendre visite à leurs enfants, trop de fournisseurs. Alors, il a dit : « on n’est pas en sécurité ici, il faut partir ». Ce n’était pas facile à faire.




Le nom de Henri Wolman a été rayé de la liste des élèves
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À la Maison d’Izieu, mon frère a reconnu un enfant. C’était l’un de nos cousins germains qui avait disparu. Il n’avait plus ses parents, ni sa sœur et nous n’étions plus deux, mais trois, donc la charge était plus importante. Il a eu quelque mal à faire comprendre à la directrice que c’était vraiment notre cousin, mais il a réussi à la convaincre grâce à des détails qu’elle a pu contrôler dans les documents qu’elle possédait. 




(…) C’est un oncle qui nous récupère à Lyon. Il avait vingt ans. On passe quelques jours à Lyon plutôt mal que bien. On dort à l’hôtel. Un soir, une nuit, nous sommes contrôlés. L’oncle dit : « Je ne les connais pas, ces enfants, mais je les vus dans la peine, alors je les ai accueillis, je leur ai donné une chambre. Le policier, le commissaire a vraisemblablement pensé que cela ne valait pas la peine de continuer et il n’a pas insisté. L’oncle nous a hébergés, mais il ne pouvait pas nous garder. Il nous a fait partir en direction de Clermont-Ferrand où nous avions d’autres tantes, les sœurs de notre mère.
Notre oncle Henri, c’était vraiment un type extraordinaire qui a fait une belle carrière après la guerre d’ailleurs. Il nous a sauvé la vie, c’est certain.



Roger avec son cousin, Henri Kaufman, à la Maison d'Izieu en 2009.
Archives familiales R.W.


TÉMOIGNER

J’ai dû commencer à témoigner depuis que je suis arrivé sur la Côte d’Azur, depuis les années 2002, 2003. Auparavant, on ne parlait pas. La parole s’est libérée après le discours du président Chirac. Il a dit des choses très fortes en affirmant que l’État français avait commis l’irréparable. Nous avons tous compris qu’il fallait témoigner. On témoigne, on va dans les écoles.

À LA MAISON D'IZIEU LE 6 AVRIL 2015


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De gauche à droite: Serge Klarsfeld, Bernard Waysenson (ancien d'Izieu), Roger Wolman (ancien d'Izieu), Hélène Waysbord, présidente de la Maison d'Izieu et François Hollande, président de la République française. 

Je garde un très bon souvenir de cette journée. C’est un peu une revanche. En 1994, le président Mitterrand a inauguré la Maison d’Izieu, en a fait un mémorial en quelque sorte, un musée. Les anciens d’Izieu étaient mal admis, je ne sais pas pour quelle raison. Nous n’étions pas invités. En fait, nous pouvions venir et on nous a dit que nous serions dans la foule. C’était quand même très particulier et ce n’était pas plaisant. Mon frère, mon cousin et moi-même, nous ne sommes pas allés à l’inauguration de la Maison d’Izieu. Alors, le 6 avril dernier, cela a été une revanche. Nous nous sommes sentis reconnus, intégrés dans le premier cercle. Nous étions six ce jour-là et nous avions pour tâche de recevoir le président de la République, de le piloter et de lui expliquer ce qui s’était passé et ce que nous avions fait de notre vie. Il était accompagné de Madame Najat Vallaud - Belkacem, ministre de l’Éducation Nationale, une toute jeune femme très émue par nos récits.

QUE DIRE À CEUX QUI AFFIRMENT QU'IL FAUT TOURNER LA PAGE ET NE PAS RESSASSER LES HORREURS DU PASSÉ? 

Evidemment, lorsqu’on entend ces mots, nous qui avons vécu au premier degré cette période, la disparition de nos proches, de nos parents - maman n’est pas revenue, mon père est rentré. Mon père a tellement raconté. Il racontait chez lui, à la maison. Il a parlé un peu et puis, à un moment donné, tout le monde le traitait un peu de menteur, de raconteur d’histoires. J’ai du mal moi, je ne peux pas comprendre qu’il faille tourner la page. Nous sommes des témoins, il faut qu’on dise les choses. L’incrédulité est à vaincre. Les gens de cette époque n’étaient pas concernés. L’indifférence est une chose atroce dans des périodes difficiles. (…) Il faut témoigner et surtout ne pas laisser les gens dire qu’il faut tourner la page. Moi, je ne l’accepte pas, c’est évident.
Elie Wiesel nous a dit à Nice, au CUM : « vous êtes les témoins des témoins ».  Je ne me prive pas de le dire aux élèves et aux enseignants. Ils sont nos témoins maintenant parce que l’Histoire, ce n’est pas nous. Nous, on ne fait pas l’Histoire, on raconte l’Histoire…
Dans les yeux des élèves on voit leur attention, leur questionnement. Il faut le faire me disait le proviseur du lycée Carnot à Cannes récemment. « Si ce n’est pas aujourd’hui, cela sera dans vingt ans qu’ils en témoigneront et ils vous auront connu. ». 

Entretien: Jacques Lefebvre-Linetzky
Mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky






3 commentaires:

  1. Bravo et merci Papa, nous t'embrassons, Léa, Axelle et moi

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  2. Merci, Monsieur Wolman, pour votre témoignage et votre engagement. Je suis enseignante et pour la 3e année consécutive j'emmène mes petits 3e à Izieu, c'est devenu un rituel incontournable pour leur faire comprendre l'abomination de la Shoah à travers le sort des enfants si proches d'eux. Cette année j'ai demandé un témoignage afin que chacun de ces adolescents entende ces paroles et les porte à son tour. Vos mots et les miens se répondent en écho.
    L'antisémitisme est pour moi un mystère que je cherche à éclaircir depuis l'enfance, je sais maintenant que c'est impossible et j'ai saisi qu'il valait mieux qu'il en soit ainsi sinon je risquerais de comprendre la monstruosité aurisque de la partager.
    Avec respect et tendresse, à la fois pour cet enfant que la mort a épargné mais pas les souffrances et pour l'adulte qui a su rester debout, je vous embrasse, Monsieur Welman.
    Joêlle Mazuel

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    1. Chère madame,
      Je rencontre souvent des enseignants admirables, leur travail est difficile.
      Je serai aujourd'hui-16 juillet-à Nice sur le quai de la gare et là j'aurai une pensée pour vous.
      Nous commémorerons et nous continuerons à témoigner, c'est important.
      Faites moi savoir si vous vous rendez à Izieu dans la prochaine année scolaire car je m'organiserai volontiers pour être avec vous.
      Mes respectueuses salutations.
      Roger WOLMAN

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