LA RAFLE D'IZIEU, 6 AVRIL 1944
"Si l'écho de leur voix faiblit, nous périrons",
attribué à Paul Éluard (1895-1952)
attribué à Paul Éluard (1895-1952)
La
Maison d’Izieu © Peter
Mahr
Sabine
et Miron Zlatin
Source, cliquez ici
RAPPEL HISTORIQUE
En mai 1943, Sabine et
Miron Zlatin, en lien avec l’Œuvre de Secours aux Enfants (OSE), installent une
quinzaine d’enfants à Izieu, alors en zone d’occupation italienne, ce qui les
met temporairement à l’abri des poursuites antisémites.
Jusqu’en janvier 1944,
date de la dernière liste du registre des présences tenu par Miron Zlatin, 105
enfants, juifs pour la plupart, ont séjourné à la colonie d’Izieu. Celle-ci est
souvent un lieu de passage dans un réseau de sauvetage plus vaste, composé
d’autres maisons, de familles d’accueil ou de filières de passage en Suisse.
Le 6 avril 1944, 44
enfants et 7 adultes, tous juifs à l’exception d’un garçon, René-Michel Wucher,
se trouvent à la colonie. Sur ordre de Klaus Barbie, des hommes de la Gestapo
et des soldats de la Wehrmacht viennent arrêter ce matin-là les personnes
présentes. Un adulte, Léon Reifman, parvient à s’échapper et à se cacher au
moment de la rafle. Le petit René-Michel Wucher est libéré lors de l’arrêt des
camions à Brégnier-Cordon, village en contrebas d’Izieu.
Miron Zlatin et 2 adolescents
sont fusillés à Reval (aujourd’hui Tallin) en Estonie.
42 enfants et 5 adultes
sont assassinés à Auschwitz-Birkenau. Léa Feldblum, éducatrice, est la seule
survivante.
Si
vous désirez mieux connaître la Maison d’Izieu, je vous recommande de consulter
le site officiel qui est un outil extraordinaire consacré à ce lieu de la
mémoire nationale.
© JL+L
Roger Wolman est un enfant
caché, un enfant d’Izieu. Il a tout juste un an lorsque la guerre est déclarée
et il n’a que cinq ans lors de son séjour à la Maison d’Izieu en septembre
1943. En ce jour d’avril 2015, Roger a
généreusement accepté de venir s’entretenir avec moi sur RCN. L’homme est
grand, le regard franc et la poignée de main énergique. Il a gardé une légère
pointe d’accent parisien ; ses souvenirs sont intacts, il commence par un
hommage à son frère, Henri.
HENRI ET ROGER
Tout ce que je vais
raconter, je le dois essentiellement à mon frère. Mon frère est mon aîné, il
avait 12 ans. Il est né en 1931 et on ne s’est pas quittés de toute la période
de l’Occupation. Il a été mon « chargé de vie »… tout ce que mon père
ou ma mère avaient pu nous dire, il le transmettait et l’appliquait,
scrupuleusement.
DE NICE À IZIEU
Nous venions de la
Bretagne et, via Paris, nous avons rejoint notre maman qui était à Nice. À
Nice, pourquoi ? Parce qu’elle avait rejoint cette ville, en s’échappant d’une
assignation forcée – elle avait été arrêtée en passant la ligne de démarcation
près de Limoges. Elle s’est échappée après pas mal de temps pour rejoindre sa
sœur à Nice. Cette zone passait pour être plus clémente. On pouvait s’en
sortir.
Nous arrivons à Nice pour
rejoindre notre mère. Nous étions séparés depuis 1942, depuis août 1942, après
les rafles de Paris. Nous sommes parisiens ; mes parents étaient nés en
Pologne, eux. Nous rejoignons donc notre mère, notre tante (la sœur aînée de ma
mère), son mari et les enfants de ma tante. La vie est très belle ici, à Nice.
C’est un paysage singulier, très particulier pour nous qui venons de la
Bretagne. On a du soleil, c’est le plein été. La chaleur, c’est très
sympathique. Cela ne dure pas trop longtemps, malheureusement. Les Italiens
quittent la zone et notre mère, sûrement en relation avec le Comité Dubouchage et les réseaux, particulièrement le réseau Garel, réseau de
résistance qui avait décidé de sauver les enfants, nous fait partir de Nice
pour rejoindre un autre parent à Lyon. Notre mère décide de ne pas nous
accompagner. Elle parlait assez mal le français, elle avait un fort accent.
Elle disait toujours que sur un quai de gare, on se serait fait remarquer.
Donc, nous partons. Nous sommes conduits par une dame, je dis bien une dame… on
ne sait pas qui, quoi, comment… Peut-être quelqu’un de payé par le réseau Garel
ou le Comité Dubouchage. Voilà que nous prenons le train et partons pour
Lyon via Marseille. À Lyon, nous sommes accueillis par un oncle et ensuite nous
partons pour Izieu.
LE DANGER
J’avais conscience du
danger, d’autant plus que mon frère savait m’alerter et nos parents qui
étaient, je dirais tout frais émigrés de Pologne parce qu’ils subissaient des
exactions là-bas et donc, le danger, ils le connaissaient, ils le sentaient, le ressentaient
et donc, probablement, j’étais conscient du danger. D’ailleurs, le leitmotiv
permanent, c’était de ne pas parler, de ne pas dire. On avait trop peur que des
enfants, dans leur naïveté puissent dire qui ils étaient. Donc, sûrement que
j’avais peur.
DE LYON À IZIEU
Il y avait un train qui
allait à Brégnier-Cordon. Il allait à Belley, la capitale régionale du Bugey.
On prend le train. On ne prend pas le train comme ça. On est accompagné et
auparavant, quelques jours auparavant, nous étions avec d’autres enfants,
cachés à l’Archevêché de Lyon. Le cardinal Gerlier nous hébergeait. Je rappelle
souvent qui était le cardinal Gerlier. C’était un grand personnage de la
chrétienté en France et un ami personnel du maréchal Pétain. Cela n’empêche
qu’il supportait mal qu’on pourchasse des enfants. La personne qui nous a
accompagnés de Lyon à Izieu, il n’y a pas très longtemps, que l'on sait qui elle est.
C’est une jeune femme très téméraire d’après ce que l’on a pu trouver dans un
témoignage caché dans les archives à Lyon. Une demoiselle Praly qui était très
engagée dans les mouvements de jeunesse chrétienne et qui nous a pris par la
main, mon frère et moi et nous a conduit à Izieu. (…) Elle a passé plein
d’enfants. Elle payait les pensions de ces enfants. Ce n’étaient pas ses fonds
propres, sûrement, mais il y avait des fonds pour payer.
SÉJOUR À LA MAISON D'IZIEU ET NOUVEAU DÉPART
Nous sommes restés un peu
plus de trois semaines à la Maison d’Izieu. Donc, de fin septembre à octobre
1943. La rentrée des classes avait lieu. Mon frère, qui avait 12 ans, était
scolarisable – il était sur la liste des élèves. Aujourd’hui, quand on visite
la Maison d’Izieu, il y a un petit tableau qui indique le nom des élèves dans
la salle de classe – petite salle de classe au premier étage avec quatre
fenêtres et son nom est rayé sur cette liste. En effet, il n’a pas fait la
rentrée scolaire puisque nous sommes partis et d’autres enfants sont également
partis et ont eu la vie sauve. C’est mon frère qui a pris la décision. Il
écoutait ce que lui avait recommandé notre mère. Le lieu était trop agité.
Izieu était une maison formidablement accueillante dans un site magnifique. La
nourriture était parfaite, mais il y avait, d’après mon frère, trop d’enfants,
trop de gens qui venaient, trop de parents qui venaient rendre visite à leurs
enfants, trop de fournisseurs. Alors, il a dit : « on n’est pas en
sécurité ici, il faut partir ». Ce n’était pas facile à faire.
Le nom de Henri Wolman a été rayé de la liste des élèves
Source : cliquez ici
À la Maison d’Izieu, mon
frère a reconnu un enfant. C’était l’un de nos cousins germains qui avait
disparu. Il n’avait plus ses parents, ni sa sœur et nous n’étions plus deux,
mais trois, donc la charge était plus importante. Il a eu quelque mal à faire
comprendre à la directrice que c’était vraiment notre cousin, mais il a réussi
à la convaincre grâce à des détails qu’elle a pu contrôler dans les documents
qu’elle possédait.
(…) C’est un oncle qui nous récupère à Lyon. Il avait vingt ans. On passe quelques jours à Lyon plutôt mal que bien. On dort à l’hôtel. Un soir, une nuit, nous sommes contrôlés. L’oncle dit : « Je ne les connais pas, ces enfants, mais je les vus dans la peine, alors je les ai accueillis, je leur ai donné une chambre. Le policier, le commissaire a vraisemblablement pensé que cela ne valait pas la peine de continuer et il n’a pas insisté. L’oncle nous a hébergés, mais il ne pouvait pas nous garder. Il nous a fait partir en direction de Clermont-Ferrand où nous avions d’autres tantes, les sœurs de notre mère.
(…) C’est un oncle qui nous récupère à Lyon. Il avait vingt ans. On passe quelques jours à Lyon plutôt mal que bien. On dort à l’hôtel. Un soir, une nuit, nous sommes contrôlés. L’oncle dit : « Je ne les connais pas, ces enfants, mais je les vus dans la peine, alors je les ai accueillis, je leur ai donné une chambre. Le policier, le commissaire a vraisemblablement pensé que cela ne valait pas la peine de continuer et il n’a pas insisté. L’oncle nous a hébergés, mais il ne pouvait pas nous garder. Il nous a fait partir en direction de Clermont-Ferrand où nous avions d’autres tantes, les sœurs de notre mère.
TÉMOIGNER
J’ai dû commencer à
témoigner depuis que je suis arrivé sur la Côte d’Azur, depuis les années 2002,
2003. Auparavant, on ne parlait pas. La parole s’est libérée après le discours
du président Chirac. Il a dit des choses très fortes en affirmant que l’État
français avait commis l’irréparable. Nous avons tous compris qu’il fallait
témoigner. On témoigne, on va dans les écoles.
À LA MAISON D'IZIEU LE 6 AVRIL 2015
De gauche à droite: Serge Klarsfeld, Bernard Waysenson (ancien d'Izieu), Roger Wolman (ancien d'Izieu), Hélène Waysbord, présidente de la Maison d'Izieu et François Hollande, président de la République française.
Je garde un très bon
souvenir de cette journée. C’est un peu une revanche. En 1994, le président
Mitterrand a inauguré la Maison d’Izieu, en a fait un mémorial en quelque
sorte, un musée. Les anciens d’Izieu étaient mal admis, je ne sais pas pour
quelle raison. Nous n’étions pas invités. En fait, nous pouvions venir et on
nous a dit que nous serions dans la foule. C’était quand même très particulier
et ce n’était pas plaisant. Mon frère, mon cousin et moi-même, nous ne sommes
pas allés à l’inauguration de la Maison d’Izieu. Alors, le 6 avril dernier, cela
a été une revanche. Nous nous sommes sentis reconnus, intégrés dans le premier
cercle. Nous étions six ce jour-là et nous avions pour tâche de recevoir le
président de la République, de le piloter et de lui expliquer ce qui s’était
passé et ce que nous avions fait de notre vie. Il était accompagné de Madame
Najat Vallaud - Belkacem, ministre de l’Éducation Nationale, une toute jeune
femme très émue par nos récits.
QUE DIRE À CEUX QUI AFFIRMENT QU'IL FAUT TOURNER LA PAGE ET NE PAS RESSASSER LES HORREURS DU PASSÉ?
Evidemment, lorsqu’on
entend ces mots, nous qui avons vécu au premier degré cette période, la
disparition de nos proches, de nos parents - maman n’est pas revenue, mon père
est rentré. Mon père a tellement raconté. Il racontait chez lui, à la maison.
Il a parlé un peu et puis, à un moment donné, tout le monde le traitait un peu
de menteur, de raconteur d’histoires. J’ai du mal moi, je ne peux pas
comprendre qu’il faille tourner la page. Nous sommes des témoins, il faut qu’on dise les choses. L’incrédulité est à vaincre. Les
gens de cette époque n’étaient pas concernés. L’indifférence est une chose
atroce dans des périodes difficiles. (…) Il faut témoigner et surtout ne pas
laisser les gens dire qu’il faut tourner la page. Moi, je ne l’accepte pas,
c’est évident.
Elie Wiesel nous a dit à
Nice, au CUM : « vous êtes les témoins des témoins ». Je ne me prive pas de le dire aux élèves et
aux enseignants. Ils sont nos témoins maintenant parce que l’Histoire, ce n’est
pas nous. Nous, on ne fait pas l’Histoire, on raconte l’Histoire…
Dans les yeux des élèves
on voit leur attention, leur questionnement. Il faut le faire me disait le
proviseur du lycée Carnot à Cannes récemment. « Si ce n’est pas
aujourd’hui, cela sera dans vingt ans qu’ils en témoigneront et ils vous auront
connu. ».
Entretien: Jacques Lefebvre-Linetzky
Mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky
Entretien: Jacques Lefebvre-Linetzky
Mise en page: Jacques Lefebvre-Linetzky
Bravo et merci Papa, nous t'embrassons, Léa, Axelle et moi
RépondreSupprimerMerci, Monsieur Wolman, pour votre témoignage et votre engagement. Je suis enseignante et pour la 3e année consécutive j'emmène mes petits 3e à Izieu, c'est devenu un rituel incontournable pour leur faire comprendre l'abomination de la Shoah à travers le sort des enfants si proches d'eux. Cette année j'ai demandé un témoignage afin que chacun de ces adolescents entende ces paroles et les porte à son tour. Vos mots et les miens se répondent en écho.
RépondreSupprimerL'antisémitisme est pour moi un mystère que je cherche à éclaircir depuis l'enfance, je sais maintenant que c'est impossible et j'ai saisi qu'il valait mieux qu'il en soit ainsi sinon je risquerais de comprendre la monstruosité aurisque de la partager.
Avec respect et tendresse, à la fois pour cet enfant que la mort a épargné mais pas les souffrances et pour l'adulte qui a su rester debout, je vous embrasse, Monsieur Welman.
Joêlle Mazuel
Chère madame,
SupprimerJe rencontre souvent des enseignants admirables, leur travail est difficile.
Je serai aujourd'hui-16 juillet-à Nice sur le quai de la gare et là j'aurai une pensée pour vous.
Nous commémorerons et nous continuerons à témoigner, c'est important.
Faites moi savoir si vous vous rendez à Izieu dans la prochaine année scolaire car je m'organiserai volontiers pour être avec vous.
Mes respectueuses salutations.
Roger WOLMAN