Le 28 février dernier, Feodor Merowka, l'époux de notre présidente, Michèle Merowka, s'est éteint à l'âge de 96 ans.
Il avait contribué à la création de notre association, dans laquelle il s'était impliqué avec efficacité pendant des années.
Les membres et amis de l'AMEJDAM n'oublieront pas sa gentillesse, son doux sourire et sa discrète présence à toutes les réunions. Il a été inhumé le 4 mars dernier au cimetière de l'Est, en présence d'un groupe important de ses enfants, amis et connaissances, dont le maire de Nice, Christian Estrosi. (Vous pourrez lire son discours ci-dessous). Les prières ont été prononcées par Monsieur le rabbin Martiano, dont la seule voix est toujours un réconfort. Un hommage a également été rendu par M. Maurice Niddam, président de la communauté juive de Nice.
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ALLOCUTION DE MONSIEUR LE MAIRE
"Peu à peu, les voix des témoins directs de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah se taisent.
Celle de Feodor Merowka s'est tue à son tour par une belle journée d'hiver.
C'était il y a quelques jours. Il avait 96 ans ; et Nice et la France pleurent une grande voix, et une grande personnalité.
Celle d'un homme qui a consacré sa vie à dire ce qu'il a vécu, lui, l'enfant juif sauvé.
À raconter que, pour sa famille et lui, la France avait été un asile, que Nice avait été une promesse de sécurité, d'avenir.
À raconter comment cette promesse s'était peu à peu assombrie, jusqu'à s'évanouir complètement à la fin de l'année 1942.
Lui, l'enfant né en Allemagne de parents polonais, qui avait dû fuir les bruits de bottes, les chemises brunes et la haine antisémite, lui qui, à l'âge de sept ans, avait déjà connu deux exils, avait pourtant cru que Nice serait un refuge.
Après l'hostilité d'une Allemagne devenue nazie, Nice avait en effet tout du refuge.
Et pendant quelques années, cette promesse que la France et notre ville lui avait faite, a été tenue.
Ces années, ce sont celles de l'école communale de Fouont Cauda, celles de la boulangerie de l'avenue Malausséna que son père avait reprise, devenant boulanger après avoir été VRP.
Des années difficiles mais heureuses, parce que l'essentiel était là.
Des années qui auront, a posteriori la saveur d'une grande illusion.
Car peu à peu, ce monde de la sécurité se fissure de toutes parts.
Il y a d'abord eu les reculs diplomatiques, les mobilisations partielles, et enfin la guerre. Un père appelé sous les drapeaux, qui revient de la grande débâcle parce qu'il avait eu la chance d'être déployé dans le Sud-ouest.
Il revient, mais la guerre est là. Elle s'installe dans le quotidien, inévitable. Angoissante. Dangereuse.
La guerre, c'est la boulangerie parentale qui tombe sous le contrôle d'administrateurs, parce qu'ils étaient juifs.
C'est le père qui dit non, et entre en résistance.
C'est la dénonciation et l'internement du père à Sospel. Puis à Embrun.
C'est enfin le tournant de la fin de 1942. Le départ des Italiens, l'arrivée imminente des nazis.
Et la menace qui, du jour au lendemain, de latente devient mortelle.
S'ensuit la décision, inéluctable, de se cacher en famille. D'abord à Saint-Jeannet chez un ami, puis dans la forêt de Saint-Paul-de-Vence.
Feodor a 14 ans. Lui qui devait faire l'école hôtelière Paul Augier doit laisser son avenir derrière lui pour entrer en clandestinité.
Il devient Félicien Maurel, parce qu'il ne pouvait plus être Feodor Merowka. Parce qu'il était né juif.
Il a finalement survécu.
Il est devenu médecin. Comme pour se mettre au service des autres et de l'humanité, après tout ce qu'il avait vécu.
Combien de personnes ont appris la nouvelle de son décès avec tristesse, se souvenant du médecin qu'il a été, à l'écoute, profondément humain. Soignant les âmes autant que les corps.
Combien de vocations a-t-il suscitées ? Il est des médecins qui se souviendront de Feodor Merowka comme celui à qui l'on doit d'être devenu médecin. Quel plus bel héritage ?
Il a survécu pour dire. Pour témoigner, inlassablement. Pour laisser une trace.
Notamment au sein de l'Association pour la Mémoire des Enfants Juifs Déportés des Alpes-Maritimes, avec sa chère épouse, chère Michèle Merowka.
Lui témoignant, supervisant l'activité "recherches" de l'association, et vous, chère Michèle, dirigeant cette association pour que les destins d'enfants juifs assassinés ne se perdent pas dans les limbes du temps qui passe.
Le rôle que vous avez joué dans l'édification du Mur des Déportés, du Mur des Justes, dans le surgissement de cette mémoire, nous oblige profondément.
Car ces noms et ces destins nous scrutent et nous murmurent : "Zakhor !", ce beau verbe hébreu qui veut dire "Souviens-toi !" et "ne cesse jamais d'en parler."
Peu à peu, les voix des témoins directs de la Shoah se taisent. Mais le silence et l'oubli ne sont pas inéluctables.
Il nous appartient de continuer l'œuvre des survivants, des témoins, des artisans de la mémoire, comme vous, chère Michèle. Comme lui, votre époux, Feodor Merowka.
De continuer à notre tour de dire "Zakhor".
Cette mémoire, c'est la nôtre.
C'est une mémoire française. Une mémoire niçoise. Une mémoire européenne, qui engage toute l'humanité.
C'est une mémoire que nous continuerons à entretenir et à défendre. C'est un engagement.
Je vous remercie. "
Christian Estrosi
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TOUS LES MEMBRES ET AMIS DE L'AMEJDAM S'ASSOCIENT BIEN SÛR À LA PEINE DE LA FAMILLE DE FEODOR MEROWKA. AVEC LEUR PLUS PROFONDE RECONNAISSANCE POUR CE QU'IL LEUR A APPORTÉ À TOUTES ET À TOUS, ET EN ESPÉRANT ÊTRE DIGNES DU TRAVAIL DE MÉMOIRE QU'IL AVAIT SI BIEN INITIÉ.
Ils garderont aussi au cœur les belles réunions que Michèle et lui organisaient chaque année dans leur jardin pour réunir les membres de l'AMEJDAM, et surtout le sourire amical et l'hospitalité de leur ami Feo.
NB. Nous avons également rendu hommage à Feodor Merowka lors de notre émission "Au nom des enfants" sur RCN 89.3. Vous pouvez la réécouter ICI.